Il y a exactement 20 ans, le Monte-Carlo Country Club, qui accueille cette semaine son prestigieux tournoi de tennis annuel, avait été le cadre enchanteur d’un retour rocambolesque: celui de Björn Borg. Huit ans après avoir raccroché ses raquettes, le célèbre joueur au bandeau s’était mis en tête de reprendre le collier à près de 35 ans armé d’une raquette en bois! Avec quelle motivation et quelles ambitions? Personne ne l’a jamais vraiment su, mais toujours est-il que le sextuple vainqueur de Roland-Garros et quintuple champion de Wimbledon a complètement raté ce retour improbable, encaissant une série de 12 défaites consécutives avant de mettre sagement un terme à cette triste, voire pathétique, expérience.
Lorsqu’il s’en était allé une première fois en 1983, toujours à Monte-Carlo, le Suédois était au bout du rouleau à seulement 26 ans et il avait alors effectué une sortie en queue-de-poisson en plantant un peu tout le monde à la surprise générale alors que son aventure sportive était encore promise à de nombreux titres majeurs. Plus tard, ce goût d’inachevé avait été la cause probable de cette réapparition malheureusement fantomatique.
Plusieurs scénarios
Le mode de ponctuation des champions quand ils s’arrêtent est de plusieurs ordres. Il y a ceux qui usent du point d’exclamation en partant sur un coup d’éclat, ceux qui s’arrêtent sur un point final, parfois brutal comme Borg, et ceux qui terminent par trois petits points en quittant la scène un peu sans prévenir, sans se faire trop remarquer, le temps finissant par entériner un choix qui n’était peut-être pas définitif au départ. Certains tirent carrément à la ligne comme Jeannie Longo qui ne sait plus quand et comment descendre de son vélo. Il y a également ceux qui, hélas, sont interrompus par la mort en pleine jeunesse et ne finiront jamais leur œuvre, comme Ayrton Senna, parti au faîte de sa gloire dans un virage du circuit d’Imola en 1994.
Savoir conclure une carrière est un souci moins négligeable qu’on l’imagine pour les sportifs de très haut niveau et nul doute qu’à bientôt 30 ans, Roger Federer doit avoir cette pensée bien rangée dans un coin de sa tête. Sa retraite n’est pas à l’ordre du jour, n’en déplaise à tous les fans les plus enragés de Rafael Nadal ou de Novak Djokovic qui aimeraient bien l’ensevelir définitivement sous quelques pelletées de terre battue. Il faut dire que le Suisse a subi la loi de la domination de ses deux cadets et les premières affres des tenants du «il est fini» au cours de ce début de saison. Un refrain qu’il n’a pas fini d’entendre au gré de ses défaites qui, désormais, prendront un tour à chaque fois tragique dans nombre de commentaires en raison de son «grand âge».
Federer, qui est un faux modeste comme tous les grands champions et a, au contraire, un ego très développé, entend bien partir sur un ultime exploit et donc sur un point d’exclamation, ce qui n’est pas donné à la première idole venue. Car quand savoir qu’il s’agit du jour J?
Parmi ceux qui ont réussi à identifier et à glorifier cet instant unique, citons deux as dans leur domaine: Zinedine Zidane et Pete Sampras. Le premier a joué le dernier match de sa carrière à l’occasion de la finale de la Coupe du Monde 2006 à Berlin. Il savait que c’était son ultime rencontre et il n’a pas manqué sa sortie, c’est le moins que l’on puisse dire, dans un moment hallucinant d’égotisme pendant lequel il a réussi à tirer toute la couverture médiatique à lui. Doublement. En signant un penalty «à la Panenka» ahurissant d’audace et en se faisant expulser après un coup de tête au joueur italien Materazzi dont on parlera encore dans un siècle. Zidane a ponctué sa carrière par deux!! Chapeau l’artiste
Sampras, le départ parfait
En 2002, Sampras a joué, lui, son dernier échange sur le central de Flushing Meadows. Point qui correspondait, ni plus ni moins, à une balle de match contre Andre Agassi en finale de l’US Open. Dans un somptueux dernier coup de reins, l’Américain s’est ainsi retiré sur son 14e et dernier titre du Grand Chelem. Il n’a plus disputé le moindre match ensuite. Sampras, qui traînait sa peine depuis de longs mois (il n’était plus que 17e mondial en abordant cet US Open et n’avait plus enlevé la moindre épreuve depuis 26 mois), a compris, sur l’instant, qu’il ne servait à rien de continuer, à 31 ans. Il venait de jeter ses derniers feux de la manière la plus incandescente qui soit. Si Federer venait à s’adjuger son 17e tournoi du Grand Chelem dans quelques mois, saura-t-il avoir cette lucidité et ce courage, histoire de rendre son destin sportif encore plus universel? Cette interrogation doit le tarauder au-delà de ses déclarations de principe. S’en aller sur une défaite au deuxième tour à Wimbledon ne lui irait certainement pas au teint.
Finir une carrière, c’est aussi savoir ne pas la reprendre. Borg, on l’a dit, a commis cette erreur et ce petit péché d’orgueil. Comme lui, ils ont été nombreux à vouloir et à manquer ce retour. Par exemple, beaucoup estiment que Michael Schumacher, qui se traîne actuellement dans le peloton de la Formule 1, n’a rien gagné en sortant de sa retraite dorée en 2010 tant un huitième titre de champion du monde paraît actuellement hors de portée. Lance Armstrong s’était trouvé de son côté un alibi avec sa fondation pour remonter sur sa bicyclette. Michael Jordan a illustré de manière presque caricaturale la difficulté de cette petite mort du champion en effectuant deux retours. Le premier, réussi, avec trois nouveaux titres NBA au sein des Chicago Bulls, le second, manqué, avec les Washington Wizzards. Comme pour les films, les suites ne sont pas toujours très réussies. Le II ou le III est rarement aussi bon que le I.
A son âge, Federer n’entamera jamais de II, mais il ne faudra pas longtemps avant que certains ne se mettent à réclamer la fin du I au nom de son passé glorieux si les défaites venaient à s’accumuler. Depuis qu’il a été éjecté du duo de tête du classement mondial par le Serbe Novak Djokovic, invaincu en 2011, le Suisse est cerné par les questions sur son prétendu déclin, ce qui a le don de l’agacer superbement. Pour l’énerver encore plus, Djokovic, qui n’est pas son ami et avec qui il entretient des relations compliquées, a lâché une pincée de sel sur ses plaies voilà quelques semaines en s’adressant ainsi à Rafael Nadal lors d’une remise des prix, à Indian Wells, en Californie: «Rafa, tu es le plus grand joueur de tous les temps.» Federer, probablement furieux d’avoir entendu de tels propos, a, à l’évidence, quelques comptes à régler avant de tirer sa révérence. Il est probable qu’il soit même plus proche aujourd’hui du poing sur la figure que du point final…
Yannick Cochennec