La réunion au sommet du G20 a été saluée à juste titre comme l'amorce d'un nouvel ordre international, un pas vers cette gouvernance mondiale dont la globalisation a besoin. Mais si c'est bien le cas, nous sommes en droit de nous interroger sur sa légitimité. Quelle est la légitimité de ce groupe qui prétend influencer les destinées du monde, en attendant peut-être de le gouverner ? A un moment où l'aspiration à la démocratie est décrite comme une tendance universelle, l'auto-désignation et la cooptation sont-elles des sources de légitimité ?
Bien sûr, il y a le nombre. Vingt Etats venus des tous les continents, c'est un progrès certain par rapport au G6 qui rassemblait, en 1975, les pays les plus industrialisés du monde à l'initiative de Valéry Giscard d'Estaing. L'année suivante l'arrivée du Canada transformait le G6 en G7 et dans les années 1990, le G7 devenait G8 par adjonction de la Russie.
Ces dernières années le G8 s'était ouvert à quelques pays émergents pour des réunions dites G13. Mais comparé aux quelque 190 Etats membres de l'ONU, on est loin du compte. On remarque beaucoup d'absents au banquet du G20.
Il y a aussi la masse. Les pays du G20 représentent les deux tiers du commerce mondial et 90% des échanges mondiaux. Si telle est la justification de leur aspiration à la gouvernance mondiale, nous allons vers un système international fondé sur la puissance. Ce ne serait pas une nouveauté mais ce ne serait certainement pas une avancée décisive.
La légitimité du G20 pourrait émaner de l'ONU. Ce n'est pas le cas. Et encore, l'intervention des Nations unies ne serait-elle pas une garantie, car elles sont elles-mêmes de plus en plus contestées. Leur organisation reflète les rapports de force issus, voilà plus de soixante ans, de la deuxième guerre mondiale. Le Conseil de sécurité, avec ses cinq membres permanents ayant un droit de veto, a la légitimité des vainqueurs. Les échecs répétés des tentatives de réforme montrent qu'il est très difficile d'adapter une vieille institution aux nouvelles réalités. La création d'un Conseil de sécurité économique - une idée ancienne de Jacques Delors reprise récemment par la chancelière Angela Merkel - manifesterait l'intérêt des Nations unies pour les questions économiques mais se heurterait aux mêmes obstacles.
Le G20 ne saurait a fortiori se réclamer d'une légitimité démocratique. Non seulement ses membres n'ont pas été désignés pas l'ensemble de l'humanité - ce qui de toutes façons serait une idée utopique -, mais il compte en son sein des dirigeants dont la légitimité démocratique elle-même est pour le moins sujette à caution. C'est un fait.
Il ne plaide pas nécessairement en faveur d'une Ligue des démocraties que certains Américains de tous bords souhaitent fonder pour compléter sinon pour remplacer l'ONU. Car si les démocraties se retrouvaient entre elles - encore faudrait-il se mettre d'accord sur les critères pour en établir la liste --, elles ne seraient pas plus en mesure d'imposer leurs vues sur les questions financières et économiques que dans le domaine de la sécurité. Et la crise actuelle montre que la démocratie ne constitue pas une assurance contre les dérives et les excès.
Toutes ces objections ne visent pas à tuer dans l'œuf l'idée d'une gouvernance mondiale. Elles soulignent simplement une partie des difficultés que celle-ci soulève, et encore n'avons-nous pas abordé l'application des décisions éventuelles du G20 et le contrôle de leur mise en œuvre.
Il faut se rendre à l'évidence. La gouvernance mondiale par le G20 ressemble à ce qu'était le concert des nations dans l'Europe du XIXème siècle : un club d'aristocrates. Ce n'est pas le monde de Kant.
Daniel Vernet