Économie

Quelle sortie de crise pour la France?

Temps de lecture : 3 min

Les économistes Olivier Pastré et Yann Algan, Christian Charpy, directeur général de Pôle Emploi et Bernard Ernst, directeur des études statistiques de Pôle Emploi, ont fait part de leurs analyses lors de la conférence nationale du club RH Pôle Emploi organisée le 7 avril en partenariat avec Slate.fr et animée par Eric Le Boucher.

A Nice, en mars 2009. REUTERS/Eric Gaillard
A Nice, en mars 2009. REUTERS/Eric Gaillard

«Les séquelles de la crise ne sont pas effacées, constate Bernard Ernst, directeur des études statistiques de Pôle Emploi. Ni le PIB, ni la production industrielle, ni l'emploi n'ont retrouvé les niveaux d'avant la récession de 2008.» Le rebond, sensible, est encore fragile. Les 120.000 emplois créés en 2010 ne comblent qu'un tiers des postes perdus en 2008-2009. «Et nous avons toujours un demi-million d'emplois de moins qu'au début de 2008», insiste Yann Algan, économiste et professeur à Sciences Po.

Le chômage touche encore plus de 4 millions de personnes et place la France en cinquième position des pays européens les plus atteints, après l'Espagne, l'Irlande, la Grèce et le Portugal. Pourtant les chefs d'entreprise français ont le moral, leurs prévisions d'investissement sont en forte hausse et leurs intentions d'embauche se confirment.

«La dernière enquête de Pôle Emploi auprès des entreprises montre un sensible renversement de tendance», affirme Bernard Ernst. De quoi requinquer leurs compatriotes? Il n'en est rien. Les Français sont les plus malheureux des hommes, leur moral est en berne, ils redoutent la hausse des prix et l'augmentation du chômage et leur consommation, moteur de la croissance dans l'Hexagone, reste fragile.

Jeunes et précaires

Yann Algan aimerait bien vaincre le pessimisme des Français. La réponse passe, selon lui, par la capacité à stabiliser et à sécuriser l'emploi. Quel est son constat? «La France se caractérise par la dualité de son marché du travail entre emplois stables et emplois non stables et par la très grande conflictualité des relations du travail.»

La crise a eu pour effet de doubler le nombre d'emplois «non standard», surtout chez les jeunes qui représentent la moitié de de ces emplois. L'essentiel des embauches sont précaires. Une évolution confirmée par Bernard Ernst: «Sur 120.000 créations de postes en 2010, 118.000 sont des emplois intérimaires.»

Dans les différentes comparaisons internationales, c'est en France que les salariés expriment le plus grand stress et la plus grande insatisfaction et que les relations du travail sont décrites comme les plus dégradées. Un exemple parmi d'autres: les enquêtes pointent en France la plus grande absence de coopération quand un salarié demande l'aide de son supérieur.

Autre handicap: la très faible délégation dans les prises de décision en entreprise. «Peut-on changer cette situation?» demande un DRH. «Ce n'est pas impossible. Les Pays-Bas qui avaient un système très hiérarchique ont changé progressivement. Mais ce n'est pas facile. La délégation, ça ne se décrète pas, répond Yann Algan. L'organisation très hiérarchique des entreprises est liée à notre système éducatif, très vertical et élitiste.» L'économiste cite une étude révélatrice sur les pratiques éducatives: «En France, les élèves passent 70% de leur temps à recopier en silence des cours écrits au tableau. En Allemagne et dans les pays d'Europe du Nord, 65% de leur temps est consacrer à travailler en groupe.»

Absence de mobilité

Ces spécificités françaises ont un coût économique, social et humain. Elles empêchent des compétences fortes, entravent l'innovation et la mobilité. «Seulement 4,5% des salariés changent annuellement de catégorie socio-professionnelle et 2% opèrent une mobilité géographique.»

Pour en sortir, Yann Algan prône le contrat de travail unique, les «mobilités sécurisées», la réforme de la formation «qui reste inégalitaire» et le développement de la démocratie sociale.

De son côté, Olivier Pastré, membre du Cercle des économistes et professeur à Paris VIII, considère que la crise n'est pas finie: «Les déséquilibres d'épargne perdurent, le système bancaire reste fragile, la situation financière des Etats aussi.» Tout n'est pas noir pour autant. «Si ce n'est pas encore le printemps, il y a déjà des hirondelles: les liquidités sont abondantes, les banques centrales se sont montrées intelligentes, il y a un pilote dans l'avion, ce n'était pas le cas en 1929.»

Deux impératifs: réindustrialiser la France, «sinon elle deviendra Venise» et réformer la formation. «Comment peut-on assurer aux gens un parcours professionnel avec un système de formation professionnelle totalement inadapté?»

Olivier Pastré dénonce aussi le déficit du système éducatif français, spécialement dans l'enseignement supérieur. Si la France investit à peu près autant dans le secondaire que la Suède et les Etats-Unis (environ 8.500 euros par étudiant), le retard devient criant dans le supérieur: 9.000 euros en France contre 17.000 euros en Suède et 25.000 aux Etats-Unis. Avec un abandon encore plus grand dans le supérieur pour l'université.

Yann Algan déplore que la formation soit mal adaptée à l'intérim. Christian Charpy, directeur général de Pôle Emploi, admet que les intérimaires s'intègrent mal dans les dispositifs de formation professionnelle. «Nous devrions les y encourager.»

Pour Yann Algan comme pour Olivier Pastré, Pôle Emploi a un rôle fondateur dans la sortie de crise et dans la sécurisation du parcours professionnel des salariés. Mais il faut lui donner plus de moyens constatent en chœur les deux économistes. Pôle Emploi, dans sa mission d'accompagnement aux demandeurs d'emploi, se veut un laboratoire d'expérimentation et développe des recherches en partenariat avec l'université. «Mais le temps de l'étude n'est pas celle du politique. Il n'a pas le temps d'attendre la mise en place d'un dispositif et de constater ses effets», souligne Christian Charpy, qui, en conclusion, se veut «résolument optimiste et particulièrement prudent».

Claire Blandin

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