Vous pouvez écouter les morceaux cités dans cet article sur nos playlists Deezer et Spotify.
***
L'invitation collective pour le mariage princier adressée à la rédaction de Slate.fr s'étant vraisemblablement perdue au courrier quelque part entre Londres et Paris, nous ne pourrons pas conseiller en personne à William quelles chansons passer lors du bal après son mariage avec Kate Middleton. S'il ne veut pas se voir infliger celles qu'Elizabeth II stocke sur son iPod ou supporter en boucle la reprise de Stevie Wonder que George Michael a prévue en cadeau, en voici dix (évidemment expurgées –soyons patriotes– des moqueries des mangeurs de grenouilles coupeurs de têtes) qui à court sûr enflammeront la party de Buckingham et l'aideront à...
… assumer son côté punk
The Sex Pistols – God Save the Queen (1977). «Les gens pensent que je hais la famille royale, mais ce n’est pas vrai», expliquait l’an dernier dans le Sun John Lydon en adressant ses félicitations à Kate et William pour leur mariage. Il y avait mis du sien en clamant «God Save the Queen/She ain’t no human being» («Dieu sauve la reine/Elle n’est pas un être humain») dans ce qui reste le pamphlet punk définitif contre la monarchie britannique. Ecrit à l’occasion des vingt-cinq ans de l’accession au trône de la reine (le silver jubilee), God Save the Queen avait pour titre initial sa coda, No Future, avant que le manager Malcolm McLaren n’impose une version plus vendeuse. Le single se hissa à la deuxième place des charts malgré une grève des ouvriers chargés de le presser: la rumeur veut que les ventes d’un single de Rod Stewart aient été truquées pour bouter les Pistols hors de la première place…
… rendre hommage à son aïeule
The Kinks – Victoria (1969). Quand on élabore une playlist thématique sur le Royaume-Uni, on tombe forcément sur les Kinks, Encyclopaedia Britannica pop à eux tous seuls. La preuve, la face B de cette chanson, dans sa version single, s’appelle Mr Churchill Says… Hommage doux-amer à l’Angleterre du XIXe siècle, à son Empire colonial sur lequel le soleil ne se couchait jamais et à ses petites gens persécutés par les riches mais prêts à se battre pour leur pays («Though I am poor, I am free/When I grow I shall fight/For this land I shall die»), Victoria avait aussi une résonance particulière pour Ray Davies: ce n’était pas seulement le prénom de la plus célèbre souveraine anglaise (1837-1901), arrière-arrière grand-mère de la reine actuelle, mais celui de sa deuxième fille, née quelques mois plus tôt.
… se moquer de son père
The Smiths – The Queen is Dead (1986). William s’est-il un jour senti «choqué et honteux de découvrir» qu’il était «le dix-huitième pâle descendant d’une vieille reine ou autre» («I was shocked into shame to discover/How I'm the 18th pale descendant/Of some old queen or other»)? Si c’est le cas, le premier morceau du troisième Smiths éponyme sera parfait pour lui, d’autant plus qu’il ne se moque pas seulement de sa grande-mère («Sa grande Bassesse avec sa tête bandée/Je suis désolé, mais ça semble être une chose merveilleuse»), mais aussi de son père, destiné à être roi quand la queen sera réellement dead («Cher Charles, n’as-tu jamais eu envie d’apparaître en Une du Daily Mail, vêtu du voile de mariée de ta mère?»). Pour les fans, signalons aussi un site complotiste qui affirme que Morrissey, dans cette chanson, avait prévu l’accident fatal de Diana.
… ou lui couper la tête
McCarthy – Charles Windsor (1987). Vers la fin des années 80, la guillotine était un accessoire fashion pour la scène anglaise: quelques mois avant le Margaret on the Guillotine de Morrissey («Les gens bien font un rêve merveilleux/Margaret sur la guillotine»), les anglais de McCarthy, notamment connus pour leur présence sur la cassette C86 du NME, envoient le prince héritier à l'échafaud sur leur premier album: «One, two, three, four/Charles Windsor, who's at the door?/At such an hour, who's at the door?/In the back of an old green Cortina/You're on your way to the guillotine» («Un deux trois quatre/Charles Windsor, qui est à la porte ?/A une telle heure qui est à la porte ?/A l’arrière d’une vieille Cortina verte/Tu es sur le chemin de la guillotine»). Le groupe sortira même quelques mois plus tard une compilation de singles intitulée, en français dans le texte, A La Guillotine!
... rendre hommage à Lady Di
Pet Shop Boys – Dreaming of the Queen (1993). Oubliez Candle in the Wind d’Elton John, la chanson qui parle de la façon la plus intéressante de Lady Di est l’œuvre de Neil Tennant. Le chanteur des Pet Shop Boys y imagine une rencontre autour d’un thé avec Elisabeth II et la princesse de Galles, lors de laquelle la souveraine, dont trois des enfants viennent de divorcer en 1992 (la fameuse annus horribilis), s’étonne que «l’amour semble ne jamais durer, quels efforts qu’on fasse». «And Di replied/That there are no more lovers left alive/No one has survived/And that's why love has died» («Et Di a répondu qu’il n’y avait plus d’amoureux en vie/Aucun n’avait survécu et c’est pourquoi l’amour est mort»), chante alors Tennant, en référence à l’épidémie de sida. Une maladie contre laquelle la princesse s’était effectivement impliquée.
... moquer sa richissime grand-mère
The Housemartins – Flag Day (1985). Côté pile, les Housemartins, premier groupe de Norman Cook alias Fatboy Slim (il y tenait la basse), c’était des chansons catchy, des ballades gospel et des clips marrants. Côté face, comme pas mal de groupes britanniques des années 80, un engagement politique marqué, symbolisé par l’inscription «Take Jesus/Take Marx/Take Hope» sur la pochette de leur premier album. Plaidoyer pour l’action sociale contre la charité («Too many Florence Nightingales/Not enough Robin Hoods»), Flag Day se moque implicitement du rock humanitaire et égratigne au passage la souveraine et son portefeuille «obèse au point d’exploser» («Try shaking a box in front of the queen/'cause her purse is fat and bursting at the seams»).
... ou tirer le rideau sur son règne
The Stone Roses – Elizabeth My Dear (1989). Musique élégante, propos tranchant et concis: une glorieuse révolution qui coupe en deux le premier album des Mancuniens. Le morceau est décalqué du doux Scarborough Fair, ballade traditionnelle du XVIe siècle popularisée en 1966 par Simon and Garfunkel, mais les paroles ont été changées pour attaquer la monarchie: «I'll not rest till she's lost her throne/My aim is true, my message is clear/It's curtains for you, Elizabeth my dear» («Je ne me reposerai pas avant qu’elle ait cédé son trône/Mon but est légitime, mon message clair/Pour toi, Elisabeth chérie, c’est rideau»). Cette chanson, ainsi que les propos du chanteur Ian Brown dans la presse sur le prince Charles («Je voudrais le voir mort. Je voudrais lui tirer dessus. Il possède des hectares et des hectares de terres, avec des grandes propriétés qu’il n’a jamais vues. Et il y a des gens qui vivent dans des taudis dans ces coins-là») provoquèrent des demandes de boycott de certains élus aux Communes.
… effrayer son épouse
Rick Wakeman – Anne Boleyn «The Day Thou Gavest Lord Hath Ended» (1973). A défaut d’être un mari idéal, le roi Henry VIII (1509-1547) était une source d’inspiration idéale pour un membre de Yes: à l’époque horrible où les albums étaient souvent prog, fréquemment doubles et obligatoirement concept, ses six épouses fournirent autant d’idées de morceaux au clavier du groupe britannique pour son deuxième album solo, The Six Wives of Henry VIII, intégralement instrumental. Si William a l’esprit facétieux, on lui conseille de choisir le morceau Anne Boleyn pour sa playlist de mariage: la seconde femme d’Henry VIII est une des deux qu’il a fait exécuter. S'il veut être plus conciliant, il pourra se reporter sur Catherine Parr, qui survécut à son Barbe-Bleue de mari et porte le même prénom que son épouse.
… se souvenir de 1981
The Specials – Ghost Town (1981). Le 29 juillet 1981 n’était pas seulement la date du mariage de Charles et Lady Di, mais marquait aussi la fin de la troisième semaine du couronnement des Specials, numéro un des charts avec le single Ghost Town depuis le 11 juillet. «Le gouvernement laisse la jeunesse sur le bas-côté/Cet endroit devient comme une ville fantôme/Plus d’emplois à trouver dans ce pays/Cela ne peut plus durer/La colère gagne les gens», fredonnent avec mélancolie les chanteurs Terry Hall et Neville Staple le long de cette ballade en train fantôme dans l’Angleterre de la crise économique et des tensions sociales, sortie dans la foulée des émeutes survenues à Brixton, Manchester, Liverpool ou Birmingham. Un morceau devenu un tel symbole de la société anglaise à l’époque du mariage princier qu'un groupe Facebook militait pour son retour en haut des charts en avril 2011…
… et finir en beauté
The Beatles – Her Majesty (1969). A la fin de leur carrière, les Beatles, peut-être parce qu’ils s’apprêtaient à se disperser en solo, étaient apparemment d’humeur monarchique: après qu’ils aient joué God Save The Queen lors du fameux «concert sur le toit», Paul McCartney enregistra seul les 23 secondes de ce morceau-hommage à la reine un peu moqueur («Her Majesty is a pretty nice girl/But she doesn’t have a lot to say»). Intégrée à l’arraché après le medley final d’Abbey Road (McCartney voulait l’effacer mais l’ingénieur du son, qui ne pouvait se résoudre à supprimer un enregistrement des Beatles, la copia à la fin de la bande, ce qui plut au bassiste), Her Majesty restera pour l’éternité la dernière chanson du dernier album enregistré par le groupe. Et ce qui est bien, c’est qu’aucun nom n’y est cité: si William veut jouer la sérénade à Kate, il peut la lui réciter telle quelle.
Jean-Marie Pottier