France

Le renouveau néoconservateur de Nicolas Sarkozy

Temps de lecture : 4 min

La nouvelle stratégie du chef de l'Etat mêle interventionnisme «musclé», abandon de la realpolitik et multilatéralisme.

A bord du Charles de Gaulle, en juin 2010. REUTERS/Philippe Wojazer
A bord du Charles de Gaulle, en juin 2010. REUTERS/Philippe Wojazer

Les dossiers Côte d’Ivoire et Libye à lire sur SlateAfrique

L’intervention des soldats français en Côte d’Ivoire contre les forces restées fidèles à Laurent Gbagbo, «à la demande express» du secrétaire général de l’ONU, est-elle la mise en œuvre d’une nouvelle doctrine de politique étrangère dont la première application aurait eu lieu en Libye?

Jusqu’alors, les troupes de l’opération Licorne étaient stationnées en Côte d’Ivoire, selon la version officielle, pour protéger les Français et autres Européens, et procéder à leur évacuation en cas de besoin. Depuis le lundi 4 avril, elles sont ouvertement venues à la rescousse du président Alassane Ouattara contre son rival. La France agit en vertu de la résolution 1975 du Conseil de sécurité des Nations unies pour «mettre hors d’état de nuire les armes lourdes qui sont utilisées contre les populations civiles et les Casques bleus».

La force de l’ONU –l'Onuci— compte près de 10.000 hommes en Côte d’Ivoire. Forte de 1.650 hommes –ses effectifs ont pratiquement doublé en quelques jours– Licorne est supposée intervenir en soutien des forces de l’ONU.

Il n’en reste pas moins que la France est ainsi en même temps engagée dans deux conflits qui, s’ils ne sont pas de nature identique, visent tous les deux à destituer un autocrate contesté par son propre peuple.

Ce n’est pas une coïncidence. C’est l’expression de la nouvelle pensée en matière de politique extérieure et d’intervention à l’étranger que Nicolas Sarkozy a formulée à quelques reprises dans le courant du mois de mars, sans que ses déclarations ne suscitent un large écho.

A Bruxelles, à l’issue d’un conseil européen consacré en partie à la Libye, le président de la République avait appelé à l’arrêt des violences contre les manifestants en Syrie et avait ajouté:

«Chaque dirigeant, et notamment dirigeant arabe, doit comprendre que la réaction de la communauté internationale et de l’Europe sera désormais chaque fois la même.»

Une allusion à l’intervention en Libye qui semblait annoncer, si elle devait être prise au pied de la lettre, des réactions musclées chaque fois que des «tyrans» martyriseraient leur propre population.

Quelques jours plus tôt, le chef de l’Etat avait théorisé cette doctrine de politique extérieure en inaugurant le nouveau siège de l’Organisation internationale de la francophonie, à Paris. «La stabilité, qui était le maître mot de toute action diplomatique il y a quelques années, est-elle conforme à nos convictions profondes?», s’est-il demandé. Clairement, la réponse pour lui est aujourd’hui négative:

«Au nom de la stabilité, est-ce qu’on n’a pas condamné des peuples en Europe, au Moyen-Orient, ailleurs dans le monde, à l’injustice, au non respect des droits de l’homme, simplement parce que la stabilité tranquillisait ceux qui bénéficiaient de la démocratie?»

A cette question, la réponse est certainement «oui» mais Nicolas Sarkozy n’a pas été le dernier à pratiquer cette realpolitik qu’il semble à nouveau condamner. Au début de l’intervention en Libye, on a beaucoup parlé de la réception réservée à Paris au colonel Kadhafi en décembre 2007.

Au temps de la realpolitik

Quand Nicolas Sarkozy brandit la menace d’une action internationale en Syrie, il est bon de se rappeler les visites de Bachir el-Assad en France, au rythme d’une fois par an depuis 2008, alors que le président syrien était devenu persona non grata du temps de Jacques Chirac, à cause de l’implication supposée de ses services dans l’assassinat de l’ancien Premier ministre libanais Rafik Hariri.

En Tunisie et en Egypte, Nicolas Sarkozy a été jusqu’au jour de la démission de Ben Ali puis de Moubarak le champion de cette realpolitik qu’il rejette aujourd’hui. Mais ce revirement est une sorte de retour aux sources.

Pendant la campagne électorale de 2007 et dans ses premiers discours de président, il s’était présenté comme partisan d’une rupture avec la politique étrangère menée par ses prédécesseurs. Il leur reprochait leur immobilisme et leur frilosité:

«Ceux qui sont adeptes de la realpolitik ne sont pas si réalistes que cela. Ils cantonnent l’action diplomatique à un effort pour ne rien changer à la réalité du monde.»

Dans un grand entretien consacré à la politique internationale et publié par la revue Le meilleur des mondes, le candidat Sarkozy avait critiqué la politique africaine de la France, considérée comme «postcoloniale», la politique arabe, fondée sur la complaisance à l’égard de régimes corrompus et plus généralement la préférence pour le statu quo, la stabilité, l’équilibre, au détriment de la liberté des peuples.

De Glucksmann à Lévy

Il annonçait qu’il ne serrerait pas la main ensanglantée des dictateurs et qu’il garderait ses distances vis-à-vis de Vladimir Poutine, auquel son prédécesseur avait trop vite accordé le label de démocrate. Son inspirateur n’était pas alors Bernard-Henry Lévy mais André Glucksmann.

Ses déclarations d’alors, comme son discours devant l’Organisation de la francophonie, ont quelques accents que ne renieraient pas les néoconservateurs américains. Ces derniers pensaient, eux aussi, que le statu quo était une des causes des problèmes rencontrés dans le monde, et notamment au Moyen-Orient.

Ils mettaient en garde contre une fausse conception de la stabilité qui annonçait des lendemains douloureux. Et ils comptaient sur la promotion des droits de l’homme et de la démocratie –au besoin par la force– pour garantir la paix.

Nicolas Sarkozy se distingue cependant des néoconservateurs américains par son adhésion à l’idée du multilatéralisme. Autant par nécessité que par conviction. Ni la France, ni l’Europe dont on a vu dans quel état d’impuissance et de division elle se trouvait en matière de politique extérieure, ne sont en mesure d’agir militairement seules dans le monde. Elles ont besoin du soutien d’alliés, y compris américains, et de la légitimité apportée par l’ONU.

Au contraire des Etats-Unis sous la présidence Bush qui croyaient que leur puissance inégalée était en soi une forme de légitimation, au risque de rencontrer bien des déconvenues.

Daniel Vernet

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