Monde

A quand la révolution «moules-frites»?

Temps de lecture : 6 min

Point de gouvernement fédéral depuis avril 2010... Pour patienter, ils fêtent aujourd'hui le record du monde, qu'ils viennent d'égaler: 249 jours.

Des frites vendues à Bruxelles. REUTERS/Francois Lenoir
Des frites vendues à Bruxelles. REUTERS/Francois Lenoir

Au lendemain des élections de juin dernier, les deux partis vainqueurs, l'Alliance Néo-Flamande (NVA) et le Parti socialiste francophone (PS) se voulaient optimistes. Malgré leurs divergences institutionnelles –l'un est indépendantiste, l'autre est pro-Belgique– et économique –l'un est de centre droit, l'autre de gauche– ils le répétaient à qui voulait bien l'entendre: pour septembre/octobre 2010, une réforme de l'État et un gouvernement seront sur pied et tout ira pour le mieux dans la nouvelle Belgique du XXIe siècle. Ou ce qu'il en restera.

Sauf que voilà... l'hiver 2011 est bien entamé, et toujours rien. En colère, exaspérés ou juste lassés, les Belges tentent comme ils peuvent de faire pression sur leur classe politique. Peuple pacifique, ils font avant tout appel à leur imagination.

Pour l'instant, cela ne fonctionne pas vraiment puisqu'en ce 17 février, ils viennent d'égaler le record mondial de la négociation en vue d'arriver à un accord gouvernemental: 249 jours, et anciennement détenu par l'Irak. Il faut dire qu'ils n'ont commencé à se mobilier que vers les 200 jours...

Poelvoorde

Parmi les premiers: Benoit Poelvoorde. Dans une vidéo largement reprise dans les médias, il appelait les Belges à garder sa barbe jusqu'à ce que «la Belgique se relève».

Les rues de Belgique ne sont pas encore remplies de barbus, mais d'autres initiatives ont suivi.

Se défouler sur le web

Une vidéo est devenue le symbole de l'incompréhension citoyenne de cette crise politique à rallonge. En janvier 2011, Kris Janssens, journaliste flamand, se lâche sur YouTube après avoir entendu un homme politique déclarer, après 200 jours de négociations: «Nous devons maintenant réfléchir calmement à la meilleure façon d'entamer les choses...»

C'est vrai qu'il peut avoir de quoi être un tantinet énervé. L'auteur est vite devenu une icône et ce ne fut que le début d'une mobilisation plus large.

La manifestation «Shame»

Car au même moment, des jeunes ont décidé d'organiser une marche pour exprimer le ras-le-bol général et demander un gouvernement. Le 23 janvier dernier, ce sont environ 40.000 Belges qui sont descendus dans les rues de Bruxelles.

Les slogans ont été adaptés pour ne froisser personne. Et en Belgique, le consensus, cela donne: «Jupiler [NDLR: la bière nationale] moins chère», «un Flamand + un Wallon = deux Belges», «Manifestation approuvée par Chuck Norris», «Chuck Norris négociateur!», etc.

Un sitting virtuel

Les politiciens ont été élus pour faire une chose: former un gouvernement et gouverner le pays. Que faire s'ils n'y arrivent pas? Demandez le remboursement!

Pour montrer la détermination de tous les Belges, un campement virtuel a été organisé devant le 16 rue de la Loi, le Matignon belge. 150.000 personnes ont déjà rejoint les tentes de pixels. Il n'est pas encore question de matérialiser dans le monde réel ce mouvement de mécontentement comme cela peut être le cas en Tunisie ou en Égypte.

La date butoir avant l'échéance? Le 21 avril 2011. Soit un an après la chute du gouvernement d'Yves Leterme. Et en cas d'échec, ils ont même prévu une proposition de loi, qui forcerait les partis à leur rendre leur argent. Ce qui risque d'être difficile à faire voter puisque ce seraient ces mêmes députés visés par le remboursement qui devraient l'approuver.

Du chocolat à gogo

Le président de la NVA, Bart de Wever, est connu pour son appétit et son goût prononcé pour le sucré. Le chocolatier flamand Valentino a donc décidé d'avoir recours à la carotte pour motiver le leader nationaliste à conclure un accord: si d'ici Pâques, la Belgique a un gouvernement, il lui offre son poids en chocolat. Ses enfants seraient contents.

En lien direct avec la prochaine trouvaille: le chocolat n'est-il pas considéré comme un aphrodisiaque?

Pas de gouvernement, pas de sexe

Car l'idée d'une sénatrice flamande est d'organiser la grève du sexe. Marleen Temmerman a invité toutes les femmes à «garder leurs jambes fermées» tant qu’il n’y aurait pas de gouvernement. Selon elle, cette abstinence forcée des hommes pourrait accélérer les négociations.

Un petit détail a dû lui échapper: le leader du Parti socialiste francophone, Elio Di Rupo, est homosexuel. Elle n'a pas précisé si cela devait aussi le concerner.

Quant aux autres politiciens, ils en profitent joyeusement pour chambrer les rivaux/collègues. Ainsi, Wouter Beke, le président du CD&V (conservateurs flamands), estime que pour Caroline Gennez (Présidente du parti socialiste flamand), «c'est facile, elle n'a pas de partenaire pour l'instant». Ambiance.

Signe annonciateur? En décembre, TV Belgiek, l'équivalent belge des Guignols de l'info, avait mis en scène les deux chefs de partis vainqueurs, le Flamand Bart de Wever et le Francophone Elio di Rupo dans une chambre à coucher. Et c'était la panne:

Stage découverte

Le 8 février au matin, Catherine Fonck, députée francophone du parti Centre démocrate humaniste (CdH, francophone) a ainsi invité Bart de Wever en stage dans sa circonscription: «J'invite Bart De Wever en immersion pendant une semaine à Mons-Borinage.» L'objectif? Lui montrer que la Wallonie, ce n'est pas que Charleroi et ses 30% de chômage.

En janvier 2011, le président de la NVA avait fait une allusion à la Wallonie comme étant une «junkie». La drogue? L'argent flamand transféré au sud du pays.

Vox Belgae

Petit dernier dans les sites, une page qui permet de répondre à la question: «Voulez-vous la fin de la Belgique?» Avec la fiabilité que l'on peut reconnaître aux sondages sur Internet, espérons que les indépendantistes de la NVA ne tombent pas dessus.

Wafelman arrive

Deux humoristes de RTL-Belgique, André Lamy et Olivier Leborgne ont inventé le personnage de Wafelman ou «l'homme gaufre». La référence à Bart de Wever, grand amateur de gaufres, est à peine voilée. Des montages photographiques du super héros ont été réalisés et sont visibles ici.

Mais comme tout super héros, Wafelman a aussi sa chanson.

Les paroles ne sont compréhensibles que par un public un minimum rodé à la crise politique belge. Par exemple elles évoquent le fait que «Wafelman» parle en latin. En effet, le président de la NVA est un adepte des locutions latines. Au soir des élections en juin dernier, il avait déclaré «Nil volentibus arduum» (à cœur vaillant, rien d'impossible). Il avait recommencé en octobre, quand les négociations étaient au plus mal avec «Fabula acta est». C'est-à-dire: «La pièce est jouée»...

Tout ça pour un record?

Mais au final, les Belges étaient-ils si pressés d'avoir un gouvernement jusqu'à aujourd'hui? N'auraient-ils pas été un peu déçu si les partis politiques avaient décroché un accord la semaine dernière? Car en parallèle à ces initiatives –somme toute peu radicales– ils se préparaient secrètement à célébrer le record mondial de la négociation gouvernementale jusqu'à présent détenu par l'Irak.

Le record européen, anciennement détenu par leur voisin du nord, les Pays-Bas a été pulvérisé en janvier (208 jours et il datait de 1977). Le Népal, autre challenger vient de jeter l'éponge après 7 mois, en formant un gouvernement. Petits joueurs. Il restait l'Irak... mais comme à leur habitude, les Belges ont eu du mal à se mettre d'accord entre eux sur la date du record.

Certains estimaient que l'Irak n'a pas eu 289 jours sans gouvernement (date entre les élections et l'entrée en fonction) mais seulement 249. En effet, les partis irakiens ont annoncé avoir obtenu un «accord gouvernemental» 249 jours après les élections. Il leur a fallu ensuite 40 jours pour être nommé.

Par conséquent, la journée du 17 février marque effectivement une étape vers le record absolu. 249 jours. Et si nous rajoutons la période entre la chute du gouvernement précédent et les élections, nous obtenons le chiffre magique de 298. Presque un an.

Pour marquer l'évènement, des rassemblement ponctuels de jeunes sont prévus partout dans le pays:

A Bruxelles, les étudiants des universités francophone et néerlandophone ont prévu de se réunir devant le Palais de Justice de la ville sous le slogan: «Se diviser, pas en notre nom.» Nom de code: «la Révolution Moules-frites».

Contrairement à la manifestation du 23 janvier, les rassemblements ne seront pas neutres mais dénonçant «le nationalisme» et le «séparatisme». A Louvain-La-Neuve, un flashmob sera organisé sur la Grand-Place. Il y est prévu de pouvoir lancer des fléchettes sur des cibles à l'effigie des politiciens.

A Gand, cela prendra la forme d'un strip-tease géant. Alors qu'au même moment et dans la même ville, le parti d'extrême droite indépendantiste, le Vlaams Belang tiendra sa propre manifestation, pour souligner la nécessité d'une Flandre indépendante.

Un accord encore possible?

Sur le front de l'actualité, le Roi Albert II a donné deux semaines de plus à l'informateur royal, le libéral francophone Didier Reynders pour terminer sa mission. Son objectif est de tenter de remettre les partis politiques de deux communautés autour de la table des négociations.

De plus en plus d'analystes commencent à douter des indépendantistes de la NVA et de leur volonté d'obtenir un accord, préférant jouer le pourrissement de la situation pour démontrer la profondeur du fossé qui séparerait les deux communautés et l'inutilité de l'État fédéral belge puisque malgré tout, le pays continue de tourner.

Courage les Belges.

Jean-Sébastien Lefebvre

(NDLE: article mis à jour, une première version avait malencontreusement été mise en ligne. Elle ne contenait toutefois aucune erreur.)

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