C’est dans l’épreuve que l’on voit tout de suite les forces d’une société. La cohésion, la résistance, les prouesses technologiques et les compétences exceptionnelles des Japonais ont éclaté au grand jour. Un envoyé spécial à Rikuzentakata (une ville de 25.000 habitants, dévastée par le tsunami) décrit des pompiers volontaires s’efforçant de nettoyer les décombres et de trouver des survivants; des militaires et des policiers organisant avec efficacité la circulation et l’approvisionnement; des survivants non seulement «calmes et pragmatiques», mais faisant face à la situation «avec politesse, voire avec une bonne humeur incroyable».
Grâce à cela, le Japon finira par surmonter cette catastrophe. Ce qui ne sera pas le cas d’au moins une centrale nucléaire japonaise. Au moment de la rédaction de cet article, trois réacteurs de la centrale nucléaire de Fukushima Daiichi semblent avoir perdu leur capacité de refroidissement. Des ingénieurs arrosent la centrale avec de l’eau de mer, ce qui la détruit, puis laisse échapper des vapeurs radioactives. Il y a eu deux explosions. A l’heure où vous lisez cet article, la situation a peut-être même empiré.
La centrale idéale
Les centrales nucléaires japonaises ont pourtant été conçues avec le même soin et la même précision que tout le reste dans le pays. D’autant que le Japon est le seul pays au monde à avoir connu une véritable catastrophe nucléaire. Autant dire qu’il avait de bonnes raisons de vouloir construire des centrales sûres, ainsi que les compétences et la législation pour ce faire. Se pose donc cette question inévitable: si un pays compétent et brillant sur le plan technologique comme le Japon ne parvient pas à construire un réacteur parfaitement sûr, qui le peut?
On peut considérer (et on considérera) que la situation japonaise est exceptionnelle. Peu de pays sont aussi vulnérables aux catastrophes naturelles que le Japon et la force de ce tremblement de terre est sans précédent. Mais il existe d’autres situations exceptionnelles et d’autres circonstances sans précédent. Dans le but de contrer le pire des scénarios possibles, Areva a lancé, il y a plusieurs années de cela, la construction d’un réacteur nucléaire de nouvelle génération «super sûr» en Finlande. La centrale a été conçue pour résister à l’impact d’un avion (une préoccupation post-11-Septembre) et comprend une chambre censée pouvoir empêcher une fusion du cœur du réacteur. Elle devait coûter 4 milliards de dollars et être achevée en 2009. Depuis, sa construction a connu plusieurs revers, pourrait s’élever désormais à 6 milliards de dollars, voire plus, et n’est toujours pas terminée.
Ironie du sort, cette centrale finlandaise était censée marquer la renaissance de l’industrie du nucléaire en Europe; une industrie relancée dernièrement dans le monde entier, surtout grâce aux craintes liées au changement climatique. Les centrales n’émettent pas de carbone. Après une longue pause post-Tchernobyl, elles sont donc de nouveau à la mode. Près de 62 nouveaux réacteurs nucléaires sont actuellement en construction; 158 autres sont prévus et 324 sont à l’état de projet.
Ceux qui paient
Si l’énergie nucléaire est de plus en plus populaire, c’est parce qu’elle est sûre, du moins la plupart du temps. Les risques d’une catastrophe majeure sont faibles, de l’ordre de 1 sur 100 millions. Mais une telle catastrophe, même si elle est statistiquement improbable, pourrait notamment causer la destruction d’une ville ou l’intoxication d’un pays. Ces éventuelles répercussions expliquent en partie les coûts de construction des centrales et le dépassement de coûts observé en Finlande: personne ne peut se permettre d’utiliser du béton ou de l’acier de moindre qualité.
Mais comme nous sommes sur le point de le réaliser avec le Japon, le véritable coût du nucléaire n’est jamais reflété, même dans les coûts de construction extravagants des centrales. Ce sont les contribuables, et non l’industrie nucléaire, qui finissent toujours par payer pour le traitement des déchets. Au final, même après un petit accident, c’est le gouvernement qui paiera pour le nettoyage et la société dans son ensemble, d’une façon ou d’une autre, pour les soins de santé. Dans l’hypothèse d’une véritable catastrophe nucléaire au Japon, le monde entier en paiera le prix.
J’espère que cela n’aura jamais lieu. Je ne peux qu’admirer les ingénieurs nucléaires japonais, qui font face à la situation depuis plusieurs jours maintenant. S’il y a bien un pays qui peut empêcher une catastrophe d’arriver, c’est le Japon. Mais j’espère aussi qu’un accident évité de justesse fera sérieusement réfléchir les citoyens du monde entier sur le véritable coût du nucléaire et mettra un terme à sa renaissance.
Anne Applebaum
Traduit par Charlotte Laigle