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Vie extraterrestre: la Nasa survend ses découvertes

Temps de lecture : 5 min

La façon dont l'organisme vient de présenter au grand public une bactérie exotique est le reflet de la situation difficile où se trouve l'agence.

Détail de l'affiche du film «ET» de Steven Spielberg (DR)
Détail de l'affiche du film «ET» de Steven Spielberg (DR)

L'info du siècle n'est pas tombée le 2 décembre. Pourtant, une rumeur incroyable parcourait Internet depuis quelques jours: la Nasa allait faire ce jeudi une annonce tonitruante sur la thématique de la vie extraterrestre. L'agence spatiale américaine avait-elle découvert la première trace de vie sur une autre planète? C'est ce que laissait entendre le communiqué officiel parlant d'«une découverte en astrobiologie qui aura un impact sur la recherche de preuve d'une vie extraterrestre». Tout bon journaliste scientifique a dû voir qu'en réalité, cette conférence de presse, liée à une publication dans la revue Science, allait présenter une bactérie exotique capable d'intégrer de l'arsenic à son métabolisme. Mais la voix pondérée des journalistes scientifiques pèse si peu dans la déferlante de l'information...

Donc, sauf à tout mélanger et à considérer que cette bactérie est un «alien» descendu sur Terre, il n'y avait pas plus d'info du siècle que de beurre en broche. Certes, cette découverte est intéressante en ce qu'elle démontre que la vie peut exister dans des environnements extrêmes et que l'on doit étendre les recherches à des planètes a priori inhabitables, mais ce n'est toujours pas une preuve de vie extraterrestre: en réalité, le mot «astrobiologie» n'aurait jamais dû figurer dans le communiqué et on aurait dû lui préférer celui, plus simple, de «biologie».

Titres accrocheurs et dérapages médiatiques

Depuis de nombreuses années, dès qu'il s'agit de planètes extrasolaires et de vie extraterrestre, la Nasa et la kyrielle de chercheurs qui lui sont apparentés sont passés maîtres dans l'art du dérapage médiatique, voulu ou pas, contrôlé ou pas. Fin septembre, elle annonçait ainsi la découverte d'une planète «potentiellement habitable», c'est-à-dire située ni trop près ni trop loin de son étoile, à la bonne distance pour qu'on trouve de l'eau liquide à sa surface. Il y a juste un petit problème: selon l'équipe suisse qui est actuellement la meilleure du monde dans la détection des exoplanètes, la planète Gliese 581g n'existe pas... En juin, sous le titre accrocheur «Qu'est-ce qui consomme de l'hydrogène et de l'acétylène sur Titan?», la Nasa laissait entendre qu'une vie basée sur le méthane pouvait exister sur ce satellite de Saturne. Il fallait arriver très loin dans le communiqué, au quinzième paragraphe très exactement, pour lire que le phénomène observé «peut très bien avoir une explication non-biologique». Et certains journalistes ne sont pas allés au bout du communiqué...

L'exemple le plus célèbre de ces dérapages médiatico-exobiologiques remonte à 1996. Le 16 août de cette année-là est publié dans Science un article annonçant la découverte de traces biologiques fossiles au sein d'une météorite martienne, ALH84001, retrouvée en Antarctique douze ans plus tôt. La nouvelle est tellement sensationnelle que le président américain Bill Clinton fait une déclaration sur le sujet, qui justifie les ambitieux plans de la Nasa pour l'exploration de Mars. Hélas, les critiques ne vont pas tarder à pleuvoir sur les auteurs de l'étude. Selon elles, les minuscules structures retrouvées au sein de la météorite en question peuvent très bien être le résultat d'un processus non-biologique ou encore être le produit d'une contamination terrestre. Même si la Nasa a maintenu sa position depuis, trop de doutes subsistent sur ALH84001 et personne ne la considère comme la preuve définitive que la vie a démarré ailleurs que sur notre Terre.

Les chercheurs sont des trouveurs

A l'examen de tous ces exemples, on peut se demander pourquoi l'agence spatiale américaine s'autorise ces dérapages, au risque de se décrédibiliser. Pour le comprendre, il faut savoir que, dans le monde anglo-saxon, médiatiser ses découvertes fait partie du métier de chercheur. Ce dernier agit selon deux objectifs, l'un étant plus noble que l'autre. Il s'agit de restituer les résultats du travail scientifique auprès du public qui le finance, mais surtout de montrer que les chercheurs sont aussi des trouveurs, que les budgets alloués ne l'ont pas été en pure perte et qu'il faut renouveler les crédits pour obtenir de nouveaux résultats, de préférence encore plus spectaculaires...

La Nasa ne fait pas exception. Encore moins en cette année 2010, bien compliquée pour elle à de nombreux égards. Les navettes spatiales vivent leurs dernières heures puisqu'elles auront toutes pris leur retraite en mars 2011 après l'ultime vol d'Endeavour. A cette date, plus aucun engin américain ne sera en mesure d'emmener des hommes dans l'espace et ce pour plusieurs années. Autre coup dur: Barack Obama a annulé en février le programme Constellation de retour sur la Lune qui avait déjà coûté près de 10 milliards de dollars. Par ailleurs, en mai, le National Research Council a publié un rapport critique sur l'état de la recherche à la Nasa:

«Environ 20% de toutes les installations de la Nasa sont dédiées à la recherche et au développement: en moyenne elle ne sont pas ultramodernes mais tout juste suffisantes pour répondre aux besoins actuels. [...] Plus de 80% des installations de la Nasa ont plus de 40 ans et nécessitent de la maintenance et des modernisations pour préserver la sécurité et la continuité des opérations pour des missions cruciales. [...] L'équipement et les installations des laboratoires de recherche fondamentale de la Nasa sont inférieurs à ceux des laboratoires comparables du Département de l'énergie, à ceux des universités de premier rang et à ceux de nombreuses institutions de recherche privées. Ils sont comparables à ceux du Département de la défense. Si ses installations de recherche étaient modernisées pour être à la pointe de la technologie, la Nasa serait en meilleure position pour maintenir le leadership des Etats-Unis dans le spatial, les sciences de la Terre et l'aéronautique et pour attirer les chercheurs et les ingénieurs dont nous aurons besoin demain»

Tour de vis républicain

Autre point qui ne plaide pas pour la recherche made in Nasa, le gouffre financier qu'est devenu le James Webb Telescope, futur successeur du célèbre télescope spatial Hubble. Le coût de cet instrument (6,5 milliards de dollars) n'a cessé de dériver et l'agence spatiale américaine va devoir trouver 200 millions de dollars en 2011 et autant en 2012 pour en boucler le budget, ce qui risque de se faire au détriment d'autres projets scientifiques.

La dernière menace qui plane sur la Nasa est liée à la crise économique et à la politique. Avec la reprise en main de la Chambre des représentants par les républicains lors des élections de mi-mandat, une cure d'amaigrissement budgétaire est à prévoir pour la plupart des organismes scientifiques américains. Selon les calculs effectués récemment par l'American Association for the Advancement of Science sur la base du programme des républicains, la Nasa, au lieu de recevoir en 2011 une enveloppe enrichie de 1,66 milliard de dollars au titre de la recherche et du développement, pourrait bien voir ce budget rogné de 9 petits millions de dollars. Une sacrée différence. Et une bonne raison pour tenter un gros coup médiatique.

Qui veut se faire mousser en astronomie agite le chiffon extraterrestre. Qu'il s'appelle E.T., Roswell ou Alien, notre alter ego venu d'ailleurs fait «vendre». La thématique de la vie extraterrestre fonctionne toujours parfaitement parce qu'elle répond à une question profonde de l'humanité, à savoir «Sommes-nous seuls dans l'Univers?». On peut toutefois regretter que la Nasa ait trop fréquemment recours à ce mode de promotion sensationnaliste. La grosse ficelle risque de lasser et l'astuce de se retourner contre son auteur: avoir fait saliver le monde entier avec de la vie extraterrestre et n'offrir en fin de compte qu'un microbe californien suscite plus de déception que d'enthousiasme. Et donne l'impression que la Nasa ne sait plus trop quoi faire pour justifier ses budgets.

Pierre Barthélémy

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