Économie

Carlos Ghosn dans la spirale de l'échec

Temps de lecture : 5 min

La gestion exécrable de la fausse affaire d’espionnage va-t-elle amener le conseil d’administration à poser le problème de la gouvernance du groupe Renault?

Carlos Ghosn au Forum économique mondiale de Davos. REUTERS / Vincent Kessler
Carlos Ghosn au Forum économique mondiale de Davos. REUTERS / Vincent Kessler

Parmi les cadres de Renault, l’atmosphère est lourde. C’était prévisible. Dans toute entreprise, il existe un esprit de corps. L’encadrement le perpétue et le consolide sur fond de culture commune, alors que la direction en est le garant. Dans cette dynamique commune, le rôle d’un manager, fût-il au plus haut niveau, consiste à motiver ses collaborateurs nommés à des postes de responsabilité et à faire équipe avec eux. Ce qui implique entre autres de leur faire confiance. Aussi, lorsqu’un vulgaire corbeau devient d’un seul coup plus crédible que ces cadres, l’édifice est ébranlé et la mécanique se grippe.

Qui, alors, doit faire confiance à qui? C’est cette situation que Carlos Ghosn, président de Renault (et de Nissan), et Patrick Pélata, directeur général, ont créé en licenciant trois cadres à la suite d’une enquête manifestement sommaire, tombant dans le piège d’une manipulation et d’une vulgaire escroquerie. Le pire, pour ces managers, est d’avoir géré le dossier sans avoir déclenché une contre-enquête afin de valider les conclusions de la première avant de trancher dans le vif. Et, en bout de course, d’avoir agi sans disposer de tous les éléments nécessaires, avant même de rechercher l’avis d’autres services compétents. Une véritable faute de management.

Quand l’actionnaire public se fâche

L’Etat, toujours actionnaire de Renault, n’a pas apprécié. Lorsque le ministre du Budget et porte-parole du gouvernement François Baroin condamne sans restriction une histoire de barbouzes à la Bibi Fricotin, il force le trait pour qu’il n’y ait pas d’équivoque sur la critique émise par l’actionnaire public à l’égard de la gestion de ce dossier. Et quelques jours plus tard, après avoir entendu Carlos Ghosn sur cette affaire, Christine Lagarde, ministre de l’Economie, a assuré que «le gouvernement veillera à ce que les conséquences individuelles de la fausse affaire d’espionnage soient tirées». Ni la réintégration des cadres licenciés, ni le dédommagement (à hauteur de plusieurs millions d’euros), ni même l’abandon par le duo de tête de Renault de la part variable de leur salaire 2010 (une opération de communication à 1,6 million d’euros pour Carlos Ghosn) ne mettront fin à l’affaire, comme l’a confirmé la ministre. Le problème est placé à un autre niveau: celui de la gouvernance.

Certes, au plan formel, la direction opérationnelle du groupe n’était pas tenue d’informer le conseil d’administration de l’existence d’une pseudo-affaire d’espionnage et des dispositions qu’elle s’apprêtait à prendre. Les questions de management ne sont pas du ressort du conseil. Malgré tout, ses membres n’ont pas forcément apprécié, au début de l’affaire, d’être tenus au courant en même temps que la presse. Et s’il est de la compétence du conseil de veiller à la sauvegarde de l’image de la marque, il lui appartient maintenant de s’exprimer.

Le conseil d’administration devra se déterminer

Carlos Ghosn compte des fidèles dans ce conseil, qui jugent sage son refus d’accepter la démission de Patrick Pélata pour préserver la bonne marche de l’entreprise. Un refus d’autant plus logique que Carlos Ghosn lui-même s’est beaucoup exposé dans cette affaire, et que le directeur général aurait fait figure de fusible. Au sein du conseil, on considère aussi que, en plus de la réintégration et du dédommagement, le patron de Renault ne pouvait pas faire plus que présenter des excuses publiques. Toutefois, comme le laisse entendre la ministre de l’Economie, l’affaire ne pourra en rester là. «La question de la validation du mode de management va être posée», commente un membre du conseil.

Sur ce plan, les partisans de Carlos Ghosn mettent en avant les résultats de Renault en 2010: 3,5 milliards d’euros de bénéfices contre 3 milliards de pertes l’année précédente. Mais ces chiffres ne sont pas le strict reflet de la réalité opérationnelle. Le profit de 2010 intègre 2 milliards d’euros de plus-value de cession des actions AB Volvo, le constructeur suédois de camions (à qui appartient Renault Trucks) dont Renault est actionnaire. Et n’oublions pas la quote-part de Nissan dans le résultat du groupe, de l’ordre de 1 milliard d’euros. Sur le strict plan opérationnel, le résultat n’est plus si flamboyant. Pourtant, Renault n’a jamais vendu plus de véhicules: plus de 2,6 millions en 2010.

Pour améliorer la marge opérationnelle, le patron de Renault a annoncé 5,7 milliards d’euros d’investissements entre 2010 et 2013… dont 40% dans l’Hexagone, a insisté Carlos Ghosn pour faire taire les commentaires sur un apparent désengagement de France. Les critiques s’appuient toutefois sur des chiffres. La marque Renault ne produit plus en France qu’une voiture particulière sur quatre (30% si on tient compte des utilitaires légers), sans même prendre en compte les marques Dacia et Samsung Motors. Les sites français paient la facture du choix stratégique en faveur des productions low-cost, de toute évidence pas adaptées aux coûts du travail en France. Avec, ce qui est le plus important, des conséquences négatives sur l’emploi.

On rétorquera que la croissance de l’automobile mondiale est tirée par d’autres marchés, et qu’il est normal que Renault pousse les feux de ses usines locales. Mais même lorsque le marché français a atteint un record en 2009, l’activité des usines de l’Hexagone a baissé: la prime à la casse favorisait les ventes des petites voitures fabriquées dans les usines espagnoles, turques, slovènes... Ce n’est pas pour rien que la balance commerciale automobile, traditionnellement positive, est déficitaire depuis 2008.

Manager global

Les entreprises doivent s’inscrire dans la mondialisation, et Carlos Ghosn a su propulser Renault, allié au japonais Nissan qu’il a lui-même redressé, hors de son marché domestique. C’est un atout pour la marque. Le patron des deux entreprises est notamment parvenu à réaliser de grosses économies en faisant utiliser les mêmes plateformes pour des voitures fabriquées aussi bien en Europe qu’en Asie, avec des carrosseries différentes. En revanche, si la stratégie aboutit à déserter le berceau d’une marque, l’internationalisation touche ses limites. Les plus grandes marques japonaises, à commencer par Toyota, partent à la conquête de marchés étrangers et s’y implantent sans pour autant priver l’archipel de ses usines. De même, l’activité industrielle de BMW et Audi est avant tout allemande.

L’actionnaire public ne peut se contenter d’empocher les dividendes sans s’intéresser aussi à l’emploi. Sur les quelque 120.000 salariés du groupe, le constructeur automobile n’en emploie plus que 40.000 en France, en baisse de 10% sur cinq ans. Pour enrayer le mouvement, Carlos Ghosn s’est transformé en chantre de la voiture électrique, justifiant par son élan les aides de l’Etat consenties pendant la crise – et aujourd’hui remboursées. Cette conversion pour alimenter le plan de charge des usines françaises grâce à une technologie mise au point par Nissan, a été hâtive. Au départ, la montée en puissance devait être plus modérée puisque seules les flottes d’automobiles étaient concernées. Puis, changement de cap: la voiture électrique serait proposée au plus grand nombre, et cela dès 2011. Avec un objectif ambitieux: devenir le premier constructeur généraliste à proposer des véhicules zéro émission. Reste maintenant à concrétiser, en mobilisant les forces vives du groupe. A commencer par… les cadres.

Gilles Bridier

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