Les débats et sujets abordés lors de ce Midem 2011 à Cannes en témoignent: l’industrie musicale aura pris son temps, mais le travail de deuil se fait enfin autour du disque et des revenus qu’il génère. Fini de veiller le mort! L’industrie se tourne désormais vers un enfant qu’elle n’a pas regardé grandir: le numérique, du mobile aux réseaux sociaux.
Du côté de l’organisation, la mutation se fait encore plus profondément sentir. La zone du MidemNet, la marge du Midem dédié au digital et au web, sera de loin la plus animée du Palais, et l’image de salon du disque s’estompe pour de bon –open spaces, sessions de speed-dating entre projets et investisseurs, ateliers et concours de start-ups.
Attention, ça tweete derrière vous!
L’amour soudain du secteur pour le web s’affiche sur la scène même des conférences: sur l’écran, les intervenant partagent la vedette avec une timeline Twitter dédiée au Midem. Dispositif potentiellement incontrôlable, qui se solda évidemment en première matinée par de rocambolesques situations —des tweets pipicaca défilant dans le dos d’orateurs en train de louer la toute-puissance des utilisateurs de réseaux sociaux.
Ici, on apprend à la dure.
Autre mot au cœur des conversations de ce midem: le «cloud», galaxie de plateformes, de périphériques, d’usages et de contextes dans lesquels le consommateur d’aujourd’hui est susceptible d’utiliser de la musique, et, on ne sait jamais, sur un malentendu, de payer pour un service. Un écosystème de développement reposant sur les API, des outils programmés, ouverts et publics, enrichissant jour après jour les fonctionnalités des applications de demain destinées à utiliser la musique sur ce cloud.
Reconnaissance musicale, géolocalisation, bases de données de paroles, généalogies artistiques… ces nouvelles possibilités ouvrent un champ de création vertigineux. Sur la terre dévastée du secteur musical s’invite soudain le monde des développeurs, venant nourrir le soudain appétit du marché pour les nouvelles technologies, et comptant bien inventer la nouvelle bombe.
Dave Haynes de SoundCloud explique:
«Il y a dix ans, l’exploitation du MP3 par Shawn Fanning pour Napster a bouleversé à jamais l’industrie du disque. Les trois nouvelles lettres de cette décennie, c’est l’API, et un développeur de demain peut encore tout bouleverser.»
La perspective excite les uns, effraie les autres. Et si le Fanning de demain était, une fois encore, de l’autre côté de la ligne de la légalité? Cette éventualité pousse l’industrie musicale à –enfin– se tourner vers la recherche, et à envisager un mariage de raison avec le monde des technologies.
Du passé faire table rase?
Structurellement, les maisons de disques ont-elles les capacités d’ouvrir leurs portes à ce vent frais et exotique? «L’industrie de l’entertainment n’a jamais vraiment bien travaillé avec les développeurs de services internet», souligne Ty Roberts, directeur technique de Gracenote.
La fusion est complexe chez les majors: «Il y a eu du turnover de surface, mais trop de responsables fonctionnent encore avec un ancien référentiel, c’est plus fort qu’eux», confie un cadre de label. «De plans sociaux en restructurations, le système ressemble à une sorte de Frankenstein, qui ne sait plus trop comment avancer. Il faudrait tout détruire et recommencer à zéro.» Exemple récent: l’échec gênant chez EMI de Douglas Merrill, ancien CIO de Google, dont l’expérience n’aura duré qu’un an au sein du groupe.
«D’ici à 5 ans, le téléchargement n’existera plus, ou sera générationnel, affirme Terry Mc Bride (Nettwerk Music Group). Les gens obtiendront la musique de leurs appareils mobiles, et consommeront la musique de cette façon. Ils ne possèderont pas la musique, ils l’obtiendront. C’est pour ça que je suis très inquiet au sujet d’un “Dark Cloud” qui supplanterait le “Cloud”. Si l’industrie de la musique ne se met pas en marche pour comprendre ces nouveaux comportements... un gamin en Russie ou en Inde ou ailleurs va créer une appli qui marchera avec ces nouveaux systèmes basés sur le Cloud, et les artistes ne percevront pas de revenus de ces applis.»
Le gamin russe, c’est le nouvel épouvantail, le plombier polonais de l’industrie du disque, et Russe ou non, il métaphorise surtout dans la bouche de Mc Bride les digital natives issus d’un monde qui n’a jamais goûté aux schémas économiques traditionnels de l’industrie du disque, biberonnés aux CD MP3 à 100 roubles des bazars moscovites, et très à l’aise avec l’univers de la programmation. Bref, le danger absolu.
Law and disorder
On retrouvera justement un de ces gamins russes lors des pitch sessions du MidemNet, où de jeunes start-up exposent en 5 minutes leur projet à des venture capitalistes et moguls du monde mobile.
Le jeune développeur fait la démonstration d’un nouveau format musical multipistes permettant le remix de morceaux depuis une application mobile.
«Qu’en est-il des éventuels problèmes de licence avec les ayants droits des morceaux? demande un des membre du jury.
- Nous comptons bien trouver dans un avenir proche un partenaire extérieur qui veuille bien travailler sur ce sujet à notre place.»
Rires gênés.
Evident contraste d’énergies auquel l’industrie va devoir faire face, et surtout, mise en évidence d’un facteur qui n’arrange rien: la lourde chape juridique et multiterritoriale liée aux licences, non adaptée aux tendances de la consommation musicale. Autant organiser une course de Formule 1 avec des feux rouges tous les 50 mètres.
«Nous sommes passés d’une industrie traditionnelle, avec un grand nombre de petits détaillants, au territoire limité et sans besoin de catalogues complets, à une industrie digitale, avec un petit nombre de géants internationaux, nécessitant des catalogues complets, sur tous les territoires», explique un avocat de l’IAEL (International association of entertainment lawyers).
«Il faut prendre des risques et forger de nouveaux modèles.»
De la part d’un avocat, la phrase est absolument révolutionnaire.
A l’heure où Spotify vient à peine d’obtenir un accord avec Sony pour permettre son lancement sur le sol américain, la question des licences, de leurs négociations et de ces nouveaux enjeux légaux est particulièrement à l’honneur cette année. Le Midem propose une «legal clinic», où des avocats accueillent en sessions éclair de jeunes entreprises pour les conseiller.
A été également organisé une «Crash Test» session, où un avocat simule étape par étape le lancement d’un site de streaming à échelle mondiale, et les écueils auxquels il devra faire face.
«Si vous voulez les licences pour toute l’Europe, vous allez certainement avoir affaire à 30 interlocuteurs différents. Ça peut paraître beaucoup, mais pour 20 millions de chansons ce n’est pas beaucoup, non?»
Derrière l’orateur, Twitter proteste.
Henry Michel