L’accident nucléaire à la centrale japonaise de Fukushima a remis la question de la sécurité des installations au coeur des débats. Dans une opposition un peu stérile, écologistes et pro-atome s’écharpent sur les plateaux télé. Pour les premiers, une centrale nucléaire est intrinsèquement dangereuse et il n’est pas pertinent d’en pointer certaines du doigt plus que d’autres. Quant aux seconds, ils répètent que les installations françaises sont parmi «les plus sûres au monde», même si bien sûr, «le risque zéro n’existe pas».
Etablir un classement des «pires» centrales au monde est impossible. L’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA) n’a pas le mandat pour établir une liste noire des installations les plus dangereuses. Tout juste peut-elle émettre des recommandations aux autorités nationales si elle repère des failles dans la sécurité de certaines centrales. C’est ce qu’elle avait fait il y a deux ans, en avertissant le Japon de la sous-évaluation des risques sismiques.
La crise de Fukushima a aussi démontré les différences d’appréciation d’un pays à l’autre. Alors que l’autorité française évoquait rapidement un accident de niveau 6 sur l'échelle internationale des événements nucléaires [PDF], son homologue japonaise restait bloquée à 4...
Au 31 décembre 2009, l’AIEA comptabilisait 437 réacteurs civils en activité, et 55 en construction [PDF]. Premiers utilisateurs, les Etats-Unis (104 réacteurs en activité), suivis de la France (59) et du Japon (54). En tout, 30 pays ont accès à cette technologie, essentiellement des puissances du Nord. Nous nous focaliserons sur les plus significatifs pour examiner la sécurité de leurs installations nucléaires.
Les Etats-Unis
Détenteurs
du premier parc nucléaire mondial, les Américains regardent la
situation japonaise avec crainte. Et pour cause, ils partagent un
certain nombre de points communs: leurs installations vieillissent, 35
sont équipées de réacteurs à eau bouillante (REB) comme à Fukushima, et
des faiblesses dans les circuits électriques de secours peuvent
apparaître. Mais surtout, les aléas environnementaux inquiètent.
Tornades dans le Midwest, ouragans dans le golfe du Mexique,
tremblements de terre en Californie... autant de dangers potentiels en
cas d’événement d’une intensité exceptionnelle.
Le site The Daily Beast
a établi un classement des centrales américaines les plus vulnérables,
en croisant des données telles que l’âge des installations, le nombre
d’habitants à proximité, la probabilité d’un aléas naturel important...
Résultat, c’est la centrale d’Indian Point, à Buchanan (Etat de New York), qui se place en tête de ce «palmarès», notamment en raison du risque d’ouragans. La centrale de Diablo Canyon (Californie), construite sur une zone de forte activité sismique, près de la faille de San Andreas, est aussi surveillée de près.
La centrale de Diablo Canyon en 2005. REUTERS/Phil Klein
Selon un porte-parole de l’opérateur Pacific Gas and Electric, cité par le New York Times, l’amplitude maximale enregistrée à proximité de la centrale était de 6,1 à 6,5 sur l’échelle de Richter MSK. L’installation a donc été bâtie pour résister à une secousse de magnitude 7,5.
Union européenne
Source: myeurop.info
L’Europe occidentale est un continent très nucléarisé, avec pas moins de 153 réacteurs. L’UE a annoncé mercredi sa volonté de les soumettre d’ici à la fin de l’année à des tests de résistance. Objectif: vérifier s’ils résistent aux inondations, aux raz de marée, aux coupures d’électricité, aux attaques terroristes et aux tremblements de terre.
La France
Premier producteur et consommateur de nucléaire en Europe, la France compte 19 centrales et 58 réacteurs en activité. Ces installations sont inspectées 800 fois par an par l’Autorité de sûreté du nucléaire (ASN). Un quart des contrôles est inopiné.
C’est sur cette base que sont établis les rapports d’incidents, classés sur l’échelle Ines (selon leur gravité, ils vont de 0 à 7). Europe 1 révélait mercredi qu’«en l’espace de dix ans, le nombre d'incidents mineurs et d'anomalies sur les installations nucléaires françaises a doublé». En 2010, l’ASN en a répertorié plus de 1.000, la majeure partie sans importance.
Ce rapport qui devrait être dévoilé aux parlementaires dans les prochaines semaines va donner du grain à moudre aux anti-nucléaires. Selon Europe 1, «le vieillissement des centrales nucléaires françaises est aussi un facteur aggravant: sur les sites les plus anciens, entre 2008 et 2009, le nombre d'incidents recensés a doublé». Or, EDF, qui exploite les centrales françaises, souhaite que l’ASN autorise la prolongation de leur durée de vie, initialement prévue à 25 ans. C’est en effet maintenant que les centrales deviennent rentables, une fois les investissements colossaux de départ amortis.
Le vieillissement et la dégradation des installations ne sont pas l’unique point de débat avec les anti-nucléaires. «Même si un événement a des chances infimes de survenir, les conséquences sont tellement énormes que cela pose problème», explique Perline, porte-parole du réseau Sortir du Nucléaire. C’est ce qui s’appelle le risque résiduel, c’est-à-dire le risque subsistant après le traitement de l’aléa. Typiquement, le tremblement de terre. En France, 6 centrales sont situées dans des zones de sismicité modérée [carte]. Celle de Fessenheim (Haut-Rhin), la plus ancienne dans l’Hexagone, a fait l’objet de travaux de renforcement après la mise en évidence de certaines insuffisances de résistance.
«On essaie de caractériser l’aléa et on applique une marge par rapport à l’événement le plus important déjà survenu», explique Julien Collet, directeur de l’Environnement et des situations d’urgence à l’ASN. Ainsi, la marge de résistance des centrales françaises est d’«un degré de plus sur l’échelle de MSK», par rapport aux séismes les plus violents de l’histoire dans les zones concernées (pour Fessenheim, la référence est le séisme de Bâle en 1356).
Le député socialiste Jean-Yves Le Déaut, spécialiste de la sécurité nucléaire, demande aujourd’hui une réévaluation de ce risque, aussi bien en France qu’au niveau international. «De même, on aurait dû davantage progresser dans la gestion des inondations depuis le Blayais en 1999, où on n’est pas passez loin de l’accident grave», ajoute-t-il, avant de conclure:
«Les centrales de nouvelle génération –type EPR– sont plus sûres que les anciennes. A quel moment décidera-t-on de les arrêter? C’est une question légitime.»
L’ingénieur Benjamin Dessus, président de l’association Global Chance, rappelle que les «centrales françaises sont bâties sur un modèle très voisin de celui du Japon. Ce qui est intéressant dans ce cas, c’est de voir la conjonction d’événements prévus, mais pas simultanément, qui mène à la catastrophe».
«Et encore, avertit-il. La culture de sécurité est faite sur un calcul probabiliste. Les actes terroristes changent complètement l’affaire. On sait très bien que si on envoie un A380 sur une ancienne centrale, ça pète.»
Du côté de l’ASN, on se réfugie derrière le «secret défense» sur ces questions. Un rapport parlementaire de 1998 était plus clair:
«Toutefois, l'encadrement de l'aviation commerciale et le fait que les couloirs aériens tiennent le trafic éloigné des centrales nucléaires, et une probabilité de chute de 10-12 rendent le risque de chute d'un avion commercial extrêmement faible. Par contre, la nécessité d'une protection contre les chutes d'avions de l'aviation générale est impérative.»
Quelques lignes plus loin, on apprend qu’une centrale résisterait à l’impact d’un Cessna 210 et d’un Learjet 23, des avions qui pèsent entre 1.000 et 2.790 kg à vide...
Allemagne, Royaume-Uni...
Le
gouvernement de David Cameron a défendu sa filière nucléaire en
rappelant que le Royaume-Uni ne disposait pas de réacteurs à eau
bouillante (REB), du type de ceux de Fukushima.
La
chancelière Angela Merkel, sous la pression d’une opinion publique
assez rétive à l’atome, a elle annoncé l’arrêt pour trois mois des 7
centrales ouvertes avant 1980 et un moratoire (de trois mois également)
sur la prolongation du service des 17 centrales que compte le pays.
La Russie
Souvent pointées du doigt, les centrales de l’ex-Union soviétique sont équipées d’un réacteur décrié, le RBMK, du même type que celui qui avait provoqué la catastrophe de Tchernobyl (le seul accident de l’histoire classé au niveau 7 sur l’échelle Ines). Plusieurs d’entre elles, toujours en activité, sont dépourvues d’enceinte de confinement, un équipement qui doit être prévu dès la conception.
Leur maintenance fait l’objet de nombreuses critiques: sous-investissements chroniques, «culture du risque» insuffisante chez les ingénieurs...
Si l’Europe a adopté un corpus de règles communes (via l’association Wenra), les pays de l’Est et leurs autorités nucléaires sont soupçonnés d’être loin de ces standards. Julien Collet de l’ASN rappelle par exemple que la Lituanie avait dû fermer sa centrale d’Ignalina, équipée d’un réacteur RBMK, pour entrer dans l’UE. Et de souligner également l’importance des retours d’expérience:
«En ce sens, l’accident de Three Mile Island en 1979 a eu beaucoup plus d’influence en France que Tchernobyl, car c’était un réacteur du même type que chez nous.»
Photo: Des spécialistes travaillent au déclassement de la centrale nucléaire d'Ignalia, en novembre 2007. REUTERS/Ints Kalnins
Quatre centrales nucléaires russes seraient dangereuses, dont deux se trouvent dans des zones sismiques actives (Balakovo et Rostov), selon l'académicien Vladimir Kouznetsov, membre du Conseil public auprès de l'Agence russe de l'énergie atomique (Rosatom). L'expert a également dénoncé mardi la «prolongation frénétique du délai d'exploitation des vieux réacteurs».
Sylvain Mouillard