Culture

Un Burlesque qui manque de sexe

Temps de lecture : 5 min

Les véritables spectacles burlesques sont tellement plus sexy que le film avec Cher et Christine Aguilera.

Une scène du film Burlesque / Sony pictures
Une scène du film Burlesque / Sony pictures

Ce qui manque au nouveau film Burlesque, c’est tout simplement du sexe. Les vrais spectacles burlesques –qu’on jouait au Vaudeville ou au Moulin Rouge, dans les clubs de gentleman des années 1950 et 1960, ou, plus récemment, sur scène au Slipper Room, au Velvet Hammer Burlesque ou au Va Va Voom Room– avaient toujours comme sujet le sexe, la crudité, et quand ils étaient vraiment bons, ils illustraient les excès de l’imaginaire érotique. Rassurez-vous, vous ne trouverez rien de tout cela dans le nouveau film de Cher. Mais plutôt Ali, une fille simple au cœur d’or dotée d’une très belle voix, jouée par Christina Aguilera, et qui prend le chemin de Hollywood pour vivre une histoire que toute personne qui n’est pas morte depuis un siècle connaît déjà par cœur.

Dans la version cinématographique, nous avons les grands rêves, le long voyage en bus, les petites annonces, et la première vision des étoiles sur Hollywood Boulevard. Et puis il y a le club, dont les activités «burlesques» dévoilent un nouveau monde pour notre jolie petite plouc. Mais il est un peu difficile de comprendre ce qui attire tellement Ali dans les premières scènes, quand elle regarde admirative les danseuses sur scène. Sont-ce les numéros de jazz? Ou bien les numéros à la Bob Fosse qui ressemblent si peu aux vraies revues déshabillées? Est-ce la première fois qu’elle voit une culotte en dentelle? Quoi qu’il en soit, cela frappe Ali tellement fort qu’elle décide une fois pour toutes de poursuivre une carrière de danseuse burlesque. Elle y parvient, bien sûr, et le film devient alors une série de clips musicaux interprétés par Christina Aguilera, avec un clin d’œil occasionnel à quelque chose qui pourrait ressembler aux véritables spectacles burlesques.

Une tendance culturelle

C’est bien dommage, car ces derniers temps, le véritable burlesque est devenu une énorme tendance culturelle; de nombreux livres et documentaires lui sont consacrés, dont New Burlesque, Burlesque and the New Bump-n-Grind, Burlesque: From Gaslight to Spotlight et The Velvet Hammer Burlesque. D’une certaine façon, le burlesque est en phase avec notre époque actuelle: dans son essence parodique, il se rapproche beaucoup de ce qu’on voit tard à la télévision le soir. Mais son attrait réside aussi dans la manière dont il s’oppose aux vies technologiques stériles que nous menons. Dirty Martini est une des stars de ce qu’on appelle le mouvement «new burlesque». Comme elle le dit, les gens «en ont marre du manque de glamour dans le monde moderne».

Le burlesque a beaucoup changé au cours des années. Quand Martini trouva des collections de vieilles bandes de films burlesques dans le rayon culte de Kim’s Video au début des années 1990, elle pensait transposer le vieux burlesque à notre époque d’affirmation féministe.

«C’est un formidable moyen pour s’éclater de s’habiller dans des costumes glamours, de devenir folle et de faire un show. Le burlesque ouvre la possibilité pour toute femme de se mettre en scène et de se sentir super bien dans sa peau.»

Martini focalise son point de vue sur les opportunités que le burlesque offre aux femmes, ce qui se trouve à la base de l’histoire du mouvement. Dans son livre de 1995 Horrible Prettiness: Burlesque and American Culture (De la beauté horrible: le burlesque et la culture américaine), Robert G. Allen écrit que le burlesque «changea pour toujours le rôle de la femme sur la scène américaine et puis influença son rôle sur l’écran… La simple apparition d’un corps féminin qui n’était couvert par le costume dicté par la respectabilité bourgeoise a attiré l’attention, avec force et humour, sur la question de la “place” de la femme dans la société américaine».

Une rupture du rôle social

Des femmes insolentes et agressives sur scène, utilisant un langage cru, marquent une rupture avec les rôles sociaux standards, par le rire, la lubricité et les plaisirs de la vie nocturne. Mais il y a un côté encore plus sauvage dans le burlesque. Dream Rockwell, qui fonda la troupe de cirque Lucent Dossier Experience en 2005, prétend que tout ce que fait ce groupe expérimental est burlesque. Et par burlesque elle entend «le dépassement des limites sociales, l’émergence de l’âme humaine par l’art, la sensualité et l’expression provocatrice de soi», tout cela inspiré par «l’esprit vagabond et camelot du vaudeville». Rajiv Jain, un artiste du Lucent Dossier, dit qu’il est allé plus loin sur scène avec le groupe qu’il ne l’aurait jamais pensé. «La scène est un lieu ou la réalité est suspendue, dit-il. Et le domaine de la sensualité est cet espace magique, hors de ce monde, où vous pouvez mettre en scène et battre en brèche vos peurs.»

Et bien que le nouveau film de Cher n’arrive pas à saisir cette magie, d’autres productions modernes le font. Dirty Martini fut une des artistes du burlesque américaines à figurer dans le film de Mathieu Amalric, qui incarna Jean-Dominique Bauby dans Le Scaphandre et le Papillon. Tournée, le film d’Amalric, est une libre adaptation d’une nouvelle de Colette, qui était elle-même danseuse. Amalric joue le rôle d’un producteur de télévision à problèmes qui part aux Etats-Unis et se lie avec un groupe de danseurs. Puis il les emmène en France, où ils font une tournée du pays, parvenant à séduire des audiences sceptiques. Le film a remporté le prix de la mise en scène à Cannes l’année dernière, et la presse française a été dithyrambique. Malheureusement, il n’est pas encore prévu de sortir le film aux Etats-Unis. Il y a un autre concurrent: Alan Moore est en train d’écrire un scénario basé sur le deuxième numéro du magazine, Dodgem Logic, qu’il a fondé l’année dernière. Le deuxième numéro met en vedette plusieurs stars du burlesque sur sa couverture, et des rumeurs (non-confirmées) disent qu’elles ont été recrutées pour figurer dans un film burlesque. Colette, Alan Moore, les vedettes du burlesque d’aujourd’hui: ce sont les gens dont nous voulons qu’ils nous parlent du burlesque, avec sa part d’excès et d’abandon.

Le mot burlesque a longtemps exprimé l’imitation ou l’exagération comique, dans le théâtre et dans la littérature. Le burlesque implique une caricature avec des blagues crues ou scatologiques. Si le film Burlesque ne le fait jamais, il semble, au moins, qu’il peut inciter le public à le faire. Aguilera joue une star de burlesque étrangement pudique. Bien qu’elle sorte avec un homme riche et beau qui fréquente le club (et menace son avenir), il est très clair qu’elle ne couche pas avec lui. Ce plaisir est réservé à sa colocataire, qui ressemble à un mannequin de mode. Quand ces deux-là furent prêts à passer à l’acte, une femme parmi les spectateurs cria, «Déshabille-toi, ma fille!» sous les rires des autres spectateurs. «C’est ce que je ferais!»

Dirty Martini donne sa propre définition du burlesque: c’est «une pièce de théâtre de format court qui implique de la nudité ou de la sexualité, et de la comédie, et qui est interprétée tard dans la nuit». Dans ce cas, Burlesque ne correspond pas exactement à cette définition, et c’est pourquoi Dita Von Teese, connue pour sa relation avec Marilyn Manson et son travail comme mannequin fétiche et ses prestations burlesques, a conçu un contre-modèle: une revue burlesque au théâtre The Roxy à Hollywood les 13 et 14 décembre derniers. «Je pense que Dita a pensé: “Hollywood veut que tout le monde pense que c’est ça le burlesque, alors je vais montrer à Hollywood ce qu’est véritablement le burlesque”», dit Martini, qui a participé à la revue. La communauté burlesque reste sceptique à propos du film, mais selon l’artiste Honi Harlow: «Bah, s’il incite plus de spectateurs à venir à nos spectacles, je ne suis pas contre.»

Sasha Watson

Traduit par Holly Pouquet

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