Culture

J'ai vu le loup, le chaperon et rebelote

Temps de lecture : 5 min

Rare conte à ne pas avoir été adapté par Disney, Le Petit Chaperon rouge de Perrault a été souvent adapté au cinéma. Son dernier avatar n'est pas le plus réussi.

Le chaperon rouge. Warner Bros;
Le chaperon rouge. Warner Bros;

Blanche-Neige, La Belle au bois dormant, La Belle et la Bête… Si Walt Disney a largement contribué à faire connaître à des générations entières les contes de Grimm, Andersen ou Perrault, il en est un sur lequel il n’a jamais jeté son dévolu. Trop sexuel? Pas assez romantique? Oncle Walt a délaissé «Le Petit chaperon rouge». Heureusement, Tex Avery et le cinéma traditionnel, eux, n’ont eu de cesse de revisiter ce conte. Entre mise en scène classique, voire puritaine, et les modernisations du conte, la petite fille à la cape rouge fait toujours recette.

Un conte à l’ancienne

Quand le conte oral est collecté et fixé sur papier au XVIIe siècle en France par Charles Perrault et au XIXe en Allemagne par les frères Grimm, les éléments constitutifs de sa symbolique ont une résonnance concrète pour le public. La forêt exerce alors une peur panique liée à sa méconnaissance et aux dangers inhérents qui l’habitent (animaux sauvages, parias éventuels de la société…). Le loup, incarnation de la puissance virile, traque les troupeaux et fait converger sur lui toutes les haines et les superstitions. C’est d’ailleurs à cette époque qu’est intronisé en France un personnage qui prêtera ses traits au Mal: le loup-garou. La Bête du Gévaudan va terroriser la Lozère au XVIIIe siècle asseyant définitivement l’iconographie du Grand Méchant Loup et la mêlant aux contes qui irriguent l’inconscient collectif d’alors.

Du coup, quand le cinéma s’intéresse au Chaperon rouge, il n’est pas surprenant que la figure du loup devienne progressivement garou. En 1984, Neil Jordan réalise ainsi La Compagnie des loups, relecture apparemment classique du conte si célèbre. Tout y est : la grand-mère, le loup (garou), le panier, la cape rouge et les pulsions sexuelles adolescentes naissantes. Mais loin de se contenter d’une version littérale du conte, même si l’histoire se déroule dans un village vaguement médiéval où il ne vaut mieux pas s’aventurer dans la forêt, Jordan en offre une «revisitation» éminemment sexuelle.

La jeune fille capée accepte les avances des mâles qui l’entourent, elle n’a pas peur du loup et de l’éveil sexuel qu’il représente. Cette symbolique, qui évite toute manifestation concrète à l’écran (pas de scène de fornication, désolée), n’en est pas moins présente à travers toute une forêt de signes dont le plus criant demeure l’omniprésence du rouge (premier sang de la fille nubile) sous forme de vêtements (la cape), de tâche dans la neige (ça rappelle Tristan et Yseut) mais aussi de rouge à lèvres (la séduction) ou d’une pomme (Eve et la tentation ne sont jamais bien loin).

Sous ses allures chastes, le film renferme ainsi tous les éléments sexualisés qui fondent le conte du Chaperon rouge selon le psychanalyste Bruno Bettelheim (auteur de la Psychanalyse des contes de fées).

Une autre adaptation de ce fameux conte est arrivé sur nos écrans en 2011. Le sobrement intitulé Le Chaperon rouge (quid du petit ?), réalisé par Catherine Twilight Hardwicke semble vouloir s’inscrire dans la tradition classique. Un village moyenâgeux en proie aux pires tourments à cause d’un loup sanguinaire devient le théâtre de la découverte de l’amour pour la protagoniste.

Mais le substrat érotique, qui donnait sens au conte, est évacué au profit d’un puritanisme et d’un romantisme forcené. L’héroïne est ainsi amoureuse d’un beau garçon pâle au look gothique (ça vous rappelle un truc?) et le loup ne figure qu’un obstacle à leur union. D’ailleurs, sans déflorer le final, disons que l’identité du loup laisse pantois quant à la symbolique, ou alors Hollywood est encore plus pervers qu’on ne pouvait l’imaginer. Cette désémantisation des thèmes et des enjeux réels du conte (la mise en garde des jeunes filles face à leurs désirs inconscients) au profit d’une esthétique très Disney (des belles lumières nimbent les cheveux mordorés du chaperon, sa cape rouge sang contrastant avec la neige immaculée, blablabla…) sonne le glas d’une quelconque réflexion psychologique sur les finalités du conte de fées.

Bref, après avoir castré les vampires, Hardwicke, sous couvert d’une mise en scène révérencieuse à l’environnement fantastique du conte, oublie bien vite que la forêt, si belle soit-elle, ne fait pas la symbolique et qu’à courir après un PG13, elle piétine l’essence même et la subversion profonde de l’œuvre.

Il était une fois… un conte modernisé

Derrière ces deux exemples, différents dans leur approche, mais voisins dans leurs choix esthétiques, il existe une autre voie, celle de la modernisation de notre petit chaperon. Abandonnant la forêt comme lieu métaphorique des peurs, deux réalisateurs ont opté pour la jungle urbaine en tant que lieu de tous les dangers. Et la tension sexuelle a elle aussi subi quelques légères inflexions.

En 1997, Matthew Bright offre à la toute jeune Reese Witherspoon un blouson de cuir rouge en guise de cape pour sa version très personnelle du chaperon.

Après l’arrestation de ses délinquants de parents, la jeune fille fugueuse décide de retrouver sa mère-grand qui vit dans une caravane. Mais sur l’autoroute, elle croise le chemin d’un psychopathe serial killer, un grand méchant loup très nineties. Cette relecture humaine du monstre, si elle peut faire sourire de prime abord, souligne pourtant l’évolution des frayeurs liées au sexe.

Il n’est plus question de conserver sa virginité (morale chrétienne sous-jacente du conte à l’origine) mais plutôt d’échapper à la pédophilie, la perversion qui hante l’actualité de la fin du siècle dernier. Ce glissement d’une sexualité taboue à une sexualité malade et mortifère démontre à quel point le conte se veut une vision métaphorique du monde qui l’engendre et combien il a besoin d’être réactualisé selon les changements de la société.

Plus récent, mais creusant le même sillon, le petit chaperon rouge de David Slade (Hard Candy) y est dépeint comme une victime qui se révolte contre les convoitises que sa sexualité naissante attise chez les prédateurs mâles adultes. Le trentenaire hétéro prend alors les traits du loup alléché par les atours de la jeunesse, mais sa faculté à apeurer et abuser de la jeune héroïne n’est plus aussi efficace.

Du postulat de proie, le personnage féminin, produit d’une époque volontariste où la révolution féministe a fait date, se réinvente en vengeresse. Plus question de subir les diktats du loup, le chaperon s’émancipe jusqu’à devenir elle-même un «loup». Ce «révisionnisme» du conte originel, s’il s’éloigne de sa portée psychanalytique qui consistait à appréhender les changements profonds de l’adolescent face à sa sexualité, donne à voir en revanche l’utilité du récit fictionnel pour décrypter notre monde actuel.

Sorte de creuset des expériences humaines, des peurs et pulsions qui nous animent, l’adaptation d’un conte se doit d’être un matériau évolutif, un «work in progress» réflexif. Se contenter d’en conserver la coquille esthétique passéiste (le joli village, les costumes d’époque) sans prendre en compte son questionnement moral et sa dimension morale et symbolique ressemblerait à s’y méprendre à une lecture au premier degré, une lénifiante leçon de choses, un contre-sens tant cinématographique que littéraire.

Ursula Michel

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