Culture

Michelle Williams cherche son chien

Temps de lecture : 3 min

«Wendy et Lucy», enfin un rôle à sa hauteur.

Du «Secret de Brokeback Mountain» (Ang Lee, 2005), la majorité du public n'aura retenu que les noms d'Heath Ledger et de Jake Gyllenhaal, émouvants interprètes de cow-boys qui s'aimaient d'un amour impossible. Et pourtant, dans ce film où les personnages masculins avaient le premier plan, apparaissaient déjà deux toutes jeunes actrices qui se sont, depuis, fait un nom: Anne Hathaway et Michelle Williams. Emportée par le succès international du film, la brune Hathaway s'oriente vers le grand public («Le Diable s'habille en Prada») et les contrats glamour (avec Lancôme), tandis que Williams, pourtant seule femme de «Brokeback» à être nominée à l'Oscar du meilleur second rôle, continue sur la voie qu'elle avait choisie depuis longtemps: celle du risque.

Rescapée d'une histoire familiale difficile -elle demande son émancipation légale à l'âge de 15 ans -, cette blonde menue joue Jen Lindlay dans «Dawson», une série très populaire auprès des adolescents. Un an après la fin de la série, elle décroche le premier rôle dans «Land of Plenty», un vrai film d'auteur, signé Wim Wenders.

Puis arrive «Brokeback Mountain» et la reconnaissance du milieu. Elle y interprète Alma, la jeune épouse d'Ennis Del Mar (Heath Ledger) qui voit sa vie bouleversée lorsqu'elle surprend son mari embrassant passionnément son amant. Sur papier, le rôle devait être mince. Les femmes ne sont là que pour construire le drame des deux hommes. Et pourtant, Michelle Williams parvient à construire un véritable personnage, auquel elle confère une identité spécifique. Elle donne une fragilité inquiète à cette jeune femme que rien n'avait préparé à cette révélation et qui tentant malgré tout de comprendre, pose des questions à Ennis sur son «ami». Sa vulnérabilité bouleverse le spectateur lorsque le même Ennis l'embrasse rapidement sur la joue, se hâtant de sortir pour échapper à ce foyer qui l'étouffe. Année après année, elle voit son mari s'éloigner d'elle davantage. Amère, elle finit par le quitter pour en épouser un autre. L'Alma de la fin du film est bien différente de celle du début, si pleine d'amour et de joie de vivre. Contrairement au personnage d'Anne Hathaway - dont on perçoit l'environnement familial -, Alma n'a pas d'histoire propre, détachée de celle d'Ennis. Le spectateur ne possède aucune information sur sa vie antérieure. Et pourtant, le destin brisé d'Alma émeut tout autant que celui des deux hommes détruits par leur amour.

La véritable perception de l'étendue du talent de Michelle Williams survient avec l'interprétation du personnage de Coco Rivington dans le splendide biopic de Bob Dylan, du réalisateur Todd Haynes, «I'm not there» (2007). Williams y a deux scènes courtes, mais mémorables. Transformée, blonde platine, séduisante et déjantée, elle surprend par son audace. Lors de sa deuxième scène, où elle est humiliée par l'alter ego de Dylan, prénommé Jude, elle vole sérieusement la vedette son interprète...Cate Blanchett!

La revoici enfin, éblouissante, dans le film d'une inconnue, Kelly Reichardt, magnifique hommage à son talent et qui sort ce mercredi en France: «Wendy and Lucy», récit du périple d'une jeune Américaine dans sa tentative de rejoindre l'Alaska car -paraît-il- là-bas, on y cherche de la main d'œuvre. Accompagnée de sa chienne Lucy, elle n'a que sa voiture et une maigre somme d'argent pour survivre. Tout bascule lorsque, arrêtée pour vol dans une épicerie, elle se heurte à l'incompréhension d'un employé (John Robinson, un des adolescents d'«Elephant» de Gus Van Sant) et perd l'animal. Elle tente alors de retrouver Lucy dans ce lieu où elle ne connaît personne et où elle ne peut même pas trouver le moindre petit boulot pour subsister...

Comme le lui dit un agent de sécurité: «tu ne peux pas trouver un logement sans avoir d'adresse et tu ne peux pas trouver de travail sans en avoir un». Alors, Wendy erre dans les rues, appelant désespérément sa chienne, habitée par le fol espoir de la voir revenir. L'angoisse se lit sur le visage de l'actrice, submergée par la solitude et la peur. Le désespoir de Wendy devient intenable lorsque, endormie dans les bois, elle est surprise par un sans-abri déséquilibré qui fouille dans ses affaires. S'ensuit alors une scène bouleversante où Wendy est victime d'une crise d'angoisse et fond en larmes dans les toilettes d'une station service. Reichardt filme en gros plan le visage tordu de douleur de Williams et saisit alors toute la subtilité de son interprète.

Par sa simplicité, son air juvénile et innocent, Michelle Williams évoque la toute jeune Winona Ryder, qui, il y a un peu plus de dix ans, nous charmait dans «Edward aux mains d'argent» (Tim Burton,1990) et nous ravissait dans «Le temps de l'innocence» (Martin Scorsese, 1993). Souhaitons-lui plus de chance que n'en eut cette dernière dans la poursuite de sa carrière et espérons qu'elle continuera à privilégier un cinéma exigeant et ambitieux. On la retrouvera à la rentrée prochaine dans le nouveau film de Martin Scorsese, «Shutter Island», une adaptation du roman de Dennis Lehane dans lequel elle interprète aux côtés de Leonardo DiCaprio, le rôle difficile de Dolores Chanal.

Juliette Berger

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