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Libye: Doit-on déclarer la guerre pour pouvoir la faire?

Temps de lecture : 5 min

[L'EXPLICATION] La France avait-elle besoin de déclarer la guerre avant de pouvoir participer aux opérations militaires en Libye, mandatées par le Conseil de sécurité des Nations unies? Et la résolution de l’ONU est-elle une déclaration de guerre?

Un soldat français patrouille avec des soldats afghans et américains un village en Afghanistan, le 16 juillet 2009. REUTERS/Shamil Zhumatov
Un soldat français patrouille avec des soldats afghans et américains un village en Afghanistan, le 16 juillet 2009. REUTERS/Shamil Zhumatov

Le Conseil de sécurité des Nations unies a voté dans la nuit du 17 au 18 mars une résolution autorisant le recours à la force contre les troupes de Mouammar Kadhafi, ouvrant ainsi la voie à des frappes aériennes en Libye, tout en excluant le déploiement de forces d’occupation étrangères sur le terrain. La France avait-elle besoin de déclarer la guerre avant de pouvoir participer aux opérations militaires en Libye? Et la résolution de l’ONU est-elle une déclaration de guerre?

L'obsolète déclaration de guerre

La dernière fois que la France a déclaré la guerre, c’était en 1939, contre l’Allemagne. La déclaration de guerre est quelque chose de très institutionnalisé, passant par l’envoi solennel d’une lettre du chef de l’Etat attaquant, apportée par son ambassadeur au gouvernement du pays attaqué en guise de notification (Lire la déclaration de guerre de l’Angleterre au Japon en 1941). Depuis la Seconde Guerre mondiale, elle est tombée en désuétude. La dernière déclaration de guerre dont L'Explication a retrouvé la trace –Etats-Unis contre Roumanie– date de juin 1942 [PDF] (mais dites-nous dans les commentaires si vous en avez trouvé de plus récentes!).

En France, le chef de l'Etat est, selon l'article 15 de la Constitution, «le chef des armées». Mais, juridiquement, c’est le Parlement français qui est compétent pour déclarer la guerre. Dans les faits, le premier alinéa de cet article 35 de la Constitution adoptée en 1958 n’a jamais servi: comme on ne fait plus de «guerre», il n’y a plus de «déclarations de guerre», et les gouvernements n’ont plus à passer devant le Parlement pour avoir l’autorisation d’engager des forces armées.

Les «non guerres» de l’ONU

Depuis l’adhésion de la France à la charte des Nations unies en 1945, «faire la guerre» est en fait largement régulé par le droit onusien.

Ou plutôt, l’acte d’«utiliser les forces armées», puisque l’ONU a été créée pour éviter la guerre et réussir à maintenir la paix et la sécurité internationales. D’ailleurs, les seules occurrences du mot «guerre» dans la charte ne sont que des références à 1939-45. Et le chapitre 7 n’est pas consacré à «la guerre» mais à l’«action en cas de menace contre la paix, de rupture de la paix et d’acte d’agression».

De surcroît, l’ONU n’ayant ni souveraineté, ni territoire, ni armée, elle ne peut pas déclarer de guerre, définie juridiquement comme un acte d'agression armée d'un Etat contre un autre. En revanche, elle prend des résolutions de maintien de la paix, de réponse à des menaces contre la paix ou, depuis le 60e anniversaire des Nations unies en 2005, pour protéger un peuple, comme c’est le cas avec la résolution 1973 sur la Libye. Ces résolutions donnent mandat à des Etats d’utiliser leurs forces armées au nom de la société internationale.

Le terme de guerre est devenu tabou, et les pays participent à des «opérations de maintien de la paix» ou se retrouvent dans un «conflit armé international». Par exemple, la France ne fait pas la guerre en Afghanistan, elle participe à la «Force Internationale d’Assistance et de Sécurité» (FIAS), mandatée par le Conseil de sécurité de l’ONU. Au moment de la guerre du Golfe, fin décembre 90, un député s’était étonné que le Parlement ne s’exprime pas sur une déclaration de guerre, alors que la France passait d’une stratégie d’embargo à une stratégie de force vis-à-vis de la situation au Koweït. Mais le Premier ministre, Michel Rocard, avait alors répondu qu’il ne s’agissait pas d’une guerre mais d’une «opération de sécurité collective» comme définie par la Charte de l’ONU.

Les membres de l’ONU étant censés chercher à maintenir la paix autant que possible, ils ne peuvent pas être les premiers agresseurs. Une raison de plus pour laquelle l’article de la constitution française qui donne le pouvoir de «déclaration de guerre» au Parlement est obsolète: une telle déclaration serait une agression, condamnée par l’ONU.

C’était aussi la réflexion américaine sur le concept de guerre «préemptive» au moment de la guerre en Irak: comment s’arranger juridiquement pour ne pas se placer en tant qu’agresseurs, ce qui mettrait le pays en dehors de la communauté internationale?

Des précautions qui, dans ce cas, sont allées jusqu’à éviter de se confronter au cadre de l’ONU et au veto des membres du Conseil de sécurité. Les Etats-Unis ont donc débuté les hostilités sans l’aval du Conseil, mais avec en revanche l’accord du Parlement américain. En 2004, le secrétaire général des Nations unies Kofi Annan avait déclaré dans une interview à la BBC que la guerre en Irak n’était «pas en conformité avec la Charte des Nations unies»:

«De notre point de vue et du point de vue de la Charte, elle était illégale.»

Comment la France peut-elle s’engager dans une intervention armée?

Le deuxième alinéa de l’article 35 de la Constitution, ajouté lors de la réforme institutionnelle de 2008, ne parle plus de guerre, et renvoie l’initiative au pouvoir exécutif:

«Le gouvernement informe le Parlement de sa décision de faire intervenir les forces armées à l’étranger […] Cette information peut donner lieu à un débat qui n’est suivi d’aucun vote.»

C’est ce débat au Parlement, non suivi de vote, qui a eu lieu mardi 22 mars pour le cas de la Libye. Et, à l'image des dénégations de Michel Rocard à l'époque de la guerre du Golfe, François Fillon a affirmé que «nous ne conduisons pas une guerre contre la Libye, mais une opération de protection des populations civiles».

Le Parlement n'a voté qu'une fois, au moment de la guerre du Golfe en 1991 justement. Les députés et les sénateurs avaient été réunis le 16 janvier 1991, un message de François Mitterrand sur la situation au Moyen-Orient et l'adoption par la France des résolutions du Conseil de sécurité de l'ONU leur avait été lu; puis les parlementaires s'étaient exprimés «sur une déclaration de politique générale sur la politique française au Moyen-Orient».

L'Assemblée s'était prononcée sur la base de l'article 49, alinéa 1er de la Constitution (question de confiance), et le Sénat sur la base du quatrième alinéa du même article. Le Parlement approuve largement le recours à la force (p.230), avec 523 pour, 43 contre et 2 abstentions à l'Assemblée; 290 pour et 25 contre au Sénat.

Depuis la réforme institutionnelle de 2008, le Parlement doit également se prononcer sur les interventions militaires de la France à l’étranger lorsque celles-ci durent plus de quatre mois. C’est ce qui s’est passé en 2008 sur l’engagement de la France en Afghanistan, et en 2009 sur les interventions françaises au Tchad, en République centrafricaine, en Côte-d'Ivoire, au Liban et au Kosovo.

Cécile Dehesdin

L’explication remercie Jean-Paul Pancracio, professeur de droit international public à l’université de Poitiers et directeur de domaine à l’Institut de recherches stratégiques de l’Ecole militaire, et Marie-Luce Mariani, professeure à l’Institut Supérieur de l’Armement et de la Défense.

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