Économie

La prochaine crise financière est pour demain

Temps de lecture : 6 min

On ne sait pas quand elle se produira ni où, mais on sait qu’une autre crise financière aura lieu si les déséquilibres planétaires et les bulles continuent à grandir.

Marché à terme Reuters
Marché à terme / Reuters

Il est de bon ton de dénoncer le pessimisme des Français. Incapables de nous projeter dans le futur avec confiance, nous partirions vaincus dans la grande bataille économique qui oppose chaque pays aux autres. De toute façon, pourquoi nous battrions-nous puisque le monde court à la catastrophe? A supposer que nous ayons tous l’humeur aussi noire qu’on le dit, nous aurions quelques excuses. Les responsables politiques et économiques de ce monde s’emploient avec une énergie et une imagination inépuisables à multiplier les risques de crises et s’étonnent quand elles arrivent. Quant aux modestes observateurs que sont les experts, analystes et journalistes, ils ne sont pris en considération que s’ils annoncent des catastrophes. Les gens raisonnables sont jugés ennuyeux, les prophètes intéressent d’autant plus que les prédictions les plus farfelues, grâce au talent des responsables déjà mentionnés, ont une chance non négligeable de se réaliser..

Alors, pour ne pas être en reste, il nous a semblé indispensable de procéder à un rapide tour d’horizon des catastrophes pouvant survenir avant la fin de cette décennie (ce qui, notons-le, revient en réalité à faire preuve d’un optimisme débordant puisque certains nous annoncent déjà la prochaine crise financière pour les dix-huit mois à venir). Nous avons évidemment exclu de notre champ d’investigation les catastrophes naturelles (trop facile: on est sûr de gagner si l’on reste suffisamment imprécis) et purement politiques (là encore, il est vraiment trop aisé de prédire de futurs coups d’Etat, des massacres interethniques ou interreligieux, des révoltes réprimées dans le sang, etc. ). Nous resterons dans le domaine de l’économie et de la finance, qui offre déjà à lui seul un bel éventail de possibilités. Tellement nombreuses mêmes qu’il est impossible de dire avec certitude d’où viendra le prochain choc.

Commençons par regarder ce qui peut arriver chez nous. L’année commence de façon quasiment radieuse. La Bourse de Paris rattrape un peu le retard accumulé sur les autres places, la confiance des chefs d’entreprise remonte très vite et en Allemagne l’indice Ifo de leurs anticipations est monté à son plus haut niveau depuis la réunification. Même les craintes sur les dettes portugaise et espagnole se sont nettement apaisées. Dans l’Hexagone, les niveaux d’endettement des particuliers et des entreprises ne justifient aucune inquiétude particulière et, sans que l’on puisse vraiment parler de politique de rigueur, le gouvernement s’attaque de façon prudente mais résolue à la question de la réduction du déficit de l’Etat; quel que soit le vainqueur de l’élection de 2012, cette politique ne devrait pas être remise fondamentalement en cause. Mais on constate que la Sécurité sociale est toujours en déficit et que les collectivités locales arrivent de plus en plus difficilement à boucler leurs budgets, l’Etat leur ayant transféré les dépenses qui augmentent le plus vite sans leur avoir donné les ressources adéquates: un jour viendra où certaines d’entre elles ne pourront plus faire face aux échéances, sauf à relever les impôts dans des proportions inimaginables. Que se passera-t-il alors? Pour l’instant, ça passe, alors on attend que ça casse pour prendre des décisions.

Chez nos voisins, ce n’est pas mieux. En Espagne, la facture immobilière est loin d’être payée et les banques vont encore avoir de douloureuses surprises; des recapitalisations sont à prévoir. Les municipalités espagnoles vont aussi devoir solliciter les marchés financiers; ajoutés à ceux de l’Etat et des entreprises privées, ces besoins de financement vont atteindre des niveaux tels que les signaux d’alerte vont encore retentir. Un jour ou l’autre aussi, on va s’apercevoir que rien n’est réglé pour l’Irlande et la Grèce: on leur a prêté de l’argent, mais à des conditions telles que la charge de leur dette croît plus vite que le PIB. Il n’y a pas besoin d’être grand clerc pour comprendre que ce n’est pas tenable. Fort heureusement, on n’a pas osé interdire aux Irlandais de continuer à faire venir les entreprises étrangères dans des conditions fiscales particulièrement douces; c’est leur principale chance de s’en sortir! Mais la Grèce, en dépit des sacrifices demandés à sa population, pourra-t-elle éviter une restructuration de sa dette? Ce serait une excellente nouvelle, à laquelle il ne faut pas trop s’attendre. Les Chinois ont bien raison de venir en «aide» aux pays européens en difficulté ; un jour ou l’autre, ce sera payant et, on le sait, les dirigeants chinois savent voir loin.

De l’autre côté de la Méditerranée, les dernières nouvelles en provenance de Tunis montrent qu’il est toujours dangereux de croire que les régimes en place peuvent se maintenir éternellement au pouvoir. Tout le monde pense aujourd’hui aux pays ouvertement dictatoriaux et à la population importante comme l’Egypte. Mais le risque financier ne se limite pas à cette catégorie: de petits pays dont on parle peu parce que leur population est modeste numériquement et ne se manifeste guère, comme les Emirats Arabes Unis, peuvent réserver quelques surprises désagréables. La crise de Dubaï, fin 2009, a été très vite oubliée, mais tous les problèmes de ce petit Etat ne sont pas réglés et des problèmes comparables peuvent surgir ailleurs : la folie immobilière est très souvent à l’origine des crises financières ou, à tout le moins, les accompagne.

Ce qui incite à regarder encore plus loin, du côté de Shanghai et de la Chine. Dans la lutte anti-inflation que mène le gouvernement, l’immobilier tient une place de choix: si les rapports publics restent mesurés, les enquêtes publiées dans la presse font état de hausses annuelles pouvant aller dans certaines grandes villes jusqu’à 70%! On peut ajouter à cela les mauvaises surprises que peuvent réserver les comptes des banques, avec des prêts accordés selon des critères et avec des analyses de risque qui feraient hurler dans n’importe quelle école de commerce. Mais, si l’on veut vraiment se faire peur, il faut se reporter à des avertissements tel celui publié récemment par un ancien membre de la Banque de Chine: «La croissance chinoise a un coût extrêmement élevé (…) Sans des ajustements drastiques et douloureux, l’élan de la croissance pourrait s’effondrer brutalement».

Au Japon, la dette publique avoisine 200% du PIB. Personne ne s’en inquiète, en tout cas pas les agences de notation, pour une raison simple: les besoins de l’Etat sont facilement couverts par le recours à l’épargne intérieure et la rémunération de ses emprunts est dérisoire. Pourquoi les épargnants japonais l’acceptent-ils? Depuis vingt ans, le pays n’est jamais vraiment sorti de la déflation. Avec des prix qui reculent ou au pire, stagnent, des taux d’intérêt faibles peuvent être acceptés. La question du financement de la dette peut se poser avec plus d’acuité le jour où les prix retrouveront le chemin de la hausse. Elle risque de se poser de toute façon avec l’accroissement régulier du nombre de retraités dans un pays en vieillissement rapide: ces retraités auront besoin de leur épargne pour compléter leurs modestes pensions. A ce moment-là, les agences de notation vont découvrir qu’il existe un vrai danger japonais.

Passons rapidement sur le reste de la zone Pacifique et l’Amérique latine, juste pour rappeler que dans un passé récent on eu des crises en Asie, au Mexique, au Brésil (qui est mieux géré maintenant), en Argentine, etc. Miser sur le fait qu’on peut être dix ans sans problème dans l’un ou l’autre de ces pays serait parfaitement irréaliste. Et terminons par les Etats-Unis, où l’on s’enthousiasme maintenant avec des prévisions de croissance supérieures à 3% pour cette année, alors que le marché immobilier est loin d’avoir retrouvé son équilibre et que les ménages ont toujours pour principal souci de réduire ou stabiliser leur endettement. La croissance s’explique par une politique monétaire extraordinairement expansionniste et un déficit public qui va encore frôler les 10% du PIB cette année. Quant à la dette publique, le Congrès discute en ce moment sur le point de savoir s’il doit autoriser qu’elle dépasse la limite actuelle de 14.294 milliards de dollars; il donnera son accord, évidemment, mais le chiffre commence à faire réfléchir, surtout quand on voit que sur plus de 4.346 milliards de cette dette détenus par les étrangers, la part de la Chine recule (en dessous de 900 milliards) tandis que celle du Japon et de la Grande-Bretagne augmente. Deux créanciers en pleine forme!

Notons qu’on va un peu moins parler de la Californie maintenant qu’Arnold Schwarzenegger n’est plus son gouverneur. Mais il ne faudrait pas oublier que ses finances demeurent dans un état catastrophique et que beaucoup d’autres Etats ne sont pas dans une situation plus brillante. Ceux qui aiment sonner le tocsin ne manquent vraiment pas d’occasions en ce début d’année 2011 !

Gérard Horny

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