Life

Laurent Delahousse ou l’ontologie du bonheur journalistique

Temps de lecture : 6 min

Derrière le brushing delahoussien, c’est un bouleversement des infos télés qui se dessine.

Laurent Delahousse / Photo France 2
Laurent Delahousse / Photo France 2

Laurent Delahousse souffre d’une terrible injustice: il est systématiquement réduit à la blondeur de son brushing. Ce qui m’a valu un: «Ah, tu veux faire un article sur Laurent Delahousse. C’est parce que tu le trouves beau, c’est ça?» Bah non –même si je ne suis pas totalement insensible à la petite lueur taquino-lubrique au fond de son œil. Ce qui est intéressant chez lui, c’est qu’il fait partie des visages que tous les téléspectateurs connaissent et dont, pourtant, on parle peu. Or, derrière le brushing delahoussien, c’est un bouleversement des infos télés qui se dessine, une ontologie d’un journalisme heureux, humaniste et narratif. Rien que ça.

Les gens au centre de l’info

Il présente donc les JT du week-end sur France 2 et l’émission «Un jour, un destin». Quand il est arrivé sur France télévisions en 2006, Laurent Delahousse avait l’ambition de changer la formule du JT, traditionnelle accumulation de reportages de 2 minutes sur les sujets du jour. Il voulait faire un journal plus long, qui laisserait la place à des reportages de plusieurs dizaines de minutes et des débats avec des invités qui réagissent aux sujets. Exactement l’inverse du journal télé français classique.

Et il a en partie réussi avec «13h15 le samedi» et «13h15 le dimanche», deux programmes qui commencent à concurrencer sérieusement TF1, fait assez rare pour qu’on le souligne. La structure: un quart d’heure pour traiter les news, puis une deuxième séquence longue pour revenir sur l’actualité de la semaine. Dans «13H15 le samedi», on trouve même un billet d’humeur intitulé «Mon œil». C’est un peu du Canal+ (La petite semaine de Bruno Donnet) à la sauce service public, c’est surtout un montage très personnel de Michel Mompontet qui n’hésite pas à se payer la tête du président de la République —ici pour le bilan de ses 3 ans au pouvoir:

Et ça, c’est sur France 2 le samedi midi. On aime ou pas, en tout cas ça ne colle pas avec l’image d’une chaîne qui ne serait que la voix de son maître. Si Laurent Delahousse ne joue jamais lui-même la partition de l’impertinence, il a imposé un espace pour que d’autres le fassent. Mais surtout, la séquence Mon œil colle avec le reste du système Delahousse: elle est centrée sur un individu (le journaliste) et tend à recréer une histoire en réorganisant les séquences d’actu de la semaine.

En effet, dans les journaux que présente Laurent Delahousse, ce qui prime ce n’est ni de donner des faits de la manière la plus objective possible, ni d’analyser l’actualité, décortiquer des systèmes, des mécanismes. Ce sont les gens qui sont mis en avant. Ces reportages au format plus long partent certes d’une actualité mais sont avant tout des séries de rencontres avec des personnes. On peut se dire qu’effectivement ce qui se passe dans le monde concerne avant tout des individus.

Mais si Laurent Delahousse s’intéresse aux individus c’est peut-être parce qu’ils sont indispensables à la narration d’une bonne histoire. Résultat, ses journaux sont des suites de séquences narratives avec des caractéristiques suffisamment marquées pour qu’un reportage de 13h15 soit reconnaissable en 7 secondes montre-en-main. Si en allumant la télé, vous tombez sur:

  • 1°) une voix-off qui débite un texte faussement naturel avec des hésitations et des rectificatifs calculés du type «Nous… enfin eux surtout…».
  • 2°) des commentaires qui font penser à un étrange croisement entre Contes et Légendes et les jeux de mots de Libération.
  • 3°) un «on» omniprésent qui représente l’équipe de journalistes «dans l’enthousiasme général, on a même retrouvé Bernard, et on ne l’a pas lâché cette fois». Dans le système Delahousse, puisqu’on raconte l’histoire d’individus, des rencontres, il faut qu’il y ait un narrateur, fonction prise en charge par ce «on» ou «nous».
  • 4°) Les reportages sont découpés comme un livre en chapitres avec une image de la personne qui témoigne, son nom et un titre.

Soyons heureux ensemble avec Laurent

Une bonne histoire, visiblement, pour Laurent Delahousse c’est aussi une histoire plutôt positive. Evidemment, quand on présente le journal télé, on ne peut pas faire le journal des bonnes nouvelles mais de manière générale, dans le JT delahoussien, les sujets sont tournés pour insister sur l’aspect le moins négatif. Un optimisme qu’il garde même dans sa façon de présenter les infos qui, avouons-le, se résument souvent à la liste crise économique-chômage-guerres-attentats-catastrophes climatiques... Tout cela, Laurent en parle avec un brin de malice dans l’œil. Il y a d’ailleurs un groupe Facebook qui s’appelle Pour que le sourire de Laurent Delahousse perdure.

Comme le dit un fan:

Et c’est vrai que Laurent Delahousse donne l’impression de pouvoir annoncer les pires catastrophes avec légèreté. Bien sûr, ce n’est pas ce qu’on attend d’un journaliste, mais quand on est devant la télé, le dimanche soir à 20h et que le lendemain on doit retourner au boulot, la tentation est forte de ne pas vouloir finir complètement déprimé par les malheurs du monde.

Le clou de ce moment de bonheur simple, c’est son interview d’une star en promo à la fin du journal du dimanche soir. Cet entretien est un instant de relâchement total, d’hypnose télévisuelle. Laurent lance un sympathique «Allez, on parle cinéma» (ou musique). Deux cas de figures se présentent alors.

  • S’il reçoit une star américaine, la première question sera toujours «Bonsoir, (par exemple: Bruce Willis). Merci d’être avec nous. D’abord vous allez bien? Est-ce que vous vous sentez bien quand vous êtes à Paris?» A quoi 100% des stars répondent: «Oui, j’adore Paris, c’est une très belle ville.» (Je sais, c’est tout bonnement incroyable.)
  • Second cas de figure, la star est française. Pour faire une transition, Laurent reprend le sujet du reportage qui vient de finir et pose une question. Ainsi Nathalie Baye, accueillie après un reportage sur la déprime du dimanche soir, a eu droit à «Le rire, d’ailleurs, c’est une solution à la déprime?» (je veux pas spoiler mais elle a répondu que oui).

Mylène Farmer, elle, arrivait après un reportage sur la neige, ce qui a donné:

«Bonsoir Mylène Farmer. Merci d’être avec nous ce soir. On va d’abord parler de la neige. Vous savez elle a marqué l’actualité de la semaine, ça reste l’un des paysages qui vous… (pause, geste de la main qui cherche le verbe adéquat, et attention, ça va pas être n’importe quel verbe) passionne le plus toujours aujourd’hui?»

Question à laquelle Mylène n’a pas hésité à apporter une réponse choc et sans concession:

«Je trouve que ça embellit une ville, un pays.»

Voilà, c’est dit. Je soupçonne à cette occasion Laurent d’improviser un peu. Ainsi, il avait également lâché:

«Mylène Farmer qui est avec nous ce soir et c’est une belle surprise.»

Une belle surprise… Bah oui, elle passait dans le coin, elle a vu de la lumière, et puis on sait bien comment elle est, Mylène Farmer, hyper spontanée avec les médias...

Derrière l’apparence anodine de ces interviews, on retrouve le « système Delahousse » qui place l’humain au centre, avec en périphérie des valeurs positives comme la générosité ou la bonté. Le présentateur fait toujours attention à se mettre dans la posture du fan, comme s’il n’était pas un journaliste, mais un téléspectateur parfois taquin, toujours bienveillant. Il laisse parler ses invités et prend un air à la fois fasciné et amusé par ce qu’ils disent. Il se met ainsi sur un pied d’égalité avec les téléspectateurs, et c’est sans doute ce qui lui vaut la sympathie d’une partie du public.

Alors qu’on entend souvent que les infos à la télé, c’est partout la même daube, il faut bien admettre que Laurent Delahousse propose une saveur différente. Si on résume, en-dehors de la formule habituelle du JT, se démarquent:

  • Jean-Pierre Pernaut qui construit son 13h à partir d’une brochure des métiers de l’Artisanat et de la carte de France des plus belles régions
  • Canal qui se spécialise dans les infos façon bande-annonce de films américains.
  • Et Laurent Delahousse qui tend vers le téléfilm français.

Il a d’ailleurs récemment évoqué son envie de faire de la fiction:

«Cela fait maintenant dix ans que je travaille sur des documentaires, le réel est parfois étouffant, alors je rêve...»

Un projet professionnel pour le moins cohérent.

Titiou Lecoq

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