Économie

L'automobile et le génie français

Temps de lecture : 4 min

En France, on ne se rend même plus compte de la réussite de Renault et de PSA. L'industrie française sombre, pas les constructeurs automobiles dont on devrait se féliciter tous les jours du succès planétaire.

La Zoe électrique de Renault Benoit Tessier / Reuters
La Zoe électrique de Renault. Benoit Tessier / Reuters

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Les constructeurs automobiles français sont-ils largués? Et la déroute quasi-générale de l'industrie gauloise s'est-elle propagée à ce secteur phare, comme on dit quand on apprécie les calembours contextualisés? N'en déplaise aux déclino-pessimistes, il semble bien que non. La France demeure, au côté d'une poignée de vieilles nations déterminées et d'une paire de néophytes fébriles, un «player» indiscutable.

On peut toujours, si l'on tient vraiment à mal démarrer la journée, expliquer qu'être resté un leader dans ce qu'il y a peut-être de plus ringard, de plus dinosaurien, sur le terrain de l'activité économique n'est pas si flamboyant et qu'il n'y a pas de quoi se vanter… Mais ce serait une grave erreur: comme vecteur de nomadisme, la bagnole n'est pas plus obsolète que le téléphone portable. La transition du Motorola de 3,5 kilos à l'iPhone 4 est juste un poil plus complexe dans son cas.

En tout état de cause, comment fait-t-on la preuve de la bonne santé relative de nos Renault, Peugeot et Citroën à l'heure de la désindustrialisation galopante? Eh bien on commence par regarder les chiffres et les classements, ces données que l'on déteste lorsqu'elles permettent de comparer nos universités à celles des Américains ou des Anglais mais qui mettent du baume au cœur lorsqu'elles se parfument au bitume.

Ainsi, le top 10 des constructeurs mondiaux intègre-t-il toujours deux entreprises françaises:
PSA, sixième avec un peu plus de 3 millions de véhicules produits en 2009, et l'ensemble Renault-Nissan quatrième avec un peu moins de 5 millions[1]. C'est moins que les Goliath du podium (Toyota, 7,2 millions ; GM, 6,4 millions ; VW, 6 millions), mais c'est plus qu'honorable compte tenu de ce qu'est devenue l'automobile britannique (seules quelques marques de prestige survivent, généralement aux mains de groupes chinois, indiens, américains et allemands) ou même italienne (un seul constructeur de grand volume, oscillant constamment entre le cancer au stade terminal et l'euphorie).

Mieux: ces deux entreprises autrefois totalement concentrées sur un Hexagone qu'un magma de lois, de règlements, de taxes et de pur chauvinisme protégeait de la concurrence extérieure sont désormais d'authentiques multinationales présentes partout dans le monde et singulièrement dans les pays émergents où la demande est la plus robuste.

Enfin, ce «partout» n'est peut-être pas l'adverbe qui convient puisque l'Amérique du Nord leur reste irrémédiablement fermée en dépit de nombreuses tentatives, mais sans doute vaut-il mieux parier sur la Chine, l'Inde ou le Brésil que sur les Etats-Unis ou le Canada si l'on envisage de durer encore un peu.

Le sentiment que les constructeurs français sont en perte de vitesse est pourtant largement répandu, les réactions incrédules des commentateurs à l'idée qu'un groupe chinois pique de la technologie à Renault ne trompant personne: Sony tenterait-il de faucher les plans d'une télé 3D avec option odorama à une PME de la Creuse?

Mais c'est tout le drame du provincialisme gaulois dans l'analyse. Si nos constructeurs perdent régulièrement des parts de marché sur leur propre turf (ils contrôlaient plus de 70% des immatriculations françaises il y a 20 ans, autour de 50% désormais), c'est qu'ils sont allés chercher ailleurs la croissance de leurs ventes, abandonnant à d'autres quelques fractions d'un petit marché désespérément mature. Si le nombre de voitures fabriquées en France régresse alors que la production trotale des deux grands groupes explose, c'est qu'il faut bien fabriquer des autos en Argentine ou en Corée pour les vendre aux gens du coin...

«Une seconde!» s'écrieront les déclino-pessimistes évoqués plus haut et à qui on ne la fait pas: «L'Etat n'a t-il pas dû voler au secours de ces entreprises que la crise allait balayer en subventionnant leurs produits et en leur prêtant des milliards de brouzoufs?» Objection retenue mais bémolisée: la prime à la casse a coûté de l'argent, mais c'était pour la bonne cause. Elle a permis de renouveler le parc français en remplaçant de vieux véhicules polluants par de petites mécaniques vertes et effectivement aidé le secteur à passer l'hiver comme dans tous les pays du monde ou presque.

Quant à l'aide financière généreusement apportée par l'hyperprésident, elle est déjà presque intégralement remboursée, ce que seraient bien en peine de faire des entreprises censément plus en phase avec l'air du temps ― d'Airbus à Alstom.

De fait, l'industrie automobile française au sens large, c'est à dire au-delà des seuls constructeurs et en intégrant les grands «équipementiers» que sont, par exemple, Michelin (n°1 mondial du pneu), Valeo, Faurecia (n°7 et 8 des fabricants de pièces et d'éléments intégrés pour les grandes marques) est l'un de nos grands atouts pour l'avenir.

Pas seulement parce qu'un milliard de Chinois et autant d'Indiens ne rêvent que de s'acheter des Renault et des Peugeot avec les yuans qu'ils engrangent en nous vendant des T-shirts et des chaussettes, mais plutôt parce que maitriser la filière automobile, c'est rester en prise avec toutes les préoccupations du futur, qu'elles soient sociétales, technologiques ou commerciales. Difficile à gober? C'est normal. C'est dans notre nature de peuple le plus flippé de la planète, de types qui disent «Ça ne marchera jamais» en observant le fardier de Cugnot d'un œil goguenard.

Bah, de toute manière, ce sera ça ou rien: en France, on n'a pas de smartphones mais on a des Renault.

Hugues Serraf



[1] Nissan reste une entreprise japonaise, mais son capital est contrôlé à plus de 44% par Renault et l'ensemble est dirigé par Carlos Ghosn. Plusieurs de leurs modèles sont identiques ou fabriqués sur des plateformes communes mais commercialisés sous l'une ou l'autre marque selon les pays en fonction d'impératifs marketing.

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