Le 7 mars à La Courneuve (Seine-Saint-Denis) un Sri Lankais a été retrouvé les deux mains coupées. Un autre homme –également Sri Lankais– était quant à lui grièvement blessé à la suite d’une rixe. La victime dont les mains avaient été coupées était décédée.
Elle présentait par ailleurs une large plaie au crâne. L'autre victime a été transportée à l'hôpital Lariboisière à Paris dans un état très critique. Leurs blessures avaient visiblement été causées par des objets tranchants.
Deux sabres ont été découverts à proximité. Six personnes, portant des armes de poing et de longs couteaux avaient peu de temps auparavant été vues par des témoins en train de prendre la fuite.
Longtemps l’amputation de la main a été une peine de justice réservée à des personnes condamnées pour vol; une peine toujours d’actualité dans certains pays. Ce type de mutilations des mains peut aussi avoir des dimensions rituelles et symboliques; cela semble être le cas à La Courneuve et ce le fut aussi dans les années 1990 lors d’une tristement célèbre guerre en Sierra Leone.
Il existe aussi des cas, rarissimes, d’auto-amputation à des fins salvatrice comme celui raconté dans 127 heures, film de Danny Boyle inspiré de l'histoire vraie d'Aron Ralston:
Mais ces mutilations peuvent aussi –c’est le cas le plus fréquent aujourd’hui en France– être d’origine accidentelle.
En pratique, l’amputation d’une fraction plus ou moins grande d’un membre impose, quand on le peut, de prodiguer en urgence à la victime une série de soins parfaitement codifiés.
Conduite générale à tenir vis-à-vis du blessé:
Téléphoner en urgence au 112.
Le faire s’allonger.
Surélever le membre et faire un pansement compressif sur le moignon d'amputation.
S’abstenir de mettre du coton ou de désinfecter.
Réserver le garrot aux cas où la pose d’un pansement compressif est impossible. Dans ce cas il faut éviter de trop serrer le garrot (risque de lésions des vaisseaux et des nerfs au niveau de la compression) mais aussi de ne pas le serrer assez (dans ce cas il comprime uniquement la veine et accroît de ce fait l'hémorragie; on parle de l'effet «garrot veineux»).
Ne pas donner à boire ou à manger au blessé.
Conduite à tenir vis-à-vis du membre sectionné:
Le segment amputé (doigt, main, pied) doit être placé dans un sac plastique étanche déposé sur des glaçons.
Le but est d’obtenir qu’il n’y ait pas de circulation sanguine dans le segment amputé (situation d’«ischémie froide») soit à une température d'environ 4°C.
La dégradation des tissus est de ce fait considérablement ralentie et ce en dépit de l’absence de vascularisation liée à l'amputation. Ce geste préventif permettra aux chirurgiens spécialisés d'effectuer avec succès une replantation du segment amputé et ce dans un délai maximum de 6 heures après le traumatisme.
Il est essentiel que le segment de membre ne soit jamais au contact direct de la glace, ce qui pourrait provoquer des lésions irréversibles et compromettre toutes les chances de greffe.
Il existe des dispositifs adaptés permettant la récupération et la conservation des membres sectionnés dans des conditions optimales de froid et d’hygiène.
Ces dispositifs sont particulièrement recommandés dans les entreprises où les employés sont exposés aux risques d’amputation (on peut penser aux menuiseries où les scies circulaires, mais également les dégauchisseuses, raboteuses et scie à ruban sont à l'origine d'amputation de mains et de doigts).
Ces mêmes entreprises se doivent de connaître et d’afficher les numéros de téléphone des services hospitaliers d’«urgences main» les plus proches. Il en existe cinquante (publics ou privés) en France qui prennent en charge environ 120.000 blessés de la main chaque année.
Le cas des amputations de doigt(s)
Ces amputations sont parmi les blessures les plus sévères. Un doigt amputé est voué à la nécrose spontanée irréversible en quelques heures. Une replantation ne peut donc être envisagée que dans la limite de ces quelques heures, résument les spécialistes des services d’«urgences main».
La décision de la replantation va dépendre également du doigt concerné (le pouce est prioritaire), du nombre de doigts amputés, du niveau de l’amputation (plus le segment amputé est long, moins le résultat de la replantation est bon), de l’âge, la fonction, le côté dominant du patient ainsi que de l’état du ou des fragments amputés.
Pour les spécialistes, le succès de la replantation dépend de nombreux facteurs. Les blessés ayant un mauvais état vasculaire ou grands consommateurs de tabac ont moins de chances que les autres.
Tout dépend d’autre part du mécanisme de l’amputation: délabrement, écrasement ou arrachement du fragment. Un doigt replanté gardera le plus souvent des séquelles: raideur, douleur au froid, altération de la sensibilité.
Avant d’adresser en urgence le blessé dans un service spécialisé, le (ou les) fragment(s) amputés doivent être systématiquement rapportés même si ils paraissent extrêmement délabrés: ils pourront être partiellement utilisés par le chirurgien pour reconstruire d’autres doigts.
Tous les fragments amputés doivent être placés dans une compresse ou un linge propre, puis dans un sac plastique étanche.
Là encore, il faut placer le sac plastique fermé sur un sac contenant de la glace et de l’eau et en aucun cas être mis au contact direct de la glace.
Envelopper la main blessée dans un pansement légèrement compressif et surélever le membre pour limiter et arrêter le saignement. Les garrots placés à la racine du bras sont formellement proscrits.
Le danger des alliances et des bagues
Une alliance ou une bague peuvent s’accrocher à un clou, une poignée de porte, un grillage que ce soit lors d’activités professionnelles, de loisir ou sportives.
Entraîné par le poids du corps, le doigt retenu par l’anneau peut alors être arraché. Un mécanisme identique peut survenir avec des cordages enroulés autour du doigt.
La bague va alors déchirer la peau, les vaisseaux, les nerfs, puis les tendons; souvent le traumatisme aboutit à une amputation complète du doigt.
L’arrachement des tissus rend leur réparation microchirurgicale très délicate et les résultats pronostic aléatoires. Même si le doigt n’a pas été amputé des séquelles importantes peuvent persister.
En pratique, si l’alliance est restée sur le doigt, n’essayez pas de la retirer; placer une compresse et un bandage autour du doigt; consultez en urgence un service d’«urgences main».
Si le doigt a été totalement arraché il faut procéder comme pour une amputation.
Afin de prévenir de tels accidents les spécialistes conseillent de «fragiliser» ses alliances ou ses bagues; de les retirer quand on doit effectuer des travaux risqués ou pour faire du sport.
Les greffes après prélèvement sur cadavres
Grâce à une série d’avancées techniques, la microchirurgie des greffes d’éléments de membres amputés a fait de considérables progrès depuis plusieurs décennies.
Elle a également connu des développements spectaculaires à la fin des années 1990 grâce notamment à l’obstination du Pr Jean-Michel Dubernard (Hospices civils de Lyon) et aux nouvelles associations de médicaments immunosuppresseurs destinés à lutter contre les phénomènes de rejet.
Il ne s’agit plus ici de greffer les éléments anatomiques amputés et conservés mais, (soit parce que ces éléments n’ont pas été conservés soit parce qu’ils ont été détruits lors de l’accident) de les prélever sur le corps d’une personne décédée de la même manière que l’on prélève le cœur les reins ou le foie. On parle ici non plus d’«autogreffes» mais d’«allogreffes».
L’aventure a commencé en septembre 1998 lorsque le Pr Dubernard et son équipe ont pratiqué la première allogreffe d'une main à Lyon.
L’intervention avait été réalisée pour une seule main coupée à hauteur du poignet chez le Néo-Zélandais Clint Hallam. Première non-concluante: la greffe avait pris mais durant plusieurs mois, le patient avait refusé de prendre son traitement immunosuppresseur. Et à sa demande, il s'était fait amputer de sa main greffée, en février 2001, à Londres.
Récidive en janvier 2000 et nouvelle première mondiale: le Pr Dubernard réalise alors une double greffe bilatérale des mains et des avant-bras sur Denis Chatelier, alors âgé de 33 ans.
Peintre en bâtiment, originaire de Charente-Maritime, Denis Chatelier avait perdu ses deux mains en 1996 en manipulant une fusée artisanale fabriquée par ses neveux.
Depuis lors, il était équipé de prothèses myoélectriques ne lui permettant de réaliser que des gestes simples.
Cinq ans plus tard le chirurgien annonçait que la greffe avait «définitivement pris». L’an dernier, l’équipe chirurgicale lyonnaise confirmait ce succès et réunissait, dix ans après la première, Denis Chatelier et les quatre autres personnes auxquelles elle avait depuis également greffé deux mains prélevées post mortem.
Inimaginables dans les années 1980, ces interventions spectaculaires ont au départ alimenté de violentes controverses.
Le Pr Dubernard était notamment accusé de faire prendre des risques considérables à ses patients. On estimait aussi que les personnes ainsi greffées ne supporteraient pas les conséquences psychologiques inhérentes au fait de vivre «avec les mains d’un(e) autre».
Aucun accident ne fut observé et les controverses se sont progressivement éteintes. Ces interventions demeurent encore rarement pratiquées: elles nécessitent des moyens importants, un personnel nombreux ainsi qu’une rééducation, une prise en charge psychologique durable et un traitement médicamenteux.
Elles n’en constituent pas moins une révolution majeure dans l’histoire de la chirurgie de transplantation; une révolution qui en précédait une autre: celle des greffes de la face.
Jean-Yves Nau