Monde

N'écrivons pas une fausse mythologie des Anonymous

Temps de lecture : 3 min

Tandis que l'attention des médias se concentre sur un adolescent français soupçonné de diriger les Anonymous, ceux-ci continuent de s'organiser en Tunisie et en Egypte. Et si on rétablissait quelques vérités au lieu d'agiter les bras?

Anonymous @ Sofortige Erleuchtung (inkl. MwSt.) on September 27 in Ansbach, Germany / munichnom via Flickr CC License By

Cet article a originellement été publié sur Owni.fr.

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«Petit génie du web», «soupçonné d’avoir participé à une cyberattaque internationale», «passionné par l’informatique depuis qu’il a 6 ans», et même «cerveau des vengeurs de WikiLeaks». Depuis quelques jours, la presse s’emballe autour du cas d’un adolescent auvergnat de 15 ans, entendu par la police il y a six semaines à propos de son rôle dans la réponse pro-WikiLeaks: au mois de décembre, alors que plusieurs organismes bancaires tels que Visa ou MasterCard avaient décidé de couper l’approvisionnement du site de Julian Assange, les Anonymous avaient massivement riposté en lançant une série d’attaques par déni de service (DDoS), paralysant les sites des entreprises incriminées. Et à en croire certains, c’est un hacker français pas encore majeur qui aurait coordonné l’opération depuis l’ordinateur familial, «au milieu des t-shirts et des chaussettes sales».

Un mouvement sans leader

Ca vous rappelle quelque chose? En mars, François Cousteix, un jeune Auvergnat –déjà– répondant au nom de Hacker-croll, avait été interpellé, soupçonné de s’être introduit frauduleusement sur un système de données, en l’espèce le compte Twitter de Barack Obama. Et tandis que le FBI arpentait les vallons clermontois, le procureur lui-même dégonflait la baudruche. «Ce n’est pas un pirate, le costume est trop grand pour lui», reconnaissait-il.

Dans un contexte médiatique où l’attention se concentre sur les «mystérieux Anonymous», la fascination inhérente au secret qui les entoure percute de plein fouet les grilles d’analyse traditionnelles. En dehors du fait que l’article du Figaro a été écrit par un journaliste membre du Groupe de contrôle des fichiers de police et de gendarmerie présidé par Alain Bauer, déjà célèbre pour ses dithyrambes pro-sécuritaires (qui sont loin de faire l’unanimité), force est de constater que les strates d’Internet n’ont pas encore révélé tous leurs secrets aux journalistes-spéléologues.

Première représentation traditionnelle mal adaptable: tout mouvement a un leader, et les Anonymous ne devraient pas échapper à la règle. Mais personne ne s’est par exemple demandé comment ce jeune homme avait pu être tracé par les autorités, alors même que LOIC (Low Orbital Ion Cannon), le logiciel qui permet de lancer des attaques DDoS en deux clics, a déjà dans le passé montré de cruelles failles de sécurité, dévoilant l’adresse IP de belligérants.

Selon Gabriella Coleman, anthropologue et professeur à la New York University et spécialiste de la culture hacking, «il faut se méfier du sensationnalisme et de la mythologie». Si elle reconnait que ces erreurs d’appréciation «ont été dans l’air du temps depuis des décennies, et devraient persister encore longtemps», il est plus que nécessaire de faire un effort d’analyse dès lors qu’on se penche sur le cas très particulier des vengeurs-masqués-transfuges-des-interwebs.

«Les Anonymous ne sont pas un groupe structuré ou homogène, mais ça ne veut pas dire qu’ils n’ont pas de rôles définis», précise d’emblée Coleman, qui avait publié un article très intéressant sur The Atlantic au mois de décembre, embarquée avec les Anon pendant l’Operation Payback. «Certains ont un rôle technique, ils contrôlent l’infrastructure, les serveurs IRC (Internet Relay Chat, services de messagerie en temps réel utilisés pour planifier et coordonner les attaques, NDLR)». Car c’est sur ce genre de plateformes collaboratives, à laquelle on peut ajouter PiratePad, que se «noue le consensus» entre tous ces internautes hétéroclites.

Une diversification politisée

Comment expliquer ce regain d’intérêt pour les Anonymous, dont le dernier fait d’armes remontait à 2008 et ce grand combat contre l’Eglise de Scientologie? En décidant de défendre WikiLeaks au moment où les projecteurs étaient braqués sur Julian Assange et son organisation, ils ont donné une nouvelle ampleur à la fameuse Operation Payback, lancée en septembre contre les sites américains d’ayants-droit. Et depuis, ils accompagnent les soulèvements arabes, en Tunisie ou en Egypte, jouant les trouble-fêtes quand l’Internet s’éteint. Gabriella Coleman y voit un phénomène de diversification:

«Les Anonymous sont politiquement plus sophistiqués qu’avant. Ils sont passés du statut de troll à celui de militants. Les utilisateurs de 4chan (l’imageboard qui a vu naître le mouvement) ne sont plus seuls, on recense également des geeks lecteurs de Boing Boing ou des activistes technophiles locaux.»

Finalement, le meilleur moyen d’appréhender la présence et l’action des Anon, c’est d’évoquer les chiffres plus que d’organiser le storytelling autour de l’arrestation d’un adolescent, qui tend à faire croire que les Anonymous sont des millions de soldats numériques connectés en armée invisible. Selon les estimations de Coleman, on a recensé des milliers d’Anon au plus fort de la bataille contre les organismes bancaires. Aujourd’hui, dans les nuages entre Le Caire et Tunis, 252 canaux IRC sur le serveur principal draineraient entre 365 et 400 personnes.

Olivier Tesquet

(Article publié le 1er février 2011 sur Owni.fr)

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