Sports

Les entrepreneurs qui ont changé le rugby français

Temps de lecture : 6 min

Max Guazzini, Mourad Boudjellal et Jacky Lorenzetti ont, chacun à leur manière, contribué au succès et à la modernisation du rugby français.

Finale du championnat de France de rugby en 2007 au Stade de France, REUTERS/Regis Duvignau
Finale du championnat de France de rugby en 2007 au Stade de France, REUTERS/Regis Duvignau

Après 2010, année football plus ou moins ratée en raison d’une coupe du monde qui ne laissera pas de grands souvenirs dans le cœur et dans la tête des amoureux du ballon rond, voici 2011, année qui pourrait être celle du rugby si cet automne, quand démarrera la coupe du monde du côté de la Nouvelle-Zélande, le beau jeu s’invite à cette compétition de plus en plus planétaire.

Certes, il est acquis que le rugby ne supplantera jamais le football. Mais au moins est-il de plus en plus évident que l’Ovalie grignote, comme l’on dit, des parts de marché aux dépens de la discipline reine. Face à une forme d’immobilisme du football, illustré, par exemple, par le refus obstiné du recours à la vidéo, le rugby oppose une sorte de mouvement permanent caractérisé par des règlements en constante évolution qui peuvent faire débat, mais qui, au moins, n’ont pas l’air de dérouter ou de dégoûter les amateurs pourtant tout aussi ancrés dans des traditions que ceux du football. Quand le football paraît accuser un gros coup de vieux, le rugby ne cesse de vouloir innover et d’attirer de nouveaux publics.

Quiconque circule dans les couloirs du métro parisien pourra faire le constat de ce décalage entre le rugby qui sait se vendre et le football qui ne prend presque plus la peine de s’adresser directement au public. Le Stade Français et le Racing Métro 92, les deux clubs vedettes de rugby de la région francilienne, s’affichent sur les murs en quatre par quatre de manière presque constante et souvent spectaculaire alors que le Paris Saint-Germain se fait extrêmement rare. En termes de marketing, il n’y a pas de match.

Visionnaires

C’est la chance du rugby d’avoir pu compter sur des entrepreneurs visionnaires qui ont eu l’audace et le courage de mettre une partie de leur fortune au service de leur passion et de leur club. C’est aussi grâce à eux que le rugby a franchi un palier en France en offrant de gros moyens à leurs formations capables d’attirer des stars mondiales qui ont fait du Top 14 le championnat le plus réputé de la planète. Certains argueront qu’à cause d’eux, le rugby a dépassé quelques bornes à son tour et se trouve désormais sur une pente financière très savonneuse. Il n’empêche.

Le rugby est encore loin de connaître les dérives du football. Le budget de l’Olympique Lyonnais, évalué à 150 millions d’euros, est ainsi cinq fois supérieur à celui du Stade Toulousain, le plus riche du Top 14. Et son modèle économique est plus sain dans la mesure où son avenir, contrairement au football, ne dépend pas exclusivement des droits télévisuels, la moitié de ses recettes provenant du sponsoring. En se situant au sommet du monde, le Top 14 donne également le la en matière de rémunérations et peut imposer une modération salariale sans craindre la concurrence des ligues concurrentes.

Plus que les autres, trois hommes, peuvent s’arroger une grande part du succès et de la nouvelle croissance du rugby en France: Max Guazzini, Mourad Boudjellal et Jacky Lorenzetti, ces deux derniers «s’affrontant», dimanche 9 janvier, dans le cadre du match du Top 14 entre le Racing Métro 92 et le Racing Club de Toulon à Colombes. Trois millionnaires étrangers au sérail qui ont bouleversé la donne, chacun à leur manière, très différente de celle d’autres mécènes du rugby comme Pierre Fabre à Castres, Michelin à Clermont-Ferrand ou Serge Kampf à Biarritz. Trois hommes loin de faire l’unanimité en raison de leur style et de leurs méthodes, et qui n’ont pas hésité à secouer avec brutalité habitudes et ordre établi pour faire que le rugby, en France, ne soit plus confiné au seul Sud-Ouest.

Guazzini le précurseur

Max Guazzini, 63 ans, a longtemps songé à devenir cardinal au point d’avoir échangé souvent dans sa jeunesse avec le cardinal Etchegaray. Puis sa vie a bifurqué lors de sa rencontre avec Orlando, le frère de Dalida, qui lui fera faire deux 45 tours avant de le mettre entre les mains de la chanteuse qui l’adoubera en tant qu’attaché de presse. Viendra la victoire de François Mitterrand en 1981 et arrivera l’avènement des radios libres où Max Guazzini fera son nid et sa fortune grâce au succès colossal de NRJ.

Passionné de rugby, Max Guazzini est devenu président du Stade Français en 1992, poste qu’il occupe à plein-temps depuis sa démission de NRJ en 2004. Il a été un détonateur pour le rugby en prenant le risque de faire jouer son équipe au Parc des Princes puis au Stade de France, enceintes qu’il a réussi à remplir entièrement à de multiples reprises grâce à des politiques tarifaires attractives et à une politique constante d’animations. Il a aussi osé le maillot rose et le calendrier des Dieux du Stade, prenant à rebrousse-poil le terroir du rugby. Et même si son étoile a pali ces derniers temps en raison des résultats très ternes du Stade Français, il n’a pas encore déposé les armes…

Boudjellal, de la BD au rugby

Agé de 50 ans, Mourad Boudjellal incarne une nouvelle génération de dirigeants qui n’a pas froid aux yeux. Fils d’un éboueur et d’une femme de ménage algériens, il a bâti sa fortune grâce à Soleil, maison d’édition francophone de bande dessinée. Il est devenu coprésident du RC Toulon en mai 2006 avec Stéphane Lelièvre. L’année suivante, il a acquis les parts de son associé pour devenir majoritaire. Le club est remonté en Top 14 au printemps 2008 et Boudjellal rêve depuis de le voir conquérir le Bouclier de Brennus et l’Europe.

Pour arriver à ses fins, ce dirigeant bling-bling, qui aime rouler en Ferrari et en Maserati, n’a pas lésiné sur les moyens. En 2006, il a ainsi enrôlé Tana Umaga, l’ancien capitaine des All Blacks, pour jouer en Pro D 2. A quel prix: 350.000 € pour huit matches payés directement par le compte en banque personnel de Boudjellal. Depuis, il a embauché Jonny Wilkinson, la star anglaise, et est parvenu à remplir à son tour le Stade Vélodrome de Marseille.

Mourad Boudjellal, c’est un style parfois très direct comme lorsqu’il s’attaque bille en tête à Roselyne Bachelot.

Ou lorsqu’il s’attaque à ses amis du Sud-Ouest:

«J’ai cherché à développer une économie qui corresponde à la réalité toulonnaise. A chacun évidemment de le faire en fonction de ses moyens. Mais ce n’est pas parce qu’Albi a des limites de développement que je dois me limiter…»

Lorenzetti le discret

Jacky Lorenzetti, 60 ans, nettement plus modéré et discret, est une sorte d’anti-Boudjellal, mais ses ambitions sont les mêmes. Lui aussi a spectaculairement participé au remodelage du rugby français en prenant possession du Racing Métro 92 moribond et en mettant la main sur la tête de gondole nationale du sport, Sébastien Chabal. De nationalité suisse, cet entrepreneur d’origine tessinoise a bâti sa success-story dans l’immobilier, en créant Foncia il y a près de 40 ans, groupe qu’il a revendu en janvier 2007 pour 800 millions d’euros. Arrivé à la tête du Racing-Métro en juin 2006, il a multiplié le budget du club par dix, presque exclusivement sur ses fonds personnels afin de monter dans le Top 14 -c’est fait- et de rafler tous les titres à brève échéance. Et il n’a pas botté en touche en évoquant ses vues pour le rugby.

« Moi je prêche pour un rugby universel, prophétisait-il, il a y a quelques années, dans les colonnes de L’Equipe. Il faut un deuxième grand club à Paris, que Toulon et Lyon montent, que Strasbourg, Lille, Rennes aient un grand club. Nos dirigeants, Serge Blanco notamment, sont conscients de cela. La solution, après, c’est les franchises. C’est Béziers-Narbonne-Perpignan, Auch-Blagnac-Montauban-Albi ou même Biarritz-Bayonne. » Des opinions révolutionnaires qui choquent le monde du rugby.

Pour faire grandir son club, Jacky Lorenzetti est en train de le doter d’un nouveau stade, l’Arena 92, à Puteaux, à l’image de Max Guazzini qui a également passé commande d’un nouvel écrin pour son Stade Français près du Parc des Princes. Avec eux, le rugby n’a pas seulement changé de visages ou d’habits. C’est toute la maison qui est en train d’être reconstruite. Dimanche 9 janvier, le match Racing Métro 92-Toulon, rencontre vedette de la 16e journée du Top 14, montrera le chemin parcouru à la vitesse de l’éclair par ces deux clubs depuis la Pro D2 où ils végétaient il n’y a pas si longtemps avant de revenir en pleine lumière grâce à Mourad Boudjellal et Jacky Lorenzetti.

Yannick Cochennec

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