Au salon de l’agriculture, cette année, l’objet du courroux du président de la République et de l’UMP, est une campagne de communication de la fédération France Nature Environnement (FNE qui regroupe plus de 3.000 associations). Une campagne d’affichage dans le métro parisien pour faire bouger les belles promesses du Grenelle de l’environnement pour une agriculture de qualité. Une campagne un peu provocatrice contre la culture des engrais et le business du système productiviste de l'agriculture, dont les premières victimes sont les agriculteurs.
Le 19 février, le président de la République a qualifié de «particulièrement déplacée» la campagne d'affichage de France Nature Environnement (FNE) comportant des visuels et slogans choc sur les OGM, les pesticides et les algues vertes. «Je ne laisserai pas insulter les agriculteurs», a lancé le chef de l'Etat. «On n'oppose pas les Français les uns contre les autres (...) On ne combat pas l'intolérance en étant intolérant.»
Déplacée?
Depuis quand est-il déplacé de demander la mise en oeuvre des «engagements agriculture» du Grenelle de l’environnement? Depuis quand est-il déplacé de vouloir informer et alerter les citoyens sur des risques sanitaires et environnementaux réels? Depuis quand est-il déplacé de vouloir animer le débat public sur des sujets qui nous concernent tous?
Insultante?
Où est l'insulte pour les agriculteurs, Monsieur le Président? Sur quelle affiche? Ce ne sont pas agriculteurs qui sont visés par cette campagne de communication, mais bien le modèle agricole dont ils sont les esclaves. Les agriculteurs, aujourd'hui, ne peuvent plus vivre de leur production sans subventions. Ils n'ont pas le choix de cultiver bio ou sans OGM, sans risquer des contaminations de leur production. Leur santé est souvent en jeu et les semences utilisées n'offrent plus aujourd'hui, aux consommateurs, les garanties de sécurité alimentaire.
L'insulte, Monsieur le Président, réside dans la stigmatisation d'une campagne, en la détournant de son objet et en l'instrumentalisant à des fins électorales. L'insulte, Monsieur le Président, réside dans le mensonge prodigué aux agriculteurs en feignant d’ignorer que le changement du monde agricole est aujourd'hui nécessaire et déjà en marche au niveau européen. L'insulte réside dans le refus de la vérité aux Français sur les conséquences de ce modèle agricole périmé qui coûte cher à l'ensemble de la société.
C'est faire insulte à l'intelligence des citoyens de leur nier la capacité de prendre la mesure des impacts d'une agriculture productiviste, chimique et industrialisée développée au détriment d'une agriculture respectueuse de l'environnement et de la santé. C'est faire insulte aux représentants des intérêts environnementaux de les opposer aux citoyens et aux agriculteurs.
Opposer les Français?
On n'oppose pas les Français les uns contre les autres quand on leur propose une campagne de vérité, pour les sensibiliser aux excès de l'agriculture industrielle et les inviter à s’interroger. L'intolérance n'est, ni du côté des agriculteurs, ni du côté des associations de protection de l'environnement. L'intolérance est dans le refus du débat et de la confrontation des intérêts. Ces affiches sont un «scandale», une «provocation» selon votre ministre de l’Agriculture… «C’est une campagne diffamatoire, outrancière et injuste», s’insurgent quelques élus locaux socialistes et UMP. L’intolérance et le scandale, pour moi aujourd’hui, responsable politique –politiquement responsable et ancienne directrice de FNE– réside dans la surenchère de réactions d’hommes et de femmes politiques qui préfèrent censurer la réalité plutôt que de l’assumer.
Quatre vérités qui dérangent:
Affiche 1 «GROS MENTEUR»: «La loi n’impose pas l’étiquetage de la viande issue d’animaux nourris aux OGM»
C’est vrai! En France et en Europe, les consommateurs sont susceptibles de manger de la viande d'un animal nourri aux OGM sans le savoir. Car les obligations d'étiquetage concernant les OGM telles qu'établies par le règlement européen n°1829/2003, ne visent pas le lait, la viande ou encore les œufs issus d'animaux nourris avec des OGM!
Même si en mai 2007 le Conseil national de la consommation s'était dit favorable à ce que la viande, les œufs et le poisson issus d'animaux nourris sans OGM fassent l'objet d'un étiquetage spécifique, il n'y a, à ce jour, aucune obligation d'étiquetage.
En 2010, au Parlement européen, nous avons tenté à deux reprises d’inscrire cette obligation dans la réglementation européenne. Le 16 juin 2010, avec le vote sur le rapport Sommer sur «l’étiquetage alimentaire à destination des consommateurs».
C’est sur pression du groupe PPE (dont font partie les élus UMP) que nous avons manqué l’occasion d’apporter une vraie contribution à la santé publique.
Dès son entrée en commission Environnement du PE, le rapport a fait l’objet d’un travail de sape orchestré par le lobby de l’industrie agroalimentaire visant à empêcher toute amélioration législative en matière d’accessibilité des consommateurs à une information claire et fiable. Seul élément véritablement positif à l’issue du vote, l’obligation d’information imposée sur tout produit contenant des nano-ingrédients.
Essai réitéré le 7 juillet 2010 lors du vote sur le projet de règlement «nouveaux aliments» et nouvelle levée de bouclier.
Si nous avons gagné sur l’interdiction d’inclure les aliments issus d’animaux clonés et leur progéniture dans les assiettes des Européens, l’obligation d’étiquetage de la viande issue d’animaux nourris aux OGM a encore été rejetée à la majorité…
Aujourd’hui il n’existe donc aucune obligation légale pour nous garantir que la viande que nous achetons n’a pas été nourrie aux OGM… et principalement sous pression des vendeurs d’OGM.
Le seul vrai scandale, c’est que le consommateur français devrait avoir le droit d'être informé de l'origine de la viande qu'il consomme afin d'effectuer un choix libre et éclairé. Les citoyens devrait avoir le droit de pouvoir choisir entre une viande issue d'un animal nourri aux OGM ou non.
L'affiche de l'association FNE ne fait donc que révéler cette faiblesse de notre réglementation.
Affiche 2 «C’EST SANS DANGER»: «Concernant les OGM, on n’a pas encore assez de recul…»
C’est vrai! Plusieurs analyses ont mis en avant les incertitudes liées aux OGM en matière d'impacts sanitaires et environnementaux.
J’avais, le 5 octobre 2009 en Commission Environnement, interrogé Mme Geslain-Lanéelle, directrice exécutive de l’Autorité européenne de sécurité des aliments (l’EFSA), sur l’insuffisance avérée de l’évaluation des risques et l’absence d’application du principe de précaution qui devrait prévaloir sur toute expérimentation et mise sur le marché européen d’un produit génétiquement modifié. Lors de cette audition, l’EFSA «gardienne de la sécurité alimentaire» a reconnu qu’elle n’était pas en capacité, aujourd’hui, de convenablement évaluer sur le long terme les effets sur l’environnement et sur la sécurité alimentaire de la culture des OGM. Elle a fait état de ses doutes et incertitudes au regard des données scientifiques et techniques disponibles, arguant que les évaluations résultaient d’un processus permanent et que «la science d’aujourd’hui n’est pas la science de demain».
Le 17 juin 2010, l’EFSA présentait à Berlin un projet de réforme d’évaluation et d’expertise des risques environnementaux des OGM. Or, contrairement à ce qui était attendu, cette révision va à l’encontre de la volonté initiale du Conseil Environnement de décembre 2008 de renforcer le contrôle des produits OGM, en abaissant le niveau d’exigence des études scientifiques demandées aux firmes semencières.
Avec mes collègues écologistes, nous avons dénoncé cette réforme inacceptable, qui plutôt que de protéger les consommateurs et l’environnement, ne bénéficie qu’aux seules industries agrochimiques et biotechnologiques qui voient leurs contraintes sanitaires et financières réduites.
Et avec José Bové (vice-président de la Commission agriculture du PE), le 16 juillet 2010, nous avons présenté les résultats d’une étude indépendante que nous avions commandée en début d’année.
Cette étude menée par Testbiotech [PDF, en anglais] démontre l’absence de critères suffisamment clairs et les carences de l’évaluation des effets des OGM sur la santé et l’environnement à moyen et long termes.
La réalité de la situation aujourd’hui en matière d’évaluation des impacts des OGM, et de l’aveu même de l’EFSA, c’est que nous n’avons pas le recul suffisant et qu’on a remplacé les cobayes de laboratoire par les consommateurs sur le terrain. C’est un peu comme jouer à la roulette russe, non?
Affiche 3 «KILL BEES»: «Certains pesticides présentent un danger mortel pour les abeilles et ce n’est pas du cinéma»
C’est vrai! Empoisonnement par les pesticides, impact des cultures génétiquement modifiées, stress induit par des changements dans l'alimentation et les conditions climatiques, perte et fragmentation des habitats, disparition de diversité génétique –les abeilles n'ont jamais été aussi menacées. Et pour ne prendre qu’un exemple: l’insecticide Cruiser connu pour contribuer à la surmortalité des abeilles, interdit notamment en Allemagne et en Italie, mais pas totalement en France.
Le danger mortel que présente le Cruiser pour les abeilles est connu. Preuve en est la décision du 22 juin 2009, à l'issue d’un comité de suivi au ministère de l'Agriculture, de Michel Barnier qui avait considéré que les conditions n’étaient pas réunies pour statuer sur une nouvelle autorisation du Cruiser.
Au regard de l'état sanitaire des ruchers à l'issue de la campagne 2008, les conditions de mise en place du dispositif de surveillance pour l'année 2009, les incidents signalés par la brigade nationale d'enquêtes vétérinaires et sanitaires, l'analyse de l'AFSSA de 4 cas de mortalité constatés lors des semis, l'état des connaissances scientifiques et l'état des connaissances présentées par l'INRA en matière de lutte contre le Taupin, le ministère avait décidé de maintenir l'interdiction du Cruiser jusqu'à l'automne. Et puis, il en autorisera l’usage à nouveau obligeant notamment le syndicat apicole Unaf et la Confédération paysanne à saisir la plus haute juridiction française.
Et, le 16 février 2011, le Conseil d’Etat a décidé d’annuler les deux décisions du ministère de l’Agriculture autorisant la mise sur le marché de l’insecticide Cruiser (Syngenta) pour les années 2008 et 2009.
Le Conseil d’Etat a estimé que la méthode d’évaluation du risque utilisée par l’Afssa (Agence française de sécurité sanitaire des aliments, aujourd’hui remplacée par l’Anses et petite sœur de l’EFSA) pour donner son avis concernant la mise sur le marché du Cruiser n’a pas été conforme à cette réglementation. Pour les autorisations du Cruiser 350 commercialisé depuis 2010, le Conseil d’Etat a remis sa décision à plus tard.
Aujourd’hui, le Cruiser continue donc à être encore utilisé et menace la pérennité des abeilles et autres insectes pollinisateurs.
On tolère le risque, alors que nous sommes tous concernés tant en matière de production que de consommation. La valeur économique totale de la contribution des pollinisateurs (abeilles, etc) à la productivité agricole a été évaluée à 153 milliards € en 2005 (soit 9,5% de la valeur de la production agricole mondiale).
En cas de disparition totale des pollinisateurs, les équilibres alimentaires mondiaux seraient profondément modifiés, entraînant une diminution de la production agricole et donc une augmentation des prix agricoles… à méditer.
Affiches 4 et 5 «ARRÊTEZ VOS SALADES» et «BONNES VACANCES»: «L’élevage industriel des porcs et les engrais génèrent des algues vertes. Leur décomposition dégage un gaz mortel pour l’homme»
C’est vrai! Les algues vertes contiennent du soufre qui lors de leur décomposition se transforme en hydrogène sulfuré qui est un gaz mortel.
En juillet 2009, à la suite de la mort d’un cheval, l'Ineris a procédé à des mesures et a relevé des concentrations de 1.000ppm. Un homme meurt en 1 minute dans des lieux avec un taux de 1.700 ppm. Entre 0 et 500ppm (taux relevés fréquemment sur les plages concernées) maux de tête, irritation des yeux et troubles respiratoires.
Un homme est mort après avoir inhalé de l'hydrogène sulfuré se dégageant des algues en décomposition. Thierry Morfroisse transportait des algues vertes ramassées sur la plage de Binic dans les Côtes d’Armor lorsqu'il s'est mortellement effondré le 22 juillet 2009. «Crise cardiaque» avait conclu le parquet de Saint-Brieuc dans un premier temps avant de classer l'affaire. Depuis, des scientifiques ont mis en cause l'hydrogène sulfuré se dégageant des algues lors de leur décomposition.
Plus que des affiches montrant un enfant jouer sur une plage recouverte d’algues vertes, le vrai scandale réside dans les reculs de la réglementation environnementale introduits par le décret n° 2011-63 du 17 janvier 2011 signé par le Premier ministre.
Un décret qui devrait aggraver la situation. Ce décret permet de concentrer davantage les élevages intensifs et d’augmenter les cheptels, y compris sur les bassins à algues vertes, sans étude d’impact environnementale, sans enquête publique, sans avis des conseils municipaux!
Une nouvelle réglementation qui fait suite à l’amendement Le Fur, adopté par l’Assemblée nationale et le Sénat pour faciliter les regroupements avec création ou extension d’élevages intensifs, dont aucun responsable du gouvernement ne s'est ému alors même que France est mise en demeure par la Commission en raison de l'insuffisance du contenu de ses programmes d'action contre les nitrates.
Alors, c’est vrai que les plages envahies d’algues vertes pénalisent l’économie touristique de certains littoraux bretons et normands. La réalité de ces marées d’algues vertes, c'est aussi un coût pour les citoyens de plus de 5 millions d’euros pour les frais de ramassage. Et le coût du ramassage obligatoire et systématique et du traitement ne cesse d'augmenter.
Selon la chambre régionale des comptes de Bretagne, les dépenses ont doublé ces 3 dernières années. En 2010, 700.000 euros ont été versés par le gouvernement pour l'ensemble de la Bretagne, alors que pour le seul ramassage de la commune de Lanion-Trégor le coût est de 1,4 million d'euros. Puisque l’on sait aujourd’hui que cette situation résulte directement des orientations de la politique agricole mise en œuvre. Et qu’aujourd’hui en internalisant les coûts du traitement des algues vertes, il est avéré que le prix pour le citoyen et le consommateur du porc industriel est plus cher que le porc bio. Tout cet argent ne pourrait-il pas servir à aider à la reconversion pour une agriculture biologique dans les zones littorales?
Aider les agriculteurs à produire autrement? Aider les agriculteurs… à changer, avec les associations de protection de l’environnement, les consommateurs et tous les citoyens, un modèle agricole qui ne profite qu’à quelques-uns au détriment du plus grand nombre? Et si on faisait une campagne de communication pour faire avancer cette idée? Et si, pour sensibiliser les citoyens, on leur montrait ce qu’ils ne savent peut-être pas? Montrer la réalité, c’est simplement ce qu’à tenté France Nature Environnement avec sa campagne tant décriée.
Accepter la réalité et la montrer pour pouvoir la changer: une idée à laquelle beaucoup de nos responsables politiques semblent avoir renoncé comme nous le démontrent leurs réactions!
Sandrine Bélier