Culture

Marie-France Pisier, comme une traînée de foudre

Temps de lecture : 3 min

Actrice, réalisatrice, auteure, féministe... malgré une carrière sans premier rôle marquant, Marie-France Pisier a incarné la Nouvelle Vague, la séduction et la rébellion des années 60 et continué d'irradier les décennies suivantes.

Comme un Avion. © Mireille Ampilhac pour AlloCiné Agrandir
Comme un Avion. © Mireille Ampilhac pour AlloCiné Agrandir

Dans les travées de la salle Pleyel, sans rien faire d’autre que de rajuster sa jupe, elle séduit et intimide le jeune Antoine Doinel. A ce concert des Jeunesses Musicales de France, temps fort du court métrage de François Truffaut pour le film collectif L’Amour à 20 ans, c’est toute une génération qui en 1961 tombe sous le charme de Marie-France Pisier. Et plusieurs autres générations ensuite.

Elle a la beauté de Gene Tierney et le magnétisme de ses 17 ans. Corps, visage, gestuelle, voix, en un fraction de seconde elle impose une présence totale et inaccessible. Tout est joué. Ce coup de foudre laissera une traînée d’éclairs dans quelques uns des films qu’elle interprètera au cours d’un parcours d’actrice qui durera près de 50 ans.

Marie-France Pisier, trouvée morte dans la piscine de sa maison de Saint-Cyr-sur-Mer ce dimanche 24 avril, aura eu une seule vie mais plusieurs trajectoires simultanées : actrice, réalisatrice, écrivain, femme engagée publiquement, en particulier en mai 68 et dans le cadre du mouvement féministe, et avec des effets sur sa vie privée dont elle ne fit pas mystère, notamment aux côtés de Daniel Cohn-Bendit et de Georges Kiejman.

Ecrivain, elle est l’auteure de quatre livres tous publiés chez Grasset, dont le premier, Le Bal du gouverneur, qu’elle devait ensuite adapter au cinéma, évoque le monde de son père, administrateur colonial, figure d’une France du temps de l’empire d’Outre-Mer et de Vichy. Sa sœur, Evelyne Pisier, a elle aussi marqué la vie publique notamment en jouant un rôle important dans la politique du livre mise en œuvre par Jack Lang.

Actrice, Marie-France Pisier a joué dans une dizaine de pièces de théâtre et autant de téléfilms, et pas moins de quarante films, dont certains (Cousin cousine, La Banquière, L’As des as…) ont eu un grand succès. Elle n’a jamais eu de premier rôle marquant, mais c’est comme si, au travers de cette carrière conséquente, scintillait une traînée de foudre. Comme si demeurait, dans les meilleurs des cas, les retrouvailles avec le magnétisme et l’étrangeté de la rencontre avec la Colette inventée par Truffaut, cette jeune bourgeoise habitée d’une lumière de star, et qui s’en va. Jamais elle ne reviendra, jamais elle ne sera au-devant de la scène.

Sur de nombreuses tonalités, extrêmement sensuelle, enjouée aux limites de la folie ou d’un mystère décuplé par sa voix si particulière et troublante, c’est cette vibration qui court à travers les titres vraiment importants de sa filmographie: Baisers volés (1968), Le Fantôme de la liberté (Luis Buñuel, 1974), Céline et Julie vont en bateau (Jacques Rivette, 1974), Souvenirs d’en France (André Téchiné, 1975), Barocco (André Téchiné, 1976), L’Amour en fuite (François Truffaut, 1979), Les Sœurs Brontë (André Téchiné, 1979), Le Temps retrouvé de Raoul Ruiz (1999), Dans Paris (Christophe Honoré, 2006).

C’est évidemment le cas lors de ses deux réapparitions chez Truffaut, dont l’une qu’elle a contribué à orchestrer, coscénariste de L’Amour en fuite qui est une balade mélancolique à tout ce qu’a incarné la saga Doinel, pour le cinéma, pour une génération. Mais c’est aussi vrai de son statut de fantasme chez Buñuel et du fascinant spectre qu’elle campe chez Rivette, dans un film dont elle est à nouveau co-auteure (avec toutes les autres actrices de cette œuvre-utopie).

Et si Souvenir d’en France fait exception en lui offrant, même dans le sillage impérial de Jeanne Moreau, sans doute son seul grand rôle «normal», de plain-pied, fut-ce dans un cadre aussi stylisé que le deuxième long métrage d’André Téchiné, celui-ci aussi la retrouve aussitôt après en figure tutélaire, abstraction plus que personnage, dans Barocco.

Avec le même cinéaste, un de ceux qui l’aura admirablement filmée, se joue ensuite l’étrange jeu triangulaire des Sœurs Brontë, ce grand film mal-aimé et méconnu: les deux Isabelle, Huppert et Adjani, sont de toute évidence devant un avenir qui s’ouvre à elles, pas Marie-France Pisier. C’est cruel, oui, comme sera cruel mais juste (et elle le savait évidemment) de lui confier 20 ans plus tard le rôle de Madame Verdurin, qu’elle habite si remarquablement pour Raoul Ruiz. Comme il y a aussi une cruauté, même mêlée d’une infinie tendresse, et une entière exactitude à ce qu’elle soit la mère de Louis Garrel et Romain Durris dans Dans Paris.

A certains égards, ce film raconte son histoire, son histoire d’actrice bien sûr, pas son histoire de femme: celle d’une incarnation de la Nouvelle Vague et des années 60, d’une séduction et d’une rébellion qui ont brillé d’un feu bref et éphémère pour très vite s’éloigner, mais qui continuent d’irradier, parfois joyeusement et parfois sur un mode mélancolique, les années et les décennies qui suivent. Contre cela, la mort ne peut rien.

Jean-Michel Frodon

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