Ce jeudi 16 décembre, le président de la République recevait donc des «acteurs de l’Internet» à déjeuner. Pour discuter, à son initiative. Etonnant pays que la France où il aura fallu attendre 2010 pour qu’un président reçoive officiellement chez lui des acteurs de ce monde (plutôt que de se déplacer dans une start-up pour faire le beau) et établir un dialogue. Alors quoi? Ça sert à quelque chose, c’est le début d’une nouvelle ère ou c’est une intox de plus de la part d’un président qui n’aime pas Internet?
Le message était clair: en substance, le sujet est important, nous avons besoin de mieux dialoguer avec vous, acteurs du web. Tout le problème est là, d’ailleurs: c’est quoi, un acteur de l’Internet, quand il y a plus de 25 millions d’internautes en France, qui y font tous de petites et grandes choses, tous les jours? Un acteur de l’Internet, selon le président, c’est donc un entrepreneur, ou un blogueur. On pourra contester la notion, et il le faudra bien: nous n’étions pas invités comme représentants, mais comme acteurs. Comme je suis à la fois (ancien, plus trop) blogueur, et entrepreneur, je me sentais donc assez à l’aise.
Au passage, l’hystérie (dans un nano-milieu de presse et Twitter) sur ce déjeuner est un véritable révélateur du gouffre qui sépare le Président et un peuple d’Internet lassé du mépris dont il fait preuve.
Après le mépris, le dialogue!
De quoi avons-nous parlé? Pas de tout. Nous n’avons pas parlé de Wikileaks, par exemple, ni d’open data. Ce que je regrette. Un déjeuner d’une heure et demie ne permet pas de mettre tous les sujets sur la table. Nous avons surtout dialogué avec le chef de l’Etat, acteurs sceptiques mais constructifs, cherchant à tester ou comprendre sa volonté, son engagement à reconnaître des erreurs, à vouloir faire autrement. Et cela tournait surtout autour du bilan, moins de la prospective.
J’ai senti Nicolas Sarkozy dans sa rhétorique habituelle de la négation. Le fameux «Au nom de quoi faudrait-il que je ne fasse rien?» qui justifie toutes les conneries. C’est bien là souvent le problème, cette rhétorique de l’action pour l’action, mal orientée, car mal conseillée, fondée sur des faux constats. Son introduction était de cet acabit: le web c’est formidable, mais il faut qu’on régule tout ça. On n’en sort pas. On n’ouvre pas au-delà, sur l’effet systémique du numérique.
Les problèmes qui préoccupent Nicolas Sarkozy sont de trois ordres: la régulation (les pédophiles, les nazis, le piratage, tout ça), la fiscalité (Google qui ne paie pas de taxes en France, on est tous d’accord avec lui), et l’encouragement du secteur économique du numérique. On lui en a indiqué quelques autres: la protection de cet écosystème, de la liberté d’expression, ce qui fait sa fécondité.
Et alors?
Nous voilà donc avec un Président qui change d’attitude. Place au dialogue, à l’écoute, et l’embrassade mutuelle. Le problème, et toutes les réactions que l’on peut lire en ligne le montrent bien, c’est que le passif est grand. Les «acteurs de l’Internet», pour peu que cela soit unifiable en quelque chose, ont été trop méprisés. NKM et Eric Besson ont bien organisé quelques dîners de blogueurs, mais, en parallèle, on a filé une mission sur la musique au patron de la Fnac et sur les suites d’Hadopi à un patron de label; on a monté Loppsi puis Loppsi2 sans parler à un internaute, ni tenter de le comprendre. On a supprimé tous les comités consultatifs qui avaient été montés, avant de ne rien mettre à la place.
Voilà ce que propose Nicolas Sarkozy: remettre en place un dialogue, à travers un Conseil du numérique. Le déjeuner avait pour objectif de l’annoncer. C’était déjà écrit. L’idée serait d’en faire un qui soit issu «des acteurs de l’Internet». Il faudra préciser la notion, comprendre comment ça marche, ce sera le travail d’Eric Besson.
Dialoguer, maintenant? Ça en laissera beaucoup sceptiques. D’autres opteront pour une approche de hacker. Comme si, après avoir tapé sans relâche sur le web, on ouvrait le dialogue maintenant que le web est assommé. Et surtout, à un an de l’élection présidentielle, un conseil du numérique pourra-t-il faire quelque chose? Sera-t-il un simulacre de dialogue, un machin? Sans doute.
Il est tard, très tard.
Corriger? Sur Hadopi et Loppsi, on sent une vague ouverture. Sur Hadopi, le discours, désormais assez classique, était humble: j’ai tenté de poser un cadre qui favorise la rencontre des acteurs, de nouvelles initiatives pour des offres légales... C’était un peu loin de la réalité.
Sur Loppsi, alors qu’on était au lendemain d’un vote ubuesque et stupide, d’une loi qui installe pour la première fois un filtrage du web, sous le prétexte (légitime) de la lutte contre la pédopornographie, j’ai été surpris: le président n’était pas au courant de l’article 4 de la loi. Il ne savait pas que son pays avait rejoint un petit club de nations emblématiques (Tunisie en tête) dans ce filtrage sans juges. Nos protestations (polies, mais assez fermes) ont été prises en notes. C’est tard, et triste, qu’il faille un déjeuner avec des gens «de la société civile» pour relayer un message que tentent de faire passer des députés de la majorité présidentielle.
Sur ces deux sujets, donc, l’ambiance était à l’ouverture. Allons au-delà d’Hadopi. Reprenons ce qui doit l’être, corrigeons, améliorons. Et dialoguons pour le faire.
Manque d'ambitions
Soit. Il n’est jamais interdit de réfléchir à rebours. Voilà pour l’étape 1.
Etape 2, montrer une ambition. C’est un G8 du web. L’idée de réunir, autour du sommet du G8 (il dit: le G20 serait inadapté, trop complexe, et il a des sujets lourds à traiter, avec l’introduction de l’alimentation à l’ordre du jour). Gros kif: autour des 8 chefs d’Etats, faire un grand congrès de la société mondiale du web qui discuterait de régulations possibles, de normes communes…
Pourquoi pas? Il n’y en a pas, de ces G8, de ces gros raouts. Ça fait tout de suite gros et chaud. Peut-on en attendre quelque chose? Ça parait difficile tant les membres du G8 sont disparates sur le sujet.C’est un peu «new rich». Et ça sert bien ses intérêts.
J’aurais envie de lui proposer d’autres ambitions.
La première serait de construire, sans que ce ne soit le Conseil constitutionnel qui le dise, un droit qui protège l’Internet comme outil indispensable à tout citoyen. Le président pourrait faire une première grande loi positive de l’Internet, qui y sanctifie une liberté d’expression, un droit à la connexion libre et à la neutralité du réseau, en mode positif. Oui, ça aurait de la gueule, une grande loi des droits des internautes.
La deuxième, ce serait d’engager véritablement une politique de transparence et d’ouverture des données publiques en France, qui aille au-delà de ce qui est actuellement, timidement, tenté dans quelques ministères pionniers ou collectivités (de gauche, surtout). Barack Obama a suscité un mouvement énorme à travers tous les Etats-Unis en y allant franco, à un niveau qui engage tous les ministères. Nicolas Sarkozy ne porte pas aujourd’hui une telle ambition.
Allez, juste deux (j’en aurais bien d’autres).
Absurde et illusoire? Oui, sans doute. On est loin, très loin de cet état d’esprit, aujourd’hui, au gouvernement. Comme le dit Jean-Michel Planche, citant Stiegler, l’Internet, c’est un Pharmakon: à la fois un remède, un poison et un bouc émissaire. Le gouvernement ne voit que le problème, le poison, et trop souvent le bouc émissaire. Peut-être pourrait-il rééquilibrer avec la dimension positive: favoriser ce qui, dans l’Internet, tient du remède.
Faudra-t-il pour cela attendre le prochain président?
Nicolas Vanbremeersch
#Ledej, comme il a été largement twitté, est raconté par certains des huit convives chez JMPlanche, Eric Dupin, ou par Maître Eolas.