Sports

Djokovic, héros de la nouvelle Serbie

Temps de lecture : 5 min

Retour sur le parcours du très patriote numéro 3 mondial, grand artisan du premier Saladier d'argent conquis par son équipe dimanche face à la France.

Novak Djokovic lors de la demi-finale de coupe Davis à Belgrade le 19 septembre 2010,  REUTERS/Marko Djurica
Novak Djokovic lors de la demi-finale de coupe Davis à Belgrade le 19 septembre 2010, REUTERS/Marko Djurica

Mise à jour: après les faciles victoires, dimanche 5 décembre, de Novak Djokovic face à Gaël Monfils (6/2, 6/2, 6/4) et de Viktor Troicki face à Michaël Llodra (6/2, 6/2, 6/3), la Serbie a remporté (3-2) sa première Coupe Davis contre la France, qui menait pourtant 2-1 avant les derniers simples. A cette occasion, nous republions notre portrait de Djokovic, publié pour la première fois le 2 décembre.

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Soyons honnêtes. La Serbie a plus à gagner que la France lors de la finale de la coupe Davis disputée à Belgrade, du 3 au 5 décembre. Soyons même fair-play au-delà du raisonnable. Il faut espérer qu’elle devienne la 13e nation de l’histoire à soulever ce Saladier d’argent que les Français ont tenu entre leurs mains à neuf reprises entre 1927 et 2001.

Qu’ajouterait un 10e triomphe à la gloire du tennis français? Pas grand-chose à vrai dire si ce n’est qu’il viendrait évidemment récompenser le talent des meilleurs joueurs tricolores actuels. Mais en dépassant le cadre forcément cocardier et passionnel de cette rencontre, une telle victoire ne constituerait pas un événement majeur de la saga de cette compétition née en 1900 alors qu’un avènement serbe pèserait autrement plus lourd.

La France du tennis n’est plus venue à Belgrade depuis 1985, année où Yannick Noah et Henri Leconte n’avaient pas réussi à se tirer d’un véritable guêpier tendu notamment par un public très hostile. En 1991, à Pau, la France avait accueilli et battu une Yougoslavie vacillante, privée de ses meilleurs joueurs croates, Goran Ivanisevic et Goran Prpic, en rébellion au moment où le pays était en train d’exploser et de basculer dans la guerre pour longtemps.

Retour à Belgrade

Dix-neuf ans plus tard, les deux nations se retrouvent donc à Belgrade à cause de la règle de l’alternance qui veut qu’en coupe Davis, chaque pays reçoive l’un après l’autre et dispose ainsi chacun leur tour de l’avantage du choix de la surface du court. Dans l’intervalle, la Yougoslavie a perdu toutes ses plumes jusqu’au Kosovo et ne se résume plus qu’à la Serbie, mais les troupes de Guy Forget ne doivent s’attendre à aucune faiblesse d’un petit pays qui sera «chaud bouillant» sans doute parfois au-delà du raisonnable dans un stade de 17.000 personnes plein à craquer.

Car la Serbie veut gagner coûte que coûte cette coupe Davis qui constituerait pour elle un événement de portée historique, sportive mais aussi politique. Après les années de guerre et de mise au ban des nations, cette république des Balkans, recroquevillée désormais dans ses frontières étriquées et qui renferme moins de huit millions d’habitants, entend redorer son blason et le sport est, en ce domaine, une merveilleuse occasion de porter haut un drapeau vilipendé il y a 11 ans lorsque l’OTAN bombardait Belgrade. Pour le meilleur, en principe, la coupe Davis la replace sur le devant de l’actualité le temps d’un week-end.

Porte-étendard de cette nouvelle croisade toute pacifique, Novak Djokovic, n°3 mondial, déjà placé au rang de héros serbe depuis qu’il a empoché le premier titre du Grand Chelem de sa carrière, à l’Open d’Australie en 2008. Djokovic, né en 1987 et dont l’existence porte les stigmates de la guerre. Sa vie est même guidée par cette nécessité de rendre sa fierté à un peuple qui le lui rend bien en ayant fait de lui une véritable icône, fêtée comme un sauveur à son retour d’Australie après sa victoire à Melbourne il y a bientôt trois ans.

Pour L’Equipe Magazine, je me suis rendu deux fois à Belgrade, en 2008 et 2009, afin de saisir la personnalité de ce joueur et connaître une famille intimement liée à la réussite de son champion. J’en garde deux souvenirs particuliers.

Le premier fut un rallye automobile de plusieurs heures mené à un train d’enfer par l’un des amis de la famille sur les routes défoncées de la Serbie jusqu’à la montagne de Kopaonik, là où Novak avait découvert et appris le tennis à l’époque où ses parents, Srdjan et Dijana, y tenaient un restaurant. Au milieu des sapins, dans une clairière, gisait véritablement un club de tennis à l’abandon qui ne s’était jamais vraiment remis de ce que les Serbes appellent «les 78 jours de la honte», ces 78 jours de 1999 pendant lesquels Belgrade et sa région avaient été bombardés par les forces de l’OTAN, soucieuses de ramener à la raison le régime autoritaire et sanguinaire de Slobodan Milosevic qui s’en prenait alors cruellement à la communauté albanaise du Kosovo, encore entité de la Serbie. De ce club, où Novak Djokovic avait fait une partie de ses gammes, il n’en restait plus grand-chose. Les avions de l’OTAN ne l’avaient pas «manqué» en s’attaquant à des installations de télécommunications au sommet de cette montagne de 2.000m.

La cicatrice

Ces bombardements ont fait 2.000 morts en Serbie et ces «78 jours de la honte» ont durablement marqué Novak Djokovic, habitué aux heures de couvre-feu et à l’angoisse générée par les hurlements des sirènes à l’approche des avions. «Mais nous n’étions pas impressionnés, m’avait dit sa mère. Notre famille ne descendait jamais dans les caves. Sur les courts du club du Partizan, il nous arrivait d’entendre la sirène toute proche. Mais on ne partait pas. On croyait en notre destin. Le soir, on tirait les rideaux, on éteignait les lumières et on essayait de vivre.» Ces années de guerre conduiront le jeune Novak à quitter provisoirement les siens et à prendre le chemin de l’Allemagne afin de bénéficier de meilleures conditions d’entraînement.

Mon deuxième souvenir est lié au train de Tito. Alors que se déroulait le premier Open de Serbie, premier tournoi professionnel organisé à Belgrade avec à sa tête toute la famille Djokovic, ce monument du patrimoine serbe avait été amené jusqu’au lieu où était organisée l’épreuve. Goran Djokovic, l’oncle du champion et cheville ouvrière de cet Open de Serbie, m’avait littéralement ordonné de venir faire la visite du train avec lui. Ce fameux train symbole de l’ancienne puissance de la Yougoslavie incarnée par Tito et dans lequel, pour l’anecdote, avait dormi la Reine d’Angleterre. «Nous étions un grand pays et nous le sommes restés, m’avait dit le tonton, à l’émotion perceptible. Novak incarne cette grandeur nouvelle et en organisant ce tournoi, avec notre argent, nous voulions montrer au monde que nous étions capables de belles choses, comme le train de Tito

Il est impossible de comprendre Novak Djokovic sans parler de sa famille et surtout de Srdjan, son père, presque obsédé jusqu’à la folie par la réussite de son rejeton. Lors du 1er Open de Serbie, en 2009, le papa avait dû ainsi, en plein match de son fils, prendre le chemin des urgences en raison de palpitations cardiaques! Trop de stress pour un homme, monténégrin de naissance mais ayant vu le jour à Mitrovica, au Kosovo, et qui a pris tous les risques pour sa progéniture. Conscient de ces sacrifices, Novak lui voue un véritable culte de la personnalité au point de n’avoir pas craint d’écorner son image internationale, en avril 2008, en se rendant à Mitrovica alors que le Kosovo venait de proclamer son indépendance à la fureur de Belgrade et des Djokovic. «On peut découper notre pays en morceaux, rien ne changera le fait que le Kosovo est le berceau de la Serbie, avait déclaré Srdjan avec fermeté. C’est notre terre. Nous avons toujours été là contrairement aux Albanais.» «Ce qui est récemment arrivé au Kosovo m’a fait très mal en tant que Serbe, avait repris Novak, protégé par l’ONU à Mitrovica. Je connais mes livres d’histoire et ce que l’on m’a enseigné. Pour moi, donc, le Kosovo restera toujours une partie de la Serbie et de ce que je suis.»

Novak Djokovic a toujours adoré faire le clown sur les courts de tennis où ses audaces ont parfois séduit, parfois déplu. Il y a chez lui la volonté permanente de plaire, trait peut-être de ceux qui ont eu le sentiment d’avoir été un jour mal-aimé. Pas par ses parents, évidemment, mais par le reste du monde il y a une douzaine d’années et à qui il voudra prouver tant de choses ce week-end contre la France. Selon lui et parce qu’il symbolise, à sa manière, son chemin de la rédemption, la Serbie mérite de gagner sa première coupe Davis…

Yannick Cochennec

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