Un enfant de cinq ans a pu être sauvé d'un homme qui tentait de l'emmener de force dans un grenier à Bourg-en-Bresse, dans l'Ain, grâce à l'intervention de sa grande sœur de 13 ans. Cet article, publié en mars 2011 après la fusillade qui a failli coûter la vie à la femme politique américaine Gabrielle Giffords, explore les mécanismes qui font que certaines personnes réagissent mieux que d’autres face à des situations extrêmes.
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En janvier dernier, la fusillade visant Gabrielle Giffords a donné naissance à une demi-douzaine d’authentiques héros, notamment Patricia Maisch, 61 ans, qui a arraché les munitions des mains de l’auteur présumé des tirs, Jared Loughner, alors qu’il essayait de recharger son arme. Des gens comme elle méritent à juste titre notre respect et notre admiration; leur grâce en situation de crise nous semble presque surhumaine.
Tout en nous émerveillant devant leurs hauts faits, nous ne pouvons nous empêcher de nous demander d’où, exactement, leur vient ce sang-froid. Ces personnes sortent-elles du ventre de leur mère le visage illuminé d’une expression de confiance optimiste, prêtes à pratiquer une opération chirurgicale d’urgence dans la pièce d’à côté en cas de besoin? Ou leur sang-froid leur vient-il avec l’expérience?
Pendant mes recherches pour Nerve, mon dernier livre sur la meilleure manière de gérer la peur, la pression et le stress, on le me demandait constamment. Le sang-froid est-il inné, voulait-on savoir, ou acquis? Nous débattons de la question depuis l’époque de Socrate, mais jusqu’à récemment, les psychologues ne disposaient que de très peu de données quantitatives sur la manière dont les gènes et l’expérience interagissent pour déterminer notre réaction en situation de stress.
Aujourd’hui, nous avons une idée bien plus précise de l’origine du flegme. Il s’avère que la capacité à garder son calme sous pression a en effet une forte composante génétique —et pourtant, notre calme assurance est principalement le résultat de ce que nous faisons pour la construire tout au long de notre vie.
Nature et génétique
Commençons par le côté «nature» de l’équation. Pour chacun d’entre nous, le point de départ de notre capacité à garder la tête froide est inscrit dans notre ADN: c’est notre prédisposition innée à l’anxiété. On a toujours su que l’anxiété était partiellement héréditaire (mes parents, par exemple, m’ont fiché futur névrosé dès le premier jour où j’ai froncé les sourcils), mais personne ne savait dans quelle proportion jouaient nos gènes jusqu’à ce que le psychiatre Kenneth Kendler ne fasse son apparition.
Dans une étude (PDF) de 2001, Kendler et ses collègues ont examiné 1 200 couples de jumeaux garçons, vrais et faux, et exploré les phobies individuelles de chacun. Comme tous les jumeaux avaient reçu la même éducation mais que seuls les vrais jumeaux partageaient le même ADN, Kendler put éliminer les facteurs environnementaux et calculer un nombre pur chiffrant notre prédisposition génétique à l’anxiété. Résultat? Les gènes sont responsables à 30% de notre peur.
«Aha!» sommes-nous tentés de nous exclamer, «Alors le sang-froid en situation de stress est génétique à 30%!» Pas tout à fait. Après tout, l’anxiété influence certainement notre comportement dans une situation oppressante, mais se sentir anxieux ne signifie pas forcément se transformer en poule mouillée —loin de là. Certaines des personnalités les plus flegmatiques de l’histoire étaient également des sinistrés de l’angoisse.
Le niveau de stress de Bill Russell, le centre des Boston Celtics, qui a mené son équipe à 11 championnats de NBA, était légendaire parmi ses coéquipiers; jusqu’à la fin de sa carrière, Russell était si angoissé qu’il vomissait avant chaque match. Et quand Laurence Olivier livrait la performance d’acteur la plus louée de sa carrière, lui aussi souffrait d’un trac si atroce qu’il demandait à quelqu’un de le pousser, physiquement, sur scène. Se sentir angoissé et faire un four en situation de stress ne vont pas nécessairement de pair.
Études et combat
Les premiers à avoir mené des études utiles spécifiquement sur le sang-froid en temps de crise furent des chercheurs spécialistes du combat pendant la Seconde Guerre mondiale, qui purent examiner des soldats littéralement sous la mitraille. En 1943, un de ces hommes, un officier britannique nommé Lionel Wigram, remarqua que ses études d’unités d’infanterie sur le front italien présentaient une certaine régularité de style.
À chaque fois qu’une section de 22 hommes était confrontée au feu ennemi, nota Wigram, les soldats réagissaient toujours selon les mêmes proportions: quelques soldats cédaient à la peur et essayaient de s’enfuir, quelques autres agissaient avec courage et la plus grande majorité tombait dans un état de stupeur hébétée, sans savoir quoi faire. Wigram n’était pas un scientifique, mais son idée de nos réactions instinctives était remarquablement juste.
Selon des recherches récentes menées par le psychologue spécialiste de la survie John Leach, quand un quelconque groupe de personnes se trouve dans une situation d’urgence comme un incendie ou une catastrophe naturelle, 10 à 15% d’entre elles piquent infailliblement une crise de panique, 10 à 20% gardent leur calme et le reste se change en moutons ébahis et hésitants.
Ces chiffres ne sont pas franchement gratifiants pour ceux d’entre nous qui s’imaginent qu’ils réagiraient à une agression par une rafale héroïque de prises de karaté —et le pire reste à venir. En étudiant les personnes qui gardent naturellement leur sang-froid en cas de crise, les chercheurs ont trouvé des preuves que leur calme avait des bases biologiques.
Le psychiatre de Yale Andy Morgan, par exemple, a étudié des recrues des Forces spéciales d’élite pendant qu’elles étaient soumises à un entraînement «Survie, dérobade, résistance et évasion», un cours de trois semaines conçu pour simuler les tortures d’une capture par l’ennemi. C’est un programme sauvagement stressant, durant lequel, pourtant, de nombreuses recrues parviennent à conserver une étonnante lucidité mentale.
Quand Morgan a analysé les tests sanguins des soldats qui avaient gardé leur calme, il a constaté qu’ils produisaient bien plus d’un «petit peptide dingue appelé neuropeptide Y (NPY)» que les recrues plus ébranlées. Le NPY supplémentaire fonctionne comme un gilet pare-balles mental détournant le stress; ses effets sont si prononcés que Morgan est capable de dire si un soldat a pu intégrer les forces spéciales ou pas juste en regardant ses analyses de sang.
Une angoisse déterminée?
Il semblerait donc que les preuves que le sang-froid ne puisse s’acquérir au cours de la vie s’accumulent. Notre angoisse est déterminée à 30%? Moins d’un cinquième d’entre nous réagit naturellement bien à une situation de crise? Pas si vite! Avant de vous émouvoir de la taille de votre dotation en NPY, considérez ceci: si quelques tendances à la pleutrerie sont peut-être encodées dans les gènes, ces prédispositions ne représentent même pas la moitié de notre capital courage en situation de crise. De récentes recherches montrent de façon écrasante qu’avec des efforts et de l’astuce, il nous est possible de faire davantage que contrer nos penchants naturels et que l’on peut cultiver un sang-froid durable.
S'entraîner à garder son calme
Notre première étape vers un plus grand contrôle de la peur est l’entraînement. Si les études sur les soldats de la Seconde Guerre mondiale et les victimes de catastrophes peuvent sembler sinistres, il convient d’apporter une nuance de taille: pratiquement aucune de ces personnes n’avait été bien préparée aux situations auxquelles elle avait été confrontée (aujourd’hui, les participants aux parties de paintball reçoivent une meilleure préparation que les soldats de la dernière Guerre mondiale).
La plupart d’entre eux réagissaient comme des moutons hébétés non pas parce qu’ils étaient incapables de faire preuve de sang-froid, mais simplement parce qu’ils ne savaient pas quoi faire. Ce qui peut être changé par un entraînement. Le psychologue Anders Ericsson a montré que lorsque nous voulons rester calme au milieu des tirs de mitraillette ou simplement assurer lors d’une présentation publique au bureau, la méthode la plus efficace consiste à nous entraîner à vivre l’épreuve dans des conditions réalistes jusqu’à ce qu’elle devienne une seconde nature.
Comme me l’a confié David Eccles, le collègue d’Ericsson, même des manœuvres toutes simples comme des exercices d’évacuation peuvent contribuer radicalement à produire une meilleure réponse en cas de crise. Une bonne préparation «lessive» nos dispositions naturelles, et plante, longtemps à l’avance, la graine d’un comportement d’adaptation.
Une autre méthode pour apprendre à garder son calme se base sur une sorte d’entraînement différente: il s’agit de nous enseigner à nous-même des croyances qui améliorent notre résilience. Si pour vous c’est du jargon de psy, vous n’avez de toute évidence pas lu le Consulting Psychology Journal (comment, vous n’êtes pas abonné?)
Une foule d’études successives ont montré que les gens qui fonctionnent bien dans des conditions de stress partagent de nombreuses convictions profondes: ils ont tendance à considérer les époques de changement et d’incertitude non comme des dangers mais comme d’excitantes opportunités; ils se concentrent sur ce qu’ils peuvent faire pour améliorer une situation stressante, plutôt que de se laisser emporter par l’impuissance; et ils entretiennent un sentiment d’implication dans le monde qui les entoure, plutôt que de retrait.
Certaines personnes sont tout bêtement nées avec ces aptitudes, mais les psychologues ont démontré qu’elles peuvent tout aussi bien s’acquérir. L’un d’entre eux, Salvatore Maddi, qui travaille à l’University of California-Irvine, affirme que les élèves qui suivent ce cours de «robustesse» —dans lequel ils apprennent des comportements et des convictions nouvelles sur le stress— obtiennent de meilleures notes que les autres. L’armée américaine a une telle foi dans ces méthodes qu’elle fait suive ses propres cours de résistance au stress à chacun de ses 1,1 million de soldats.
Apprendre à maîtriser sa peur
Nous arrivons enfin à ce qui est peut-être l’ingrédient le plus crucial du sang-froid, une idée facile à comprendre mais dont l’art est difficile à maîtriser. J’ai passé des heures à faire des recherches pour Nerve, et je ne suis presque jamais tombé sur un cas de héros impassible qui n’ait pas ressenti de la peur; la grande majorité était morts de trouille, exactement comme Bill Russell et Laurence Olivier.
Voilà ce qui les distinguait de la masse: tandis que beaucoup de ceux qui se défilent sous la mitraille se battent contre l’angoisse et maudissent leurs nerfs, les personnes qui gardent leur calme comprennent que la peur ne va pas forcément les retenir —elle peut même les aider. Ce passage à une vision plus familière de la peur est davantage qu’un simple tour de passe-passe.
Des études concernant toutes sortes de personnes, des musiciens classiques aux nageurs de compétition, n’ont trouvé absolument aucune différence entre les élites et les novices en termes d’intensité de trac avant la performance; les artistes et sportifs de haut niveau capables de conserver tout leur sang-froid avaient en revanche davantage tendance à considérer que leurs peurs les aidaient que les amateurs. Peu importe le savoir-faire que nous essayons d’améliorer sous pression —qu’il s’agisse de travailler avec des délais serrés, de parler en public ou de rester calme lors d’un premier rendez-vous— apprendre à travailler avec la peur plutôt que contre elle est une méthode pour se transformer.
Naturellement, suivre ces conseils ne fera pas de vous un parangon de sang-froid du jour au lendemain (comme nous l’a enseigné Charlie Sheen, seuls les gens qui ont du sang de tigre et l’ADN d’Adonis sont capables de réaliser instantanément de telles prouesses grâce à leur seule force mentale). Mais ne vous y trompez pas: quoi que vos gènes aient à y redire, choisir un entraînement intelligent, adopter des attitudes de résilience et développer une meilleure relation avec la peur peuvent nous aider à atteindre la vraie grâce dans les moments de tension. Il faut bien des efforts pour y parvenir, mais quoi —quand ce sera vous, le prochain héros à la tête froide à la une des journaux, vous aurez une histoire géniale à raconter dans le best-seller de vos édifiantes mémoires.
Taylor Clark
Taylor Clark est un auteur habitant à Portland, Oregon. Son dernier ouvrage s'intitule Nerve: Poise under pressure, serenity under stress, and the brave new science of fear and cool.
Traduit par Bérengère Viennot