«Des nanas habillées en pingouin.» La réplique, crachée par Harvey Keitel, les narines poudrées, symbolise tout le détachement du personnage par rapport à l’Eglise et à la foi. Le viol d’une nonne n’y change rien. Cette pointe de mépris, il la ravalera au terme de Bad Lieutenant, chemin de croix réalisé par Abel Ferrara (1992). Les religieuses, les nonnes, les sœurs, ces femmes qui ont décidé de consacrer leur vie à dieu, ont souvent été des sources d’incompréhension, de mystère. Et de divertissement. Il est amusant de constater que la nonne, dans tous ses états, est une figure idéale pour installer une situation irrévérencieuse.
Dialogue au carmel, Clovis Trouille (1944)
Prenons la série Californication par exemple. Celle-ci s’ouvrait, dans sa première saison, sur une rencontre surréaliste entre une sœur et Hank Moody, écrivain en panne d’inspiration. «En temps normal, je vous aurais suggéré quelques Notre Père […] Pourquoi pas une petite pipe?» Vendue sur son mélange de sexe et de comédie, la série utilise cette scène comme une note d’intention, presqu’un manifeste. Merci ma sœur.
De ces deux séquences, un trait commun se dessine: la place centrale du sexe (un viol dans le premier cas, une fellation dans le deuxième). Evidemment, la réalité est aux antipodes du sexy: une nonne s’engage à rester vierge et à vivre pieusement. Toute trace de féminité tend à être cachée: accoutrement ample, , qui ne laisse apparaître que le visage. Souvent noire et blanche, la robe permet immédiatement de reconnaître une bonne sœur pour l’observateur extérieur. C’est encore ce principe de piété qui guide le choix de la tenue:
«Vivre une vie chaste veut également dire renoncer au besoin d'apparaître, assumer un style de vie sobre et modeste. Les religieux et les religieuses sont appelés à le démontrer également dans le choix de leur habit, un habit simple qui soit le signe de la pauvreté vécue en union avec celui qui, de riche qu'il était, s'est fait pauvre pour nous faire riches de sa pauvreté.»
Mais si la tenue cache, elle est de fait propice au fantasme, à l’effeuillage et à la découverte: en matière de tenue sexy, la nonne rivalise avec l’infirmière ou la secrétaire. Certains en ont même fait commerce, troquant le mat de la robe contre les reflets du cuir. Il ne s’agit plus de dissimuler le corps bien sûr, et de jouer sur la corde, attachée et bien serrée, du sado-masochisme.
Virginité et SM, deux mamelles dont le lait devait bien sûr [NDLR : Attention ces liens renvoient vers un contenu à caractère pronographique] irriguer le cerveau fertile —et les bourses— des scénaristes de l’industrie du porno. Des amateurs ont même été plutôt inspirés, inventant la «bicyclette de la nonne». On vous laisse deviner son utilisation, disons juste qu’il n’y a pas de selle…
Autre source de fantasme, le couvent, maison religieuse que les religieux habiteront en gardant la vie commune et qu'ils ne «quitteront qu'avec la permission de leur Supérieur», fonctionne en vase-clos, d'où le désir devient trop fort et s’échappe lors d’étreintes interdites. L’endroit ne pouvait que favoriser les échanges lesbiens. L’enfermement et le lieu, aux recoins sombres et humides, fait monter la température, mais aussi le trouillomètre.
Le sujet avait déjà été abordé en littérature (s'il ne fallait en citer qu'un: La Religieuse de Denis Diderot (1796), œuvre anticléricale qui dénonce la vie coupée du monde et expose la dépravation qu’elle peut produire sur les individus.) Le cinéma a pris le relais, surtout dans les années 1970. La figure de la nonne déviante a alors donné naissance à un véritable courant du cinéma de genre: la nunsploitation.
Souvent agrémenté d’un soupçon de vengeance, comme dans Killer Nun (1978), ce sous-genre a connu son apogée dans les années 1970: Flavia la défroquée (1974), Alucarda (Juan Lopez Moctezuma, 1975), Sister Emmanuelle (1977)… Les prémices de la nunsploitation sont à chercher au début du siècle, dans le satanique Häxan (1922, Benjamin Christensen), un film muet où le démon se joue des nonnes. Le dernier rejeton peu catholique du genre, au titre quasi-poétique (il y a une rime), se nomme Nude Nuns with Big Guns (2010). Un autre film rendait récemment hommage à la nunsploitation: Machete de Robert Rodriguez, où le personnage de Lyndsay Lohan se transformer en une jolie nonne à la gâchette facile. L'idée d’une nonne avide de revanche ne date pas d’hier. Avant La Nonne (2008), l’opéra de Charle Gounot La Nonne sanglante faisait appel à un fantôme dont la vengeance restait à assouvir. Le nunsploitation a aussi engendré des parodies dont celle-ci, franchement réussie.
Lindsay Lohan dans Machete
En réalité, si les exemples actuels (tels Nude Nuns with Big Guns) viennent de plus en plus des Etats-Unis, ce sont surtout les cinémas de genre européens (italien, espagnol) qui ont contribué à faire vivre la nunsploitation. Une conséquence directe de l’héritage culturel et religieux du Vieux Continent: l’Inquisition et les couvents moyen-âgeux font partie de l’Histoire européenne.
Toutefois, on trouve des films de nunsploitation au Japon également. Comme souligné dans le hors-série Mad Movies n°11 consacré au phénomène Grindhouse [page 37], le recours à la nonne y a un sens distinct:
«Si ces films d’un point de vue européen peuvent apparaître contestataires et anticléricaux, il n’en demeure pas moins que le propos est bien différent sous l’angle japonais. Tout d’abord, il ne faut pas oublier l’importance fétichiste représentée par les uniformes, et comme la tenue “écolière”, celle des nonnes est source de fantasmes. Aujourd’hui encore, les religieuses sont toujours à la mode et hantent régulièrement les mangas (The Spanking Sisters) ou les direct-to-video…»
Plus discret aujourd’hui que dans les années 1970, le fantasme ne s’est pas éteint. Le jeu vidéo s’y est même mis récemment présentant une pseudo-nonne sexy vêtue de cuir dans Bayonetta ou une jeune sœur dans le jeu de combat 2D Guilty Gear XX. Reste que ces 20 dernières années, la dérision semble avoir pris le pas sur le fantasme.
Malgré quelques résurgences filmiques horrifiques (Le Couvent, La Nonne), la culture populaire utilisent toujours les nonnes mais avec une bonne dose d’humour. Si le fond est de facto plus «soft», la méthode reste la même que pour la nunsploitation. La nonne est associée dans l’imaginaire collectif à la rigueur, au renoncement au paraître et au sexe. Il s’agit donc pour les créateurs de la dévergonder de toutes les manières possibles. Pour certains artistes comme Clovis Trouille, ça tourne presque à l'obsession.
Alors, l’humour léger de la campagne de pub Hotmail entrevue sur Internet fait sourire: «C’est ça, et moi je suis ta sœur.» La publicité a de toute façon multiplié les apparitions de nonnes, et ce dans toute l’Europe. En France, en Belgique, en Espagne ou en République Tchèque, la nonne est devenue une super VRP. Avec souvent le même ressort: le produit est présenté comme un moyen d’émancipation. Dans la publicité, l’effet est directement visible: c’est le dévergondage des nonnes. Ce type de message est un classique –contesté– de la société de consommation.
Parfois, de telles campagnes créent la polémique. Si les précédentes s’avèrent plutôt sages, cette pub britannique pour une marque de glace présentant une bonne sœur enceinte n’a pas fait rire tous les Anglais. L’affiche jongle explicitement avec deux thèmes sensibles: la virginité et le plaisir.
C’est aussi avec humour qu’est traitée une partie de l’information concernant les bonnes soeurs. Dans l’actualité, une nonne qui déconne est renvoyée à la rubrique «insolite». C’est ce même parfum d’excentricité que recherchent les organisateurs d’enterrements de vies de jeunes filles. Grimer la donzelle en bonne sœur, certificat de virginité à compléter en sus, est un classique. Il y a d’ailleurs une large réserve de blagues qui raillent les bonnes sœurs. Imparable: le caractère rigoureux du personnage n’a même plus besoin d’être rappelé tellement les règles qui y sont associées sont ancrées dans l’imaginaire.
Et ça marche toujours. Des sketchs avec des nonnes, il y en a à la pelle, que ce soit à la TV ou au cinéma. Comme ce «100 mètres nage libre en eau bénite» de Daniel Prévost, où la compétitrice française réalise un faux départ puisqu’elle a «entendu des voix». Caustique, le sketch, datant de 1983, est d’ailleurs resté célèbre puisque dans le costume de la nonne on trouve… Ingrid Betancourt!
D’accord, le délire est parfois plus ou moins volontaire. Sœur Sourire a ainsi traversé les années avec son tube Dominique, dont l’ambiguïté du refrain continue à faire sourire. Toujours ce décalage, encore, entre activité sexuelle interdite et abstinence. On reste parfois sans voix, comme devant cette incroyable «nonne-chaku», à la fois arme de défense et chapelet!
Dans nos sociétés façonnées par le christianisme, recourir à la nonne n’est pas anodin. N’est-ce pas une façon de «déchristianiser», de relativiser le religieux en transposant ceux qui l’incarnent dans un contexte profane et grivois? Sans doute. S’éloignant de la religion, les hommes prennent le parti de rire (gentiment) des femmes d’Eglise. C’est aussi, bien sûr, railler une forme d’obscurantisme (social et religieux) qui condamnait autrefois les femmes à des vies difficiles, faites de restrictions et d'enfermement. Ce n’est pas un hasard si les années 1970 coïncident avec une vague de films nunsploitation: celles-ci consacrent la libération des mœurs et de la sexualité. Seul élément féminin d’un clergé masculin, individu sans réelle autonomie, la nonne rebelle est un symbole parfait de l’émancipation de la femme.
Retour au réel. Entre des nonnes excessivement gentilles et drôles (Sœur Thérèse.com, Sister Act) ou plus ou moins déviantes (de l’insoumise à la tortionnaire SM), la fiction a rarement voulu rendre compte avec fidélité du quotidien des bonnes sœurs. L’abondance de détournements a créé une sorte de brouillard autour de l’image de la nonne, qui, finalement, dans l’imaginaire, reste associée à des clichés. Or la réalité est diablement intéressante, touchante. Ici, un retour sur les lieux de l’enfance. Là, un sympathique échange (réel?) entre une nonne et Bernard Thibault.
Peut-être faudra-t-il un hypothétique «Des Nonnes et des Dieux» pour apporter un nouveau regard… On laissera le mot de la fin à Soeur Béatrice, Mère abbesse de Notre-Dame-des-Gardes à Chemillé (Maine-et-Loire).
«Notre mode de vie sort de l’ordinaire et il me semble normal qu’il suscite de la curiosité […], explique-t-elle au quotidien la Croix. Je suis notamment émerveillée de la façon dont Xavier Beauvois a rendu la réalité de la vie cistercienne, et notamment son caractère de quotidienneté. Toutefois, [les films] n’arrivent pas à rendre compte totalement de l’essentiel de la vie monastique. Simplement parce qu’une part de notre engagement, l’aspect spirituel, fait partie de l’indicible.»
A méditer, littéralement.
Charlotte Camilla