France

Ce qu'il restera de l'esprit de Résistance de Stéphane Hessel

Temps de lecture : 5 min

Stéphane Hessel est mort, restera le souvenir de son indignation revendiquée. Pourquoi son petit opus, publié en octobre 2010, a-t-il été un tel succès?

Sur le plateau des Glières. DR
Sur le plateau des Glières. DR

Stéphane Hessel est mort, trois ans après la publication, succès planétaire, de son petit livre à l'esprit d'insurrection: Indignez-vous!. Nous republions un article expliquant ce succès, qui restera l'un des moments marquants de la vie de ce penseur et ancien résistant.

Curieux texte, proche du collage. Comme si son auteur avait assemblé là quelques passages de ses livres précédents, essentiellement de ses mémoires (1), et parfois, au mot près, des extraits du texte du 8 mars 2004, par lequel, avec douze autres grandes figures de la Résistance, il appelait les jeunes générations à garder vivant, à prolonger le message du Conseil National de la Résistance, cette instance clandestine, lancée par Jean Moulin.

Ce livre n’a même pas la longueur d’un script de conférence. Indignez-vous!, le best-seller des essais, en cette fin d’année (200.000 exemplaires déjà vendus), net vainqueur de toutes les listes, ne compte que quinze pages signées par Stéphane Hessel, plus quelques notes de l’éditeur, Indigène, et un rappel de deux oeuvres sur Sartre, de Jean-Pierre Barou, l’un des fondateurs de cette petite maison de Montpellier. Au total: 30 pages.

En fait, un digest, et même plutôt son résumé, comme celui qu’un très vieux monsieur raccourcirait encore devant une classe de lycée dont il saurait la capacité d’attention limitée –et la sonnerie de la fin des cours imminente. Le temps presse, en effet, et d’abord le sien. Il l’écrit d’emblée: «93 ans. C’est un peu la toute dernière étape. La fin n’est plus bien loin.»

Aussi, le plus célèbre des ambassadeurs de France file-t-il directement à son propos: le rappel et l’actualité du programme, mis au point de 1943 à 1944, et proclamé, le 15 avril 1944, du Conseil National de la Résistance (CNR) et qui réunissait les différents mouvements de la Résistance, puis les partis, les syndicats d’avant-guerre, etc, afin d’élaborer un programme de gouvernement pour la Libération. «Un ensemble de principes et de valeurs sur lesquels reposerait la démocratie moderne de notre pays.»

«De ces principes et de ces valeurs, nous avons aujourd’hui le plus grand besoin, note Stéphane Hessel. Il nous appartient de veiller tous ensemble à ce que notre société reste une société dont nous soyons fiers; pas cette société des sans papiers, des expulsions, des soupçons à l’égard des immigrés, pas cette société où l’on remet en cause les retraites, les acquis de la Sécurité sociale, pas cette société où les médias sont entre les mains des nantis, toutes choses que nous aurions refusé de cautionner si nous avions été les véritables héritiers du Conseil National de la Résistance.»

Pour ses lecteurs des nouvelles générations, Stéphane Hessel résume ce que les «pères fondateurs» de la France de l’après-guerre avaient préconisé. La retraite et la Sécurité sociale; l’éducation pour tous, et une presse indépendante; la nationalisation des sources d’énergie et des grandes banques; la soumission de l’intérêt particulier à l’intérêt général. «Le juste partage des richesses créées par le monde du travail», qui «doivent primer sur le pouvoir de l’argent».

En 2004, soixante ans après la rédaction de la «Charte» du CNR, certains des plus connus des survivants de la Résistance, dont Lucie Aubrac, Lise London, Maurice Kriegel-Valmont, Daniel Cordier, ancien secrétaire de Jean Moulin, devenu son biographe, entreprennent de lancer un «appel testamentaire» aux jeunes générations, sous le parrainage du mouvement Attac. Ils sont anciens communistes, ou gaullistes, comme Philippe Dechartre. Stéphane Hessel, grand diplomate, co-rédacteur de la Déclaration des Droits de l’Homme de l’ONU, est, comme il le dit, «un militant anti-raciste». Certains, comme l’historien Jean-Pierre Vernant, sont décédés depuis. Les rescapés se retrouvent, chaque année, sur le plateau des Glières, haut-lieu symbolique de la Résistance, qui avait réussi, en février-mars 1944, à transformer, sur cette plate-forme savoyarde, une défaite des armes en «victoire morale» des maquis de l’intérieur, face aux troupes allemandes et à la Milice.

Indignez-vous! reprend le credo de ces anciens. Leur certitude que la Charte du CNR est toujours un message à usage contemporain. «On nous dit que l’Etat ne peut plus assurer les coûts de ces mesures citoyennes, s’insurge Stéphane Hessel. Mais comment peut-il manquer aujourd’hui de l’argent pour maintenir et prolonger ces conquêtes alors que la production de richesses a considérablement augmenté depuis la Libération, période où l’Europe était ruinée?»

La comparaison entre les deux situations, la France de la Libération et celle de 2010 est difficile à établir. La Charte aurait-elle encore un pouvoir de recette dans notre «vaste monde, écrit le diplomate, dont nous sentons bien qu’il est interdépendant». Mais à ses yeux, à ceux aussi de ses compagnons, signataires de l’appel de 2004, l’important, c’est l’indignation. Indignez-vous! lance-t-il. Retrouvez le sens du combat d’alors, même si les combats à mener désormais sont plus compliqués, voire contradictoires. L’important est de s’insurger. Autre grand résistant, Edgar Morin cite souvent cette phrase, voisine dans l’esprit: «Que serions-nous devenus sans la Résistance? Nous aurions eu une carrière. Grâce à la Résistance, nous avons eu une vie.» Et ceux des Glières mettent en avant cet autre slogan: «Résister, c’est créer.»

Toutefois, l’injonction vaut rarement succès. Surtout dans l’édition. En plus, en conclusion de son petit livre, Stéphane Hessel, bien que pacifiste convaincu, redit son soutien aux Palestiniens de Gaza, et paraît atténuer la responsabilité du Hamas –ce qui lui vaudra sûrement d’autres critiques de la part des mouvements juifs français. L’étonnant triomphe de cet ouvrage, proche du tract, tient peut-être davantage à sa période de parution.

Dans l’arrière-goût amer, pour beaucoup, des manifestations contre le projet gouvernemental sur les retraites, de l’automne. Dans la désespérance que les jeux socialistes sur les pré-primaires pour 2012 font parfois naître, à gauche. Dans cette atmosphère pré-révolutionnaire, socialement, à comptabiliser les paramètres, qui ne trouve jamais son déclenchement, au parlement ou dans la rue.

Indignez-vous! L’ordre jeté est aussi le signe d’un compagnonnage. Imprimé en gros caractères, sur la couverture de l’ouvrage d’Indigène, le slogan a de quoi réconforter, à l’approche de fêtes qui ne vont pas être si gaies que cela pour tous. C’est au moins l’assurance, pour ceux qui nourrissent une telle espérance de réveil ou de sursaut qu’ils ne sont pas aussi isolés qu’ils le pensent. Indignez-vous! rappelle la très ancienne invite: «Révoltez-vous!», et le message à la jeunesse d’aujourd’hui renvoie à une autre supplique, Le Traité de savoir-vivre à l’usage des jeunes générations, bréviaire situationniste de Raoul Vaneigem que ses lecteurs avaient consigne d’aller voler dans les librairies, d’avant 1968.

Et puis, il y a l’insurgé lui-même. Stéphane Hessel. Bientôt centenaire, mais indigné comme à 20 ans; comme en 1941, quand cet Allemand, de père juif, est allé rejoindre à Londres, le général de Gaulle. Notre homme, longtemps, à l’ONU. Elevé à la distinction d’ambassadeur de France par François Mitterrand, négociateur hors pair, et peu à peu, les décennies allant, de plus en plus ouvertement engagé dans son temps. Plusieurs documents lui ont été consacrés, ces derniers mois. En particulier un film, sur France 4 et France 5, qui a peut-être donné envie aux plus jeunes d’en apprendre davantage sur ce patriarche étonnement vert, toujours en colère, bien après l’âge canonique, d’habitude, des renoncements.

Philippe Boggio


1) Danse avec le siècle, Le Seuil, 1997 ; Citoyen sans frontière, cenversations avec Jean-Michel Helvig, Fayard, 2008

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