Après beaucoup de bruit, le projet « prime contre dividende » aurait pu être ramené à ce qu’il ressemblait dès le départ : un aménagement de la participation, dont la justification est précisément de distribuer une partie des bénéfices aux salariés. Il aurait été assez logique que ce principe introduit dans la loi en 1959, fût utilisé dans la perspective d’une meilleure répartition des fruits de la croissance.
Pour que la distribution soit plus importante, il aurait suffi alors de déplacer le curseur et d’étendre le système. On gardait l’outil, dont tout le monde – patronat et syndicats de salariés – sait se servir, et on l’aménageait. La solution privilégiée par le gouvernement semble être différente, mais il appartiendra aux partenaires syndicaux de l’affiner.
Un projet qui se rapproche du système actuel
Evidemment, les effets de manches sont moins spectaculaires que pour annoncer une prime de 1.000 euros au moins. Mais cette hypothèse a d’ores et déjà été balayée. François Baroin, ministre du Budget et porte-parole du gouvernement qui avait lui-même jeté ce pavé dans la mare, est revenu en arrière : il n’y aura pas de niveau minimum, le montant dépendra de discussions, et l’obligation ne touchera que les entreprises de 50 salariés et plus … comme pour la participation.
Pour les moins de 50 salariés, la prime sera facultative. Et même au plan fiscal, elle aura le même statut que la participation. Plutôt que de procéder à un empilage de dispositions, on revient donc dans un cadre connu. Reste à l’actualiser, et à permettre à un plus grand nombre de salariés d’être concerné. C’est là que se situe le véritable problème pour le gouvernement.
Aujourd’hui, la participation est obligatoire…. mais seulement pour les entreprises industrielles et commerciales de plus de 50 salariés. Les entreprises plus petites n’y sont pas assujetties, ni celles du secteur associatif, ni les administrations (centrales ou territoriales)… En bout de course, «seulement un salarié sur quatre ou cinq touche la participation», estime Michel Bon, qui préside l’association Fondact pour une gestion participative de l’épargne dans l’entreprise et de l’actionnariat salarié. Le gouvernement a donc du grain à moudre.
Etendre la participation aux salariés qui en sont privés
Peu de temps avant le débat sur la fameuse prime, cette association avait rencontré Xavier Bertrand, ministre du Travail, pour lui proposer de moderniser la participation en la rattachant à l’évolution du dividende des sociétés cotées. Juste l’hypothèse de départ du gouvernement pour la prime! Problème: une telle évolution n’a de sens que pour… les sociétés cotées. Restait à trouver une autre formule pour les services de l’Etat, les associations, les petites entreprises et toutes les sociétés non cotées.
Afin que la question du partage du profit, qui est maintenant clairement posée, concerne véritablement l’ensemble des salariés. Jusqu’aux fonctionnaires? Il n’en est, à ce stade, toujours pas question. Il ne sera pas facile de leur confirmer le gel de leur indice salarial en 2012, alors que, d’après François Baroin, le principe de la nouvelle prime dans le secteur privé devrait entrer en vigueur «dès cette année».
Cette fameuse prime semble d’autant plus proche du principe de la participation que celle-ci a elle-même évolué. Initialement, les sommes versées au titre de la participation étaient bloquées pendant cinq ans. Pour relancer la consommation, le gouvernement Raffarin en 2004 décida d’autoriser le déblocage anticipé des sommes pour les salariés qui le souhaiteraient. Le ministre de l’Economie de l’époque n’était autre que Nicolas Sarkozy.
La mesure fut un succès: 2,5 millions de salariés saisirent cette opportunité, injectant 7 milliards d’euros dans la consommation. La formule a été retenue: depuis 2009, les salariés peuvent décider de disposer immédiatement des sommes versées au titre de la participation. Toutefois, ils doivent en faire la demande ; sinon, le dispositif initial s’applique. Mais si le versement immédiat, les sommes sont soumises à l’impôt, alors qu’elles en sont exonérées dans le cas d’un blocage.
Simplifier le dispositif pour mieux motiver
On le voit: la participation, c’est déjà compliqué. Elle dépend de la constitution d’une réserve dans l’entreprise dont le montant est le résultat d’une formule arithmétique absolument incompréhensible. Ensuite, le montant individualisé ne peut dépasser la moitié du plafond annuel de la sécurité sociale. Totalement hermétique! En plus, elle ne doit pas être confondue avec l’intéressement, mécanisme cette fois facultatif, fruit d’un accord collectif pour intéresser les salariés aux performances d’une entreprise. «Plus personne n’y comprend rien, il faut simplifier», souligne Michel Bon lui-même.
Même sans toucher à l’intéressement compte tenu de son caractère facultatif, le gouvernement ferait d’une pierre deux coups en modernisant la participation et en introduisant cette nouvelle prime, quitte à fondre les deux. On pourrait aussi imaginer que la participation versée immédiatement et la future prime soient soumises au même régime fiscal, pour harmoniser les statuts.
Ainsi, en donnant un coup de jeune à la participation, le gouvernement pourrait la redynamiser. Les fonds distribués par les entreprises, de 9,2 milliards d’euros en 2000, ont atteint 16,2 milliards en 2008. La hausse est importante, mais il existe encore de fortes marges de progression. D’autant que, lorsqu’elle n’est pas versée immédiatement, cette participation est transformée en épargne salariale (230.000 entreprises en proposent) à travers un plan d’épargne entreprise (PEE), puis en épargne retraite lorsque, après la période de blocage, elle passe dans un plan d’épargne retraite collectif (PERCO).
Une façon pour les salariés de se prémunir contre un tassement prévisible des pensions de retraite dans l’avenir, comme l’a démontré le débat de l’automne 2010 sur la réforme des retraites. La formule a de l’avenir.
Pouvoir d’achat contre épargne, deux logiques
Mais deux logiques s’affrontent alors: celle du pouvoir d’achat qui passe par une mise à disposition immédiate des sommes, et celle de l’épargne salariale qui implique la constitution d’une réserve individuelle. Et si on donnait aux salariés la possibilité de choisir eux-mêmes l’utilisation des sommes qu’ils reçoivent? C’est déjà le cas avec les aménagements apportés au système en 2009.
L’important, c’est que le dispositif ne soit pas assimilé à un complément de salaire, (qui est la traduction en rémunération d’un contrat de travail), et corresponde bien à une participation plus importante aux bénéfices (ce qui, dans ce cas, tient à la performance d’une entreprise et à la dynamique d’un marché). Il appartient alors aux partenaires sociaux de définir des formules qui distingue bien les deux logiques. Pour le reste, à chacun de gérer ses gains.
Gilles Bridier