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L'acné, fruit de l'évolution humaine

Temps de lecture : 8 min

Mère Nature nous a donné les boutons, puis des complexes à leur sujet. Nous avons perdu trop vite notre pelage de primate.

Bains de boue au bord de la mer morte  Muhammad Hamed / Reuters
Bains de boue au bord de la mer morte Muhammad Hamed / Reuters

Les humains sont boutonneux. C'est une des choses qui nous distingue du reste du royaume animal. S'il est vrai que certaines formes d'acne vulgaris affectent d'autres espèces – observées chez quelques chiens nus mexicains et induites expérimentalement chez la souris rhinol'acné est largement un malheur qui ne touche que notre maudite espèce. (Entre 85 et 100% des adolescents présentent de l'acné – tout comme une minorité significative d'adultes.) Pourquoi l'animal humain est-il si particulier dans sa propension aux comédons volcaniques, papules, pustules, abcès nodulaires et, dans les cas les plus graves, aux cicatrices à vie? Pour les théoriciens évolutionnaires Stephen Kellett et Paul Gilbert, nous devons probablement ces imperfections peu ragoûtantes au fait d'avoir perdu trop vite nos pelages de primates.

Même si une peau de plus en plus glabre (sans poils) peut avoir évolué selon des visées adaptatives – ce qui aurait permis à nos ancêtres, par exemple, de ne pas avoir trop chaud dans leurs périples à travers la torride savane – le rythme effréné avec lequel les gènes d'une peau imberbe ont été sélectionnés nous a posé quelques problèmes cosmétiques. Kellett et Gilbert observent que l'évolution de nos glandes sébacées, habituées à fonctionner avec une peau recouverte de poils, est en retard par rapport à ce changement dans notre apparence.

Par conséquent, tout ce sébum huileux et cireux, habituellement commis à la lubrification de la fourrure, s'est retrouvé avec beaucoup moins de fourrure à lubrifier. Ce qui poussa le sébum, à la place, à s'accumuler et à boucher nos pores. (Une personne souffrant d'hypertrichose – qu'on appelle aussi «syndrome du loup-garou» – a beaucoup de problèmes à gérer, mais l'acné n'en fait pas partie.)

En tout cas, cette analyse évolutionnaire des boutons vaut mieux qu'une explication par dessein intelligent. Quel Dieu cruel, en effet, aurait pu ainsi détraquer le temps et faire que nos glandes sébacées gonflent leur production de sébum pile poil à un moment du développement humain où nous devenions de plus en plus soucieux de notre apparence?

Mais les choses sont encore pires quand on pense qu'un autre trait typiquement humain dont l'évolution nous a doté rend toute poussée d'acné excessivement cruelle. Je parle, évidemment, de notre handicapante réceptivité aux pensées de nos congénères. Cette affirmation a beau être sujette à controverse, il semble probable que les autres espèces ne partagent pas notre talent subtil pour s'émouvoir du point de vue et des richesses psychologiques d'autrui. (Comme je l'ai déjà dit, les humains sont des psychologues innés dotés d'une «théorie de l'esprit.»)

Dans ce cas-là, voir une lueur de dégoût, ou même de curiosité plus innocente, se refléter dans le regard d'un autre humain qui s'attarde discrètement sur nos défauts physiques, nous plonge dans un état d’écœurement tout à fait propre à notre espèce. Quiconque a déjà eu un bouton, odieux et mûr, placé stratégiquement par la fatalité épidermique juste au bout de son nez connaît ce douloureux état interpersonnel.

Prenez cette scène du Huis clos de Jean-Paul Sartre, dans laquelle trois étrangers comprennent qu'ils viennent tout juste d'arriver en Enfer, un Enfer qui ressemble, assez bizarrement, à une salle de séjour ordinaire et meublée. L'insidieux stratagème du Diable, cependant, fait qu'il n'y a ni fenêtres ni miroirs dans cette pièce, et qu'il est interdit d'y dormir. Même les paupières des personnages sont paralysées, ce qui les prive aussi du simple luxe consistant à cligner des yeux. Leur mesquine et exquise torture consistera, pendant toute l'éternité, à subir sans relâche le regard acerbe des autres.

Inès, une lesbienne sadique, sait parfaitement appuyer où l'autre femme de la pièce a mal. «Qu'est-ce que tu as là,» demande-t-elle en examinant de visage d'Estelle, «au bas de la joue? Une plaque rouge?»

«Une plaque rouge», répète frénétiquement Estelle, la pauvre bichonne privée de miroir, «quelle horreur!».

L'allégorie chthonienne de Sartre présente une ressemblance frappante, en fait, avec le genre de vie infernale que les victimes d'acné déclarent subir au quotidien. Pour un article, en 2005, du British Journal of Health Psychology, par exemple, les psychologues Craig Murray et Katherine Rhodes, se sont entretenus, par email, avec une douzaine de membres d'un forum d'entraide pour acnéiques, des personnes qui s'étaient vu prescrire des antibiotiques ou des traitement hormonaux pour une maladie dont ils souffraient depuis au moins un an. «Michelle» décrit ainsi brillamment ce qu'elle ressent lorsqu'elle fait une nouvelle rencontre, en tête-à-tête:

«Je peux sentir mes complexes lentement me consumer à mesure que la conversation avance. A un moment, je n'arrive même plus à contenir le flot de mes pensées et je finis par me taire. Je me délite. Je suis submergée par tout ce que les autres peuvent penser – même si cela n'a pas en général de spécificité quelconque. Ce serait un effort trop douloureux à faire. Mais je leur donne une voix générale. J'imagine qu'ils ont vu l'acné et qu'ils ont toutes les chances de me déprécier à cause sa présence»

Une autre femme, «Laura», écrit dans son mail:

«Quand je parle à des gens, je les regarde toujours droit dans les yeux pour voir si leurs pupilles se perdent sur d'autres endroits de mon visage où j'ai des boutons. Et c'est le cas, en général.»

En parlant de ceux qui pensent aux pensées des autres, je sais ce que vous pensez: ceux pour qui l'habit fait ainsi le moine, ou qui ostracisent de la sorte un pauvre gars boutonneux devraient subir à leur tour la vindicte publique. Je suis tout à fait d'accord. Mais qu'importe notre sympathie – ou même notre empathie – pour les individus souffrant de telles maladies de peau, même le plus indulgent d'entre nous associera probablement les acnéiques avec des caractéristiques indésirables.

C'est ce que montrent en tous cas les résultats d'une étude de la psychologue de l'Université de Sheffield, Tracey Grandfield, et de ses collègues, parue dans un numéro de 2005 du Journal of Health Psychology. En utilisant une variante du test d'association implicite – un moyen de définir empiriquement les attitudes et les croyances inconscientes des gens – les auteurs trouvèrent que, comparé à nos jugements d'individus à la peau saine, nous associons rapidement des concepts désagréables (brutal, mauvais, laid, énervé, agressif, vomi, méchant) avec des personnes souffrant d'acné.

Ces chercheurs, tout comme Kellett et Gilbert, avancent que ces réactions viscérales, injustes et inconscientes face à des personnes souffrant d'acné sévère trahissent nos origines évolutives. Des études antérieures montrent que des altérations significatives de la surface de la peau – faisant voir du sang, du pus ou des squames – provoquent d’avantage de dégoût et de craintes de contamination parmi ceux qui les observent que des imperfections «propres», comme du vitiligo ou des tâches de vin.

Pour de nombreux individus, et surtout ceux dont la sensibilité sociale est une forte composante de leur personnalité, l'acné n'est pas une simple nuisance; il peut, par contre, saper de manière désastreuse l'image de soi fondamentale des individus concernés, mener à de très graves problèmes de santé mentale, et parfois même rivaliser avec les troubles associés à une défiguration provoquée par des brûlures ou des accidents.

Un tiers des adolescents néo-zélandais qui se décrivent eux-même comme ayant un «problème d'acné» a déjà pensé au suicide, un quart manifeste des niveaux cliniquement significatifs de dépression, et un dixième souffre d'anxiété très forte. En 1948, déjà, les cliniciens Marion Sulzberger et Saide Zaidens concluaient que:

«A notre avis, il n'y a pas d'autre maladie bénigne qui cause autant de traumatismes psychiques, de difficultés d'adaptation entre parents et enfants, de sentiments d'insécurité générale et d'infériorité, et plus de souffrances psychiques que l'acne vulgaris

C'était il y a plus de 60 ans et, évidemment, le secteur des traitements anti-acné a énormément progressé depuis. (Tout comme le sous-champ psychiatrique de la psychodermatologie.) Et sans être lui aussi dénué d'effets secondaires désagréables, c'est le cas d'un secteur pharmaceutique encore plus prospère cultivant un nombre d'onguents, de crèmes et de pilules, dépassant tout ce dont un acnéique du purulent temps jadis aurait pu rêver.

Cependant, aujourd'hui, tous les acnéiques ne jouissent pas d'un accès équitable à de tels traitements, les réponses individuelles à ces médicaments sont loin d'être homogènes, et un «remède» sans danger contre l'acné demeure introuvable. En fait, j'ai l'impression que, par rapport aux générations précédentes, les personnes souffrant d'un acné modéré à sévère sont aujourd'hui encore plus déprimées que leurs parents.

Comme les gens en surpoids ayant tenté sans succès tous les régimes possibles et qui souvent se sentent impuissants face à leur maladie, quiconque a vainement essayé de se débarrasser de son acné par divers traitements doit avoir aujourd'hui encore plus honte que jamais.

C'est une maigre consolation pour ces pauvres hères que de savoir que leur condition, comme la plupart des traits humains, est déterminée par un mélange de gènes et d'environnement. Comment, précisément, notre ADN interagit avec notre régime alimentaire, nos habitudes d'hygiène faciale, notre exposition au soleil ou d'autres facteurs, nul ne le sait encore.

Cependant, tout comme certains membres de cette sympathique race, le chien nu mexicain, sont plus prompts à l'acné que d'autres, certains parmi nous, souffrent d'avantage de la maladie du singe nu.

Parallèlement, l'acné semble être moins lié à notre façon de vivre qu'à la famille qui nous a vu naître. Curieusement, et pour des raisons encore obscures, certaines populations humaines, comme les insulaires Kitavan de Papouasie-Nouvelle-Guinée et les Aché du Paraguay, sont épargnées par cette peste aux points noirs. Même si leur régime alimentaire et leur mode de vie sont très différents des nôtres, leurs gènes le sont aussi.

Oui, dans le cas présent, moins c'est mieux. Rares sont ceux à posséder le pelage soyeux d'un Wookie, ou qui sont nés parmi les indigènes des îles Kitavan, et une vie entièrement épargnée par les boutons reste tout à fait exceptionnelle. Dans le meilleur des cas, si votre peau ne fait pas trop de zèle en termes de production de sébum, comme tout le monde, vous n'aurez à souffrir que de petites poussées passagères, ici ou là.

Idéalement, pour votre santé psychologique, il vaut mieux que les boutons se cachent ici, plutôt que , au beau milieu de ce drapeau clignotant qu'est votre visage.

Mais que votre acné disparaisse avec votre adolescence, ou pas avant 40 ans, vos glandes sébacées, je vous le promets, s'assècheront un jour comme le lit d'une fleuve disparu. Et alors que vous auriez pu facilement vous perdre dans les sillons creusés par ses glorieuses rides, je ne me souviens pas qu'un seul bouton ternissait le visage de ma grand-mère de 89 ans, tandis son âme non-éthérée se faisait paisiblement réhydrater par le formol.

Souvenez-vous donc, vous tous qui rougissez de vos rougeurs, et qui êtes rongés par de suintantes lamentations, l'acné est certes une calamité, mais elle passe. Il n'y a pas de honte à avoir honte, demandez donc de l'aide si vous en avez besoin. Vous n'êtes pas seul dans votre malheur, mais gardez un peu de votre inquiétude pour ces rides bien méritées qui se forment lentement. Et avant tout, soyez gentil avec le singe qui, au fond de vous, a perdu ses poils trop vite.

Jesse Bering

Traduit par Peggy Sastre

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