Le moment semble parfait pour l’éclosion d’une nouvelle génération du rap US. Car le hip hop mainstream, lui, s’essouffle depuis le milieu des années 2000. Les vétérans du gangsta rap, en particulier, ont la gueule des mauvais jours: 50 Cent se prend pour Robert De Niro, Dr Dre et Eminem sont en plein spleen post-cure de désintox (Detox pour l’un, Recovery pour l’autre) et Snoop Dogg fricote avec Katy Perry. On frôle le pathétique. Pendant ce temps là, Nas et Jay Z, les ennemis new yorkais d’antan, se rabibochent comme si de rien n’était, le mégalo Kanye West s’essaie au rap symphonique après une overdose d’autotune, Lil Wayne file un mauvais coton rock avant de passer par la case prison, et pire, les Black Eyed Peas cartonnent avec leurs tubes rap-dance pondus à la chaîne sous la houlette du king d’Ibiza David Guetta. Bien sûr, tout n’est pas pourri au royaume du hoodie, mais un point limite a été atteint, et la décadence rôde.
C’est là que la jeune garde, profitant de l’assagissement généralisé et des outrances baroques de ses aînés, a un coup à jouer. Justement, depuis deux ou trois ans, un vent de fraîcheur balaie le web et les bacs, avec de nouveaux MC tels que Lil B, Wiz Khalifa, le collectif Odd Future Wolfgang Kill Them All, Mac Miller ou encore les plus anciens The Cool Kids et Curren$y. Ils ont pour la plupart entre 17 et 25 ans, se sont fait connaître hors circuit des maisons de disque, par leurs mixtapes, ou des albums distribués gratuitement sur le net. Très prolifique, cette génération a compris, comme leur prédécesseur Lil Wayne, que le succès passe d’abord par l’exposition sur le web. Certains communiquent même directement avec leurs fans via Twitter, Facebook ou leur site Internet, faisant de leur éloignement avec les historiques épicentres du hip hop (New York, Detroit et Los Angeles) non plus un handicap, mais un moteur et une source d’originalité.
Venus de l’Illinois, de Californie, de Pennsylvanie ou du Mississipi, ces rappeurs 2.0 cultivent souvent un look éloigné du cliché hoodie-baggy-basket, arborant tennis aux pieds avec chaussettes apparentes, tatouages, jean slim, short ou lunettes. Un peu slackers sur les bords, nonchalants en diable, ces «weirdo rappers» ne parlent pas que de fric et de Ferrari sur leurs beats ralentis, mais aussi de skate, de weed, de vélo et de fesse. Bref, ils sont cools, le savent, et sont en train d’exploser:
Mac Miller
Ne pas se fier à sa bouille de petite frappe de Manchester. Malcolm MacCormick a du sang britannique, certes, mais le blanc-bec vient d’une autre ville ouvrière: Pittsburgh, Pennsylvanie. A 19 ans, celui qui se fait désormais appeler Mac Miller a déjà de la bouteille: trois mixtapes, dont la dernière, K.I.D.S, l’a fait décoller avec ses deux morceaux phares, le magnétique Nikes on my feet et le rieur Knock Knock, basé sur un sample de Linda Scott, que les amateurs de la BO du Mulholland Drive de David Lynch reconnaîtront. Donald Trump, le premier single de sa quatrième mixtape sortie en mars (Best Day Ever) a fait plus d’un millions de pages vues sur Youtube en moins d’une semaine. Sur le Twitter de celui qui compte parmi les 11 «freshmen» désignés par l’influent magazine hip hop américain XXL en ce début 2011, on peut lire des choses comme: «Attends attends. C’est cool…Pas de raison de s’énerver…Laisse moi juste me détendre et être heureux avec la vie que je vis sans me plaindre de mes petits problèmes», ou «Prochainement: une sieste. Avec au casting: moi.» Relax, le kid de la «Rusty Belt» est aussi très pote avec un autre rappeur du coin, un certain Wiz Khalifa.
Les autres artistes de la nouvelle génération du rap américain:
Wiz Khalifa
Pittsburgh State of Mind: avec Mac Miller, Wiz Khalifa est en train de placer la ville sidérurgique de Pennsylvanie sur la carte hip hop. A 24 ans, Wiz, pro de la mixtape à la dégaine «weirdo» (mèche teinte, lunettes, tatouages, chemise à motifs et joint au bec), fait déjà figure de nouveau «Weezy», a.k.a Lil Wayne. La star à dreadlocks du rap sudiste a d’ailleurs fait référence à sa chanson Black and Yellow pendant le Super Bowl, signe d’un vrai début de reconnaissance pour Khalifa. En 3 albums, une dizaine de mixtapes, et quelques tubes dance-rap oubliables (Say Yeah), Wiz a fini par imposer son style tout-terrain, au registre textuel proche d’un Snoop Dogg avec qui il a déjà enregistré un duo, entre levrette, pépettes et soufflette.
Stakhanoviste de la mixtape, le rappeur a bien compris l’intérêt du medium Internet en ces temps de disette dans l’industrie du disque: inondant la toile de ses chansons sans forcément passer par un label, il est nommé «Rookie de l’année» par la bible hip-hop The Source en 2010. Le jour de la sortie digitale de sa dernière mixtape gratuite, l’excellente Kush and Orange Juice, les fans, ultraréactifs, font grimper le titre de l’album en première position dans les «trending topics» Twitter et Google. Proche des talentueux Yelawolf et Curren$y, Khalifa peut aussi se targuer d’avoir à son bras la belle Amber Rose, qui n’est autre que l’ex de Kanye West. Plus cool tu meurs.
Les autres artistes de la nouvelle génération du rap américain:
Le crew Odd Future
Retenez bien ce sigle, OFWGKTA. Soit Odd Future Wolf Gang Kill Them All, ou Odd Future pour les intimes. Sous cette bannière tarabiscotée sévit un collectif de Los Angeles aussi drôle que déjanté dont les jeunes membres répondent au doux noms de Tyler The Creator, leur leader de 19 ans à la voix d’outre-tombe, Earl Sweatshirt, 16 ans et déjà derrière les barreaux selon la rumeur véhiculée par le groupe, ou encore Hodgy Beats et Left Brain (formant le duo MellowHype), Domo Genesis, Mike G, Jasper Loc, Taco Bennett, les producteurs Syd tha Kid et The Super 3 et le chanteur R’n’B Frank Ocean. Leurs textes sont volontiers orduriers, mais hilarants, parfois inquiétants ou plus introspectifs, et contiennent une très forte occurrence de «Swag» (mot d’argot signifiant en gros «coolitude») et de «Fuck».
Leurs clips, faits maison, cultivent humour potache et provoc trash, à l’image des géniales vidéos Earl et Yonkers, où cafard et liquide toxique sont ingurgités. Apôtre du do-it-yourself, sur les traces de Lil B et Soulja Boy, autres rappeurs révélés via leur omniprésence sur le web, le gang de Los Angeles diffuse sa musique via un simple tumblr, gratuitement. Citant des groupes indie-rock tels que Stereolab ou Liars comme influences, habillé comme un skate kid avec short et socquettes apparentes, Tyler n’est pourtant pas un chantre de l’underground snob et de l’avant-gardisme pointu: avouant son admiration pour Justin Bieber, il a déjà remixé la chanteuse suédoise Lykke Li, et collabore actuellement avec ses idoles, les célèbres producteurs hip hop The Neptunes, tandis que Frank Ocean a un projet avec la diva Beyonce.
De l’underground au mainstream, de l’anonymat aux grosses audiences télévisées, il n’y a donc qu’un pas que le web facilite grandement, surtout lorsqu’il est utilisé par des kids aussi futés. Encore inconnus il y a un an, certains membres ont déjà signé sur des labels prestigieux comme Fat Possum ou XL. Et la vague OFWGKTA ne fait que commencer. «Odd Future pourrait simplement être le futur de l’industrie musicale», titrait le Billboard Magazine daté de mars 2011. Swag.
Les autres artistes de la nouvelle génération du rap américain:
Curren$y
Basé à La Nouvelle Orléans, Louisiane, Curren$y, 29 ans, a déjà 13 mixtapes et 4 albums derrière lui, dont deux sortis en 2010 (les excellents Pilot Talk I et II), et trois prévus pour 2011. Si sa cote est en nette hausse depuis deux ans, Shante Scott Franklin n’a jusque là pas brillé par son sens du timing, claquant la porte du label de Lil Wayne juste avant que Weezy n’explose mondialement. Proche de rappeurs discrets au style à l’ancienne tels que les excellents Jay Electronica, Trademark da Skydriver ou Big K.R.I.T, Curren$y cultive un style atmosphérique et hypnotique, long en bouche, déployé sur la durée d’un album entier - ses titres sont quasiment tous produits par le vétéran de New York Ski Beatz.
En ce sens, il se distingue de son ami Wiz Khalifa, rappeur haut-en-couleur et as de la mixtape plus apte que lui à dégainer du hit à la chaîne. Et si Curren$y parle lui aussi de joints, d’argent et de filles dans ses lyrics, il n’hésite pas non plus à évoquer de petites choses plus banales, comme jouer à la console toute la journée, avec le souffle poétique et nasillard d’un jazzman. Plus classe et moins pressé que ses congénères, le rappeur fait notamment la différence avec ses élégants clips nocturnes à la Michael Mann, ou ses hommages instruits à Marvin Gaye et Al Jarreau.
Les autres artistes de la nouvelle génération du rap américain:
Lil B
Archétype du rappeur 2.0, Brandon McCartney, aka Lil B, n’a pas 22 ans, mais a déjà une discographie longue comme le bras de Shaquille O’Neal. Fantasque, rebelle et pas mal dingo, le MC de la Bay Area est du genre à se comparer physiquement à Aretha Franklin et Mel Gibson sans peur du ridicule. Addict aux réseaux sociaux, il s’est fait remarquer sur Myspace en ouvrant 155 pages pour uploader toute sa musique, sur Youtube où l’on peut voir ses 244 vidéos ou encore sur la plate-forme de micro-blogging Twitter, où ses 160.000 followers peuvent lire des maximes telles que «Ne jamais manger des prunes en amuse-gueule!! Surtout à 3 heures du mat’ en jouant à nba 2k11 sur xbox 360 après avoir fumé un oinj’…J’ai été puni.».
Basé à Berkeley, l’as de l’auto-promo et ex membre du groupe «The Pack» (responsable du hit Vans) cultive une dégaine de petite frappe perchée, tatouages en veux-tu en voilà et dents en or, mais surtout un fascinant flow qui a plus à voir avec le stream-of-consciouness d’un James Joyce sous weed que les lyrics ciselés de Nas: il écrit comme il pense, en prise directe avec son cerveau malade. Ce qui donne des textes pas forcément tous brillants, souvent décousus, accidentés ou contradictoires, mais lui permet, tel un Lil Wayne sous EPO, de maintenir un rythme de production surhumain: depuis, 2010, The based god a sorti pas moins de 13 mixtapes et un album.
Les autres artistes de la nouvelle génération du rap américain:
Kendrick Lamar
Kendrick Lamar a beau venir de Compton, cité la plus craignos du Sud de Los Angeles qui a vu émerger les mythiques N.W.A, il ne se prend pas pour un gangsta. Affilié à aucun gang, il se présente comme «A good kid in a mad City» («un bon gars dans une ville mauvaise») sur son premier album, qui sort en 2011. Une anomalie qui ne l’empêche pas de sortir d’excellentes mixtapes depuis ses seize ans, en 2003, et de susciter l’admiration du parrain du gangsta-rap et du G-Funk, Dr Dre: l’auteur de The Chronic l’a invité sur l’enregistrement de son très attendu prochain album, Detox, avec Snoop Dogg. Son style est smooth, posé, influencé par Nas et 2pac. Ses textes sont intelligents, conscients sans être lénifiants. Loin des clichés West-Coast. En 2011, il fait partie des 11 «freshmen» désignés par XXL Magazine, et va sortir une mixtape avec le protégé de Jay Z, J.Cole – un autre MC qui monte.
Les autres artistes de la nouvelle génération du rap américain:
The Cool Kids
L’un vient de Matteson, Illinois, l’autre de Mount Clemens, Michigan. Deux trous paumés de moins de 20.000 âmes. Antoine «Sir Michael Rocks» Reed et Evan «Chuck Inglish» Ingersoll, qui forment aujourd’hui les bien nommés Cool Kids, se sont rencontrés comme un groupe de rap peut se rencontrer au milieu des 2000’s: sur Internet, via Myspace. Repérés pas le site Pitchfork, puis sollicités par des DJ aussi prestigieux que A-Trak ou Diplo, les deux compères prennent leur temps. Ils font durer le buzz depuis 2005 en ajoutant des morceaux sur leur Myspace, en faisant des featurings avec Lil Wayne et Ludacris, ou en sortant des mixtapes.
Leur style est décontracté, nonchalant – «hipster» disent les détracteurs qui ne leur pardonnent pas leurs jeans serrés – directement hérité de l’âge d’or du hip hop, LL Cool J et Big Daddy Kane en tête, mais aussi des slackers de l’indie rock tels que Beck. Sur des beats lents et saccadés, le tandem peut rapper sur des sujets aussi profonds que leur style vestimentaire, leurs chaussures ou la couleur de leur vélo. Autoproclamés «Beastie Boys Noirs», Sir Michael Rocks, 23 ans, et Chuck English, 26 ans, n’ont toujours pas sorti un album (When Fish Ride Bicycles, maintes fois repoussé par leur label, doit sortir en 2011) mais font déjà presque figure de vétérans de la nouvelle école hip hop.
Les autres artistes de la nouvelle génération du rap américain:
Eric Vernay