Monde

L'Allemagne doit comprendre et vite

Temps de lecture : 2 min

Berlin doit comprendre que si la crise et la défiance continuent à se propager dans le reste de l'Europe, cela causera aussi sa ruine. La politique intérieure allemande crée une fois encore une menace pour ses voisins.

Angela Merkel, le 26 avril 2010. REUTERS/Ina Fassbender
Angela Merkel, le 26 avril 2010. REUTERS/Ina Fassbender

Pour la quatrième fois depuis 1870, la politique intérieure de l'Allemagne se trouve au coeur d'une grave crise menaçant la stabilité de l'Europe. Pour la quatrième fois, la réaction des autres Européens, qu'ils s'opposent ou se rallient à un diktat berlinois, peut déclencher un désastre.

Cette fois, le risque est purement économique: si l'Allemagne continue à s'opposer à une intégration budgétaire des pays de la zone euro, l'Union européenne ira au désastre. Et l'Allemagne avec elle. Ce n'est donc pas en approuvant l'Allemagne, de peur de la fâcher, comme vient de le faire le président français au conseil des ministres franco-allemand, qu'on évitera la catastrophe. Il ne sert à rien non plus de s'opposer frontalement à l'Allemagne. Il faut la comprendre et lui faire comprendre.

La comprendre, d'abord. Après vingt ans d'efforts pour mettre à niveau l'Est du pays réunifié, la nouvelle puissance se croit sortie d'affaire: peu de chômage, beaucoup d'exportations, une industrie automobile qui dégage une valeur ajoutée six fois supérieure à celle de sa concurrente française...

Le pays bénéficie de la confiance des marchés, qui lui prêtent à des taux très faibles. Pas question, dit la chancelière, de mettre en péril cette stabilité en finançant les déficits des nations qui n'ont pas fait les mêmes efforts. Obsédée par les précédents historiques (les réparations et l'inflation), elle ne veut pas payer une nouvelle fois pour le reste de l'Europe; et elle ne considère plus l'Union que comme une alliance souple à 27. Le fédéralisme budgétaire, qu'avaient proposé les Allemands en 1994 et que les Français avaient alors, erreur terrible, refusé, n'est plus d'actualité.

L'Allemagne, «l'homme malade de l'Europe»

Lui faire comprendre ensuite. En lui expliquant que l'approfondissement de la crise chez les autres Européens causera sa ruine, parce que l'essentiel de ses exportations va dans ces pays qu'elle laisserait s'effondrer; et parce que ses banques ont beaucoup prêté aux pays menacés de faillite.

En lui montrant aussi qu'elle ne peut s'en sortir seule, parce qu'elle est l'homme malade de l'Europe. Sa démographie est désastreuse; sa dette publique est aussi élevée que celle de la France; son industrie est menacée (par exemple, elle ne maîtrise en rien les technologies nécessaires à la voiture électrique).

Son chômage n'est bas que grâce à l'immensité des subventions publiques; les inégalités y ont massivement augmenté depuis dix ans, plus que dans aucun autre pays de l'OCDE; seulement 30 % des Allemands nés après 1974 ont un bac général, 50% des jeunes (autrefois intégrés et formés dès 16 ans dans les entreprises) ne sont pas assez qualifiés, proportion plus élevée que dans aucun autre pays de l'OCDE. Les marchés l'ont compris, qui commencent à rechigner à prêter à l'Allemagne.

La chancelière et l'opinion publique allemandes pourraient alors admettre que l'Allemagne souffrirait plus que personne d'une rupture de l'euro; qu'elle n'est rien sans l'Europe; que la génération qui vient est plus européenne que celle qui dirige le pays aujourd'hui, pour des raisons différentes de la génération précédente: Erasmus a remplacé Adenauer.

L'Allemagne réaliserait ainsi qu'il est suicidaire pour les Etats de la zone euro de se disputer pour savoir qui financera telle dette publique, quand les marchés les attaquent toutes, et pour savoir qui vendra un train à Eurostar, quand s'annonce la concurrence chinoise. Elle prendrait enfin conscience que l'Europe doit mettre en commun des moyens budgétaires et se doter d'une politique industrielle.

Rien n'est plus important aujourd'hui que de parler à l'Allemagne. Sans crainte. Sans tabou. En lui rappelant son passé. Parce qu'il est aussi le nôtre.

Jacques Attali

Photo: Angela Merkel, le 26 avril 2010. REUTERS/Ina Fassbender

Cet article a été publié par L'Express

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