Ainsi va la vie plus ou moins agitée des sportifs. Un jour, le 4 décembre, le joueur de tennis britannique Andy Murray laisse poindre son irritation sur son compte Twitter alors qu’il a été tiré du lit à l’aube par un contrôleur antidopage dont il semble avoir du mal à trouver les motivations:
«Départ pour les Bahamas aujourd’hui! Joli petit test antidopage à 6h du matin pour commencer la journée, ça doit être un drôle de boulot d’être un agent de la lutte antidopage et de réveiller des gens au hasard.»
Un autre, le 20 décembre, toujours sur Twitter, c’est Lance Armstrong qui ironise sur son retour à la maison où l’attendent des représentants de l’USADA, l’agence américaine antidopage:
«Je passe la matinée avec mes vieux amis de l’USADA. Test sanguin et d’urine. Content qu’ils soient là pour m’accueillir chez moi.»
Ce qui pourrait passer pour du harcèlement -après tout, qui aimerait se faire réveiller à 6h du matin pour un pipi imposé?- est devenu une habitude pour les champions, une sorte de potion amère à avaler sans trop broncher.
Le code mondial antidopage
Savoir où se trouvent les sportifs pendant et en dehors des compétitions, y compris lors de leurs vacances, et pouvoir les contrôler, cela fait partie, en effet, des droits des organisations de lutte antidopage. La première d’entre elles, l’Agence Mondiale Antidopage (AMA), a rédigé un article du code mondial antidopage à cet effet et qui vaut pour toutes les organisations ayant adhéré à ce code, la bible en la matière. Il s’agit de l’article 14.3 qui dit ceci:
«Comme le prévoient de façon plus détaillée les standards internationaux de contrôle, les sportifs identifiés par leur fédération internationale ou leur organisation nationale antidopage comme appartenant à un groupe cible de sportifs soumis aux contrôles sont tenus de fournir des renseignements précis et actualisés sur leur localisation. La fédération internationale et l’organisation nationale antidopage doivent coordonner l’identification des sportifs et la collecte des informations actualisées sur leur localisation, et les transmettre à l’AMA. Ces renseignements seront accessibles, par l’intermédiaire du système ADAMS si possible, aux autres organisations antidopage ayant le pouvoir d’effectuer des contrôles sur ces sportifs en vertu de l’article 15. En tout temps, ces renseignements seront conservés dans la plus stricte confidentialité; ils serviront exclusivement à la planification, à la coordination et à la réalisation de contrôles. Ils seront détruits dès lors qu’ils ne seront plus utiles à ces fins.»
Le système ADAMS pour Anti Doping Administration and Management System est, en quelque sorte, le Foursquare de la lutte antidopage. Ce procédé de géolocalisation a été mis en place en 2005 et révisé en 2009. De quoi s’agit-il? Le logiciel ADAMS est mis à la disposition des athlètes par le biais d’un site internet dédié auquel ils se connectent afin de donner toutes les indications au sujet de leur situation sur le globe. Pour chaque trimestre à venir, ils doivent fournir une adresse de résidence, un programme sportif (horaires et lieux d’entraînement et de compétition) et pour chaque jour de ce trimestre à venir, un créneau horaire d’une heure entre 6h et 21h ainsi qu’une adresse pendant laquelle et où le sportif pourra être contrôlé.
Difficile de savoir à l'avance
Le système est, on le voit, très contraignant, mais il l’était encore plus entre 2005 et 2009, période pendant laquelle les contrôleurs pouvaient frapper 24h sur 24. Il nécessite également de la part du sportif une réactualisation incessante de sa localisation dans la mesure où sa programmation, donnée pour la forme pour le trimestre à venir, évolue sans cesse en fonction de ses résultats.
Comment un joueur de tennis, qui remplit sa fiche un 15 décembre pour le trimestre suivant, peut-il vraiment savoir où il sera le 20 janvier? Peut-être sera-t-il à Melbourne, à l’Open d’Australie, mais peut-être sera-t-il aussi rentré à la maison après avoir perdu prématurément. Tous les changements d’agenda doivent être signalés au système au plus tard à 17h la veille du jour d’un possible contrôle. Gare aux étourdis!
Si l’on en croit le tweet d’Andy Murray, l’Ecossais a d’ailleurs choisi, semble-t-il, de se simplifier la vie en optant pour la première heure possible de contrôle (de 6 à 7h). Car au moins sait-il où il se trouve dans (en principe) 100% des cas: dans son lit.
Mais Murray est un privilégié. A l’image d’autres sportifs très argentés comme lui, il est aidé dans sa tâche de géolocalisation par le biais de l’équipe qui l’entoure. Une personne, qui le suit sur le circuit professionnel, est ainsi attachée, entre autres activités, à son actualisation quotidienne sur le système ADAMS, le n°1 britannique pouvant se préoccuper de l’essentiel: la préparation de ses matches.
Groupes cibles
Le système ADAMS n’est pas obligatoire, mais de nombreuses fédérations internationales et associations nationales de lutte antidopage comme l’Agence Française de Lutte Antidopage (AFLD) l’ont adopté au fil du temps et l’ont donc imposé aux athlètes sachant que tous ne sont pas concernés par cette contrainte. Seuls sont visés des sportifs qui constituent des «groupes cibles» sans que la notion soit péjorative.
En France, les sportifs du groupe cible sont désignés par le directeur des contrôles de l’AFLD. Cet honneur leur est notifié par courrier recommandé, dont sont informés la fédération et la ligue professionnelle, le cas échéant. Il faut préciser que des fédérations internationales ont aussi leurs groupes cibles, si bien qu’il est théoriquement possible d’être ciblé et donc contrôlé deux fois.
Dans le monde, environ 120.000 sportifs de haut niveau sont actuellement branchés sur ADAMS. En France, ils sont quelque 500 sportifs à être membres du groupe cible de l’AFLD.
Sports collectifs et individuels
Jusqu’à récemment, moins de la moitié émanait des sports collectifs. Seuls les capitaines des équipes pouvaient faire partie, par exemple, dudit groupe cible. Du côté de ces disciplines collectives, vraiment concernées par ADAMS depuis seulement 2009, les habitudes ont eu, il est vrai, du mal à se mettre en place. Et les difficultés demeurent entre elles et l’AFLD. Alors que la Commission nationale de l’informatique et des libertés (CNIL) a validé la légalité de la démarche de l’AFLD, les syndicats des joueurs des principaux sports collectifs (football, rugby, handball et basket-ball) se sont carrément érigés contre cette injonction de localisation permanente. En juin, ils ont été jusqu’à déposer un recours en annulation devant le Conseil d’état contre l’ordonnance du gouvernement du 14 avril dernier, qui pérennisait cette pratique. L’affaire suit son cours et l’AFLD ne commente pas.
Pour se justifier, les syndicats ont évoqué la spécificité des sports collectifs en matière d’emploi du temps (?) et l’atteinte aux principes généraux des libertés individuelles alors que les cyclistes et nombre d’athlètes individuels composent, en silence, avec leurs agendas tout aussi ingérables et avec cette dura lex sed lex depuis des années. Philippe Piat, coprésident de l’Union Nationale des Footballeurs Professionnels (UNFP), a osé proclamer que «l’AFLD est hors-la-loi!»
Trois types de manquements sont distingués dans le cadre d’ADAMS: la non-transmission à l’AFLD des informations dans le délai requis, la transmission d’informations insuffisamment précises et actualisées pour le créneau d’une heure et l’absence du sportif constatée par un préleveur durant le créneau d’une heure au lieu indiqué. Lorsqu’il atteint trois avertissements durant une période de 18 mois consécutifs, un athlète est passible d’une suspension allant de trois mois à un an.
En 2009, sur les 412 sportifs composant le groupe cible de l’AFLD, 216 avaient été ainsi destinataires d’un ou de plusieurs courriers à la suite d’un manquement: 145 sportifs pour un rappel, 54 pour un premier avertissement, 15 pour un deuxième avertissement et deux -un lutteur et une judoka- pour un troisième avertissement (PDF).
Yannick Cochennec