Hand vs Foot, voilà le refrain du moment, sciemment entretenu par madame la ministre Chantal Jouanno. Ok, dimanche soir, la comparaison nous a aussi envahis. J'étais parti couvrir le match Monaco-OM, et le seul moment fort du périple fut cette prolongation grandiose de Malmö, vécue devant la télé du stade Louis-II aux côtés des techniciens de Canal+. La suite footballistique? «Nulle, comme le résultat», dixit Didier Deschamps, le coach de l’OM.
Dans les interminables couloirs du stade, la
réflexion d’un journaliste de l'AFP: «Mais pourquoi se fait-on avoir à chaque
fois?» Parce que le spectateur aime ça. Il pleure le dimanche soir devant la
tristesse de la L1, et dès le lundi c’est reparti, il débat sur RMC: «Mais
Brandao est indispensable, les gars»; «Deschamps, il ne pense qu’à se barrer à
Chelsea»; «Gignac et Rémy, 30M€, 0 frappe cadrée». Etc.
Malgré des moments historiques en pagaille, un palmarès
édifiant, le handball n’en arrivera jamais là. On n’entendra pas dans les
cafés: «Au fait, t’as vu, la dernière recrue de Tremblay-en-France?»; «Samuel
Honrubia, humm, un peu surcoté, je préfère Guillaume Joli sur l’aile…». Tous
les gentils handix, l’équivalent en handball des footix, critiquent
aujourd’hui le sport roi et ne jurent que par les «Experts».
Cherche enceinte attrayante
Mais où seront-ils le week-end prochain?
Probablement partout, sauf dans les tribunes du complexe sportif Guy Drut (Saint-Cyr-Ivry)
ou au palais des sports de la Valette (Cesson-Sévigné-Tremblay) pour la reprise
du championnat. C’est le principal problème du hand français: peu d’enceintes
attrayantes, et une vraie difficulté à les remplir. Exceptées la
flambante enceinte montpelliéraine inaugurée en septembre 2010 (plus de
9.000 places) et la salle de Chambéry (4.500 places), les clubs hexagonaux
reçoivent dans d’aimables gymnases. Bercy et ses 15.000 sièges sont utilisés à
l’occasion. Avec cette seule salle au-delà de 10.000 places pour accueillir du
sport, la France est à égalité avec la Lettonie, mais loin de l’Allemagne (18)
ou l’Espagne (12), les deux pays avec les ligues les plus relevées.
Chantal Jouanno a expliqué après le nouveau succès des Bleus: «Il nous faut
faire émerger une nouvelle génération d’équipements.» Début 2009, après le
sacre mondial en Croatie, la question avait déjà été posée. Le
plan Arena 2015, fruit d’une commission présidée par l'immortel et ancien
coach des «Barjots» Daniel Costantini, esquisse la création de cinq grandes
salles de plus de 10.000 places, une salle de plus de 15.000 et une autre de
plus de 20.000. Vaste programme, quand on voit comment avancent les
chantiers épiques du foot français, de Lille à Lyon, en passant par
Marseille.
La télé reste l’autre serpent de mer. En 1995, Philippe Gardent, pivot timbré
des Barjots, regrette
déjà la sous-médiatisation du championnat de France. En 2008, Nikola
Karabatic souhaitait que son sport soit filmé comme en Allemagne: «Là-bas,
c'est magnifique. On doit mettre en avant la notion de spectacle.» Et en 2011?
Le championnat de France est diffusé par Eurosport et Orange Sport, qui se
retirera bientôt. Les droits télé sont de 2M€ par an actuellement pour le hand,
contre 668M€ pour le foot. Et la première offre écrite d'Eurosport (associée
cette fois à France Télévisions) pour les trois prochaines saisons reste
en retrait, pour l'instant.
Les tentatives ratées du hand-business
Cette relative inertie a un goût de pain béni. Quand le hand est allé vite, il s’est planté en beauté. Au début des années 1990, Jean-Claude Tapie, frère de, a amené l’OM-Vitrolles sur le toit de l’Europe. A l’époque, il proposait une offre unique: une place achetée pour le Vélodrome, une seconde offerte pour le hand, 3.000 abonnés en profitaient chaque week-end. Mieux qu’une combine à Nanard.
L’aventure fut étonnante, quelques anciens racontent encore ce Palais des sports qui semblait pris de convulsion à chaque exploit de Jackson Richardson. La chute retentissante. Les dates ont strictement coïncidé avec les cousins du football: Ligue des champions remportée en 1993, dépôt de bilan en 1995.
Cette parenthèse unique et éphémère restera
peut-être la plus grande synergie jamais vécue entre foot et hand. A trop
vouloir copier, le hand finit souvent par se faire coller. A Hambourg, le club
des frères Gille, un homme d’affaires audacieux, Winfried M. Klimek, a vu
grand au début des années 2000. Rémunérations du niveau de joueurs de foot et
une voiture gagnée à la mi-temps de chaque match à la Color Line Arena. Bilan: banqueroute,
détournement de fonds, salaires impayés et le boss en prison. «C'était une
expérience étrange, nous a dit un jour Bertrand Gille devant un verre de
limonade. Mon frère et moi, on a réalisé a posteriori à quel point cela a pu
être salvateur d'être ensemble dans cette galère.»
Le handball est un rude combat d’hommes devant une zone, parfois interrompu par
des envolées majestueuses. Ce sport terrestre a rarement la folie des
grandeurs, mais cela peut lui venir soudainement, comme l’inspiration à Luc
Abalo. En 2008, la Ligue nationale de handball, jeune institution présidée
par Alain Smadja, rêve de dépoussiérer le hand. La Fédération française de
handball est gérée sans idées novatrices, bref, c’est une épicerie familiale.
La LNH, en revanche, a de l’ambition.
Miami Vice
Imiter le rugby, essayer de se rapprocher
du montant de leurs droits télés, et délocaliser le dernier carré de son
trophée chéri, la Coupe de la Ligue, à Miami. Yes, Miami, dans l’antre même des
stars NBA Dwayne Wade et LeBron James. Ce sera un four total, ce Miami vice. Quelques
centaines de spectateurs assisteront en tribunes au sacre d'Istres en avril
2009 (et encore, on compte large).
Depuis, la Fédération française de handball a repris la main. En quelques
années, elle s’est adaptée aux temps modernes. En faisant un peu de marketing
(le surnom «Les Experts», créé de toutes pièces). En élevant les primes de
victoires pour les joueurs. En s’ouvrant progressivement au secteur privé, qui
représente maintenant un tiers de son budget (15M€ au total).
En lançant récemment le projet Hand Treprise, visant à créer un pool de sponsors. Mais pas plus. «Nous sommes une petite PME qui sait ce qu’elle fait», répète souvent Philippe Bana, le directeur technique national. Sur les maillots des Bleus du hand, un sponsor: l’Artisanat, première entreprise de France.
Artisanat et tradition
C’est exactement ça. La multinationale du foot, l’artisanat du hand. Une Fédé
qui consacre 40% de ses sous aux 47 pôles de formation régionaux, comme celui
de Nice, où les futurs tauliers William Accambray et Xavier Barachet ont mûri.
Le roi des cours d'EPS, un sport transmis par les instituteurs, comme les
parents des frères Gille. Dans le
club qu’ils ont créé à Loriol (Drôme), la séance d’entraînement valait
cours d’éducation civique: «Aide tes copains, et l’équipe t’aidera.» Jeune, à
Apt (Vaucluse), Michaël Guigou,
l’ailier gauche, n’était heureux qu’à une condition: tous ses coéquipiers
devaient avoir mis un but au coup de sifflet final, et il s’acharnait à faire
marquer les moins adroits.
La notoriété des footeux, les
handballeurs la souhaitent du bout des lèvres. Ils aimeraient juste que
France Télé se réveille avant la finale. Le reste, c’est le sélectionneur
Claude Onesta qui
en parle le mieux:
«Pour ce qui est de la notoriété du handballeur, méfions-nous… Si elle fait que, demain, il doit gagner deux fois plus d’argent mais aussi devenir deux fois plus con et deux fois plus pénible à gérer, j’aurais tendance à dire: ‘‘restons à la situation actuelle’’. Quand je vois les comportements des joueurs de l’équipe de France de foot à l’heure actuelle, je me dis que la notoriété et la médiatisation de ces joueurs n’amènent pas que de des bonnes choses.»
Onesta le visionnaire a tenu ces propos deux ans avant
Knysna. «Le hand restera une affaire de passionnés», nous avait expliqué Joël
Abati en plein tournage d'un
clip de promotion pour les Jeux de Pékin.
Aujourd’hui, un ado fait du hand… pour faire du hand, alors que le football
représente un plan de carrière à lui tout seul. Le salaire moyen d'un
handballeur pro français est de 3.000€ net par mois, contre 40.000€ net pour un
footballeur de L1. Les corollaires sont connus: individualisme, poids
grandissant de l’entourage, décalage avec la réalité, ego surboosté. Près de
300 agents écument le foot français, moins d’une dizaine le hand français.
Il suffit d'un coup de fil à un journaliste pour joindre Nikola Karabatic, Franck
Ribéry n’a plus rencontré un média français depuis un an. En octobre 2009, j’ai
organisé un
entretien croisé sur le poste de gardien avec Thierry Omeyer et Steve Mandanda,
portier de l’OM. Chacun devait interroger l’autre. Omeyer m’a rappelé quatre
fois pour peaufiner ses questions. Mandanda m’a laissé écrire les siennes. Mais
je n’avais pas à me plaindre, il ne donnait pas une seule interview à ce
moment-là. Humainement, Mandanda est-il moins intéressant qu’Omeyer?
Certainement pas. Il est juste footballeur. Il existe peut-être des statuts
plus enviables.
Mathieu Grégoire