Les grandes conférences internationales, comme le sommet du G20 à Londres, sont avant tout utiles pour les discussions bilatérales et les conversations en tête à tête, un exercice dans lequel Barack Obama s'est montré à la hauteur des attentes. Les Etats-Unis semblent être revenus aux principes fondamentaux de la diplomatie, une évolution qui, au regard des huit dernières années, est presque une révolution.
Prenez la rencontre du 1er avril entre Obama et le président russe Dmitry Medvedev, qui a débouché sur un communiqué commun inhabituellement riche en substance de 19 paragraphes détaillant une feuille de route large mais précise, le tout étant le fruit d'une compréhension perspicace et presque froide de ce qui fait les relations internationales. «Nous avons commencé aujourd'hui, a affirmé Obama lors de la conférence de presse qui a suivi, un dialogue très constructif qui nous permettra de travailler sur les problèmes dans notre intérêt mutuel.» J'ai moi-même ajouté l'italique à mutuel, et un haut représentant du gouvernement a également attiré l'attention sur cette expression lors d'un briefing de presse annexe, comparant cette approche avec la première rencontre de Georges W. Bush avec le président russe (alors Poutine). Après l'avoir vu, Bush avait proclamé qu'il avait regardé Vladimir Poutine dans les yeux et qu'il y avait vu son âme.
Le rencontre avec Medvedev a marqué le moment où Obama a officiellement appuyé sur le bouton «reset» de la diplomatie américaine effaçant ainsi les années Bush. Le geste a été reconnu comme tel par le ministre des affaires étrangères russe Sergei Lavrov, qui a noté «une nouvelle atmosphère de confiance» provenant non seulement de la camaraderie personnelle, qui ne crée que «l'illusion de bonnes relations», mais de la reconnaissance d'«intérêts mutuels» et d'une «volonté de s'écouter». Lavrov a rajouté, «Cela nous a beaucoup manqué par le passé.»
Des anciens conseillers de Bush m'ont confié que sa remarque sur les yeux et l'âme de Poutine en avait couté à leur patron. Quand il a fait ce commentaire, lors de son premier voyage en Europe en juin 2001, il avait décidé d'abandonner le traité anti-missiles balistiques (ou traité ABM) pour pouvoir créer un système de défense anti-missiles. Il se sentait obligé d'assurer à Poutine que la décision n'était pas dirigée contre la Russie, qui était extraordinairement faible à l'époque ; il voulait aussi maintenir la Russie comme un contrepoids face à la Chine. En gros, la remarque de Bush était dictée, selon ces conseillers, par des motifs de haute stratégie.
C'est possible, mais cela n'en a rendu sa déclaration que plus stupide. Bush pensait-il que faire copain-copain avec Poutine et le traiter comme «un homme bon» allait faire fondre toute résistance et l'attirer de notre côté ? La seule question est de savoir si, au fond de lui, l'ex-agent du KGB fut ébahi par la naïveté de Bush ou irrité par sa condescendance.
Ce que Poutine aurait préféré entendre à ce moment, ce que tous les dirigeants qui comprennent l'histoire et les exigences de leur fonction veulent généralement savoir dans toute relation diplomatique, c'est ce qu'il y avait sur la table qui aurait pu servir l'intérêt de sa nation.
Lors de sa conférence de presse du mercredi 1er avril, Obama a souligné que les Etats-Unis et la Russie avaient de sérieuses différences et qu'il ne les dissimulerait pas. Dès le début, il a dit à Medvedev d'abandonner la reconnaissance de l'Abkhazie et de l'Ossétie du Sud en tant qu'Etats indépendants, et il a protesté contre la bastonnade du militant des droits de l'homme Lev Ponomaryov. Mais Obama a également affirmé qu'il ne laisserait pas ces différences entraver les questions qui comptent, telles que la prolifération nucléaire, le contreterrorisme, les conflits régionaux et le commerce international, et pour lesquelles la coopération pourrait (à nouveau) favoriser les intérêts des deux pays.
La seule chose étonnante à propos de cette attitude est que, comparée aux déclarations d'il y a à encore quelques mois, elle soit si remarquable.
La diplomatie de Bush tendait vers le noir et blanc : je m'entends bien avec vous, ou pas ; vous êtes avec nous ou contre nous ; vous êtes un terroriste, ou vous combattez les terroristes. Cette approche a mené, et de manière générale mène encore, à des désastres non pas parce qu'elle est moralisante, mais parce qu'elle se trompe de manière si flagrante sur le monde et nous laisse avec si peu d'influence pour peser sur lui.
Par exemple, Obama va presque certainement engager des pourparlers avec la Syrie afin d'isoler l'Iran et de couper les liens des deux pays avec le Hezbollah. Bush s'est toujours opposé à tout contact, et même aux efforts de certains de ses conseillers pour mener cette stratégie, en raison du soutien de la Syrie au terrorisme. Avec ce type d'argument, lors de la Seconde Guerre mondiale les Etats-Unis n'auraient pas conclu d'alliance avec l'Union Soviétique contre l'Allemagne nazie au motif que Staline n'était pas beaucoup moins malfaisant qu'Hitler, et nous aurions fait face une défaite catastrophique du haut de notre donjon moral.
Cela explique en partie pourquoi Obama a abandonné l'expression «guerre contre le terrorisme.» Elle sous-entend que tous les mouvements terroristes forment un bloc à la dangerosité et au poids homogènes ; et que cela nous empêche donc de diviser les mouvements ou de les monter les uns contre les autres. L'une des définitions d'une diplomatie réussie est d'unir ses alliés et diviser ses ennemis ; les déclarations de Bush tendaient à faire exactement l'inverse.
Si Bush a remporté quelques succès au cours des deux dernières années, c'est parce qu'il a abandonné ses préceptes. Le «renforcement» en Irak a réussi (en termes de tactique militaire), parce qu'il a coincidé avec une nouvelle stratégie qui a consisté à nouer des alliances avec les insurgés Sunnites - anciens ennemis - avec pour objectif de battre un ennemi commun plus important. (Vraiment dommage que les quatre premières années de guerre aient tué tellement de gens et si profondément déchiré ce pays). Les coréens du nord ont accepté de stopper l'enrichissement d'uranium parce que Bush a finalement engagé des négociations sérieuses. (Vraiment dommage qu'ils aient construit et testé une arme nucléaire pendant qu'il refusait de négocier pour des questions de principe absurdes).
Les dirigeants et les diplomates américains se sont longtemps déchirés avec la contradiction entre leurs idéaux et leurs intérêts. L'astuce de Bush a tout simplement consisté à prétendre que cette contradiction n'existait pas. Dans son deuxième discours d'investiture, il avait affirmé que nos intérêts et nos idéaux coincidaient invoquant un syllogisme attrayant mais vide: la tyrannie engendre le terrorisme, le terrorisme menace notre sécurité, du coup promouvoir la démocratie renforce notre sécurité; de fait, nos intérêts et nos idéaux se rejoignent. Le problème est que le terrorisme est une tactique, pas un ennemi, et que la démocratie n'est pas forcément un remède dans tous les cas. (Le Hamas a remporté des élections libres dans les territoires palestiniens, élections sur lesquelles Bush a beaucoup pesé pour qu'elles se tiennent, contre l'avis de nombreux experts, partant du principe que le Hamas ne pouvait pas gagner parce que le terrorisme et la démocratie sont incompatibles).
Obama semble lui mesurer les contradictions entre les intérêts et les idéaux sans les laisser paralyser son action politique. Il est dans ce sens comme la plupart des présidents américains de l'histoire et sa politique étrangère montre un retour à ce qui a été défini par le terme de «statecraft», ou l'art de conduire les affaires de l'Etat. Le concept a toujours recouvert le mélange des intérêts et des idéaux avec la réalité d'un monde dangereux. Les dirigeants peuvent essayer de modifier la réalité, mais ils ne peuvent pas ignorer les cartes et les lois de la physique pour y parvenir. Ils ont à composer avec le monde tel qu'il est et c'est qu'Obama semble faire.
Cela ne veut pas dire qu'il va réussir. Mais il comprend que les intérêts de quelques nations en conflit avec nous ne changeront pas avec d'éventuelles réconciliations quels que soient les efforts diplomatiques. Le moment test de sa présidence pourrait venir quand un conflit de ce type débouchera sur une crise.
Fred Kaplan
Image de une: à Strasboug, samedi 3 avril. Jason Reed / Reuters