Sports

L'immobilisme du sport français

Temps de lecture : 6 min

Le président de la Fédération française de rugby vient de prononcer un mot qu'on avait plus entendu depuis longtemps dans le sport français: vision.

Des supporters français lors du match de rugby Ecosse-France, 3 février 2008, REUTERS/David Moir
Des supporters français lors du match de rugby Ecosse-France, 3 février 2008, REUTERS/David Moir

Si vous ne connaissez pas Pierre Camou, il est temps de réparer cette lacune. Président de la Fédération française de rugby (FFR) depuis 2008, cet ancien banquier vient de faire l’une des plus improbables et l’une des plus réjouissantes déclarations sorties de la bouche d’un élu sportif français:

«Une fédération doit avoir une vision pour son sport à une cinquantaine d’années

Vision? 50 ans? Cette sortie de Pierre Camou détonne. Elle est même un petit tremblement de terre dans un paysage sportif français habitué à la frilosité, à l’immobilisme et à la tutelle de l’état.

Le patron de la FFR s’est ainsi exprimé lors d’une conférence de presse où il annonçait avec force le projet de la fédération de se doter d’un stade flambant neuf de 80.000 places à l’horizon 2017 et de se passer du Stade de France dont les contraintes ne lui permettent pas d’asseoir son développement.

Fin de la convention

En effet, depuis l’inauguration du Stade de France en 1998, la FFR est à la merci du consortium qui exploite l’enceinte de Seine-Saint-Denis. En 2013, la convention, qui lie la FFR et ledit consortium, arrivera à terme et les rugbymen auront donc les mains libres pour aller jouer ailleurs à l’occasion du Tournoi des VI Nations, des test-matches ou de la finale du Top 14.

Pourquoi partir? Parce que le consortium du Stade de France impose son fait à la FFR. Il lui propose des dates qui ne lui conviennent pas forcément comme en 2009, lorsque la finale du Top 14 avait dû être reportée parce que Johnny Hallyday occupait les lieux. En tant que locataire, la FFR n’est pas non plus chez elle et ne peut pas recevoir tous ses partenaires comme elle le souhaiterait.

Contrairement au football français, qui se goinfre des droits télévisuels de son équipe de France, le rugby tricolore a besoin des revenus générés par ces matches du XV de France pour faire rentrer de l’argent dans ses caisses et continuer à grandir. D’où cette volonté de créer cette nouvelle bonbonnière pour héberger les matches de ses Bleus, en banlieue, probablement pas très loin du très moderne centre d’entraînement de Marcoussis, dans l’Essonne, où se rassemblent les hommes de Marc Lièvremont pour préparer leurs rencontres. Située à proximité, la gare TGV de Massy pourrait être le point de ralliement des milliers de supporters qui montent chaque année à Paris pour supporter leurs favoris.

Apport privé

Le coût des travaux est estimé à 600 millions d’euros, et, ô surprise, Pierre Camou, dans sa conférence de presse, en banquier raisonnable, n’a pas fait appel aux autorités publiques pour l’aider à financer ce projet très coûteux, même s’il admet qu’il ne crachera pas sur la manne de ceux qui voudront bien mettre la main à la poche, Etat compris. Il compte principalement sur l’apport du privé et sur la rentabilisation de ce nouveau stade qui serait doté d’un toit et pourrait accueillir des concerts tout au long de l’année, contrairement à Saint-Denis.

D’aucuns y voient un coup de bluff de la part de Pierre Camou pour tordre le bras au consortium et à l’Etat afin de les amener à renégocier un nouveau contrat avec le Stade de France, plus avantageux pour le XV de France et la FFR. Ceux-là sont les mêmes qui disent que le tournoi de Roland-Garros doit rester dans ses murs actuels et surtout ne pas déménager en banlieue à l’horizon 2016, à commencer par l’Etat français et la mairie de Paris qui ne comprennent rien aux enjeux actuels du sport professionnel. Le désastre de Paris 2012 a prouvé leur incurie dans ce domaine.

Car la gestion du dossier de Roland-Garros est risible à bien des égards et donne raison à Pierre Camou de vouloir s’émanciper de toute intervention publique, frein évident à toute perspective à long terme. Aujourd’hui, tout le monde veut que le tournoi de tennis reste à Paris alors qu’il ne peut pas s’étendre parce qu’il est cerné par des lieux classés. Roland-Garros n’a pas d’autre choix que de partir. Mais voilà que se met en branle l’immobilisme français, perceptible dans tous les commentaires laissés notamment par les internautes sur des sites où est évoquée cette perspective. Grosso modo, le message est le suivant: «Il faut rester Porte d’Auteuil parce qu’il y a une histoire, parce que le tournoi est un succès chaque année et parce qu’il n’est pas utile qu’une fédération, déjà riche, gagne encore davantage en augmentant sa capacité d’accueil...»

Roland-Garros

Je l’ai déjà expliqué ici: Roland-Garros, de plus en largué par Wimbledon, l’US Open et l’Open d’Australie sur le plan de l’organisation, est obligé de faire ses valises sous peine de voir un jour son statut de Grand Chelem dégradé.

La FFT, qui a une très grande capacité d’auto financement, paye ici clairement le manque de vision de Christian Bîmes, son président de 1993 à 2009 qui, effectivement, n’a rien vu venir. Hélas, son remplaçant, Jean Gachassin, n’a pas plus d’envergure. Ne disait-il pas récemment à l’Equipe qu’un matin il se réveillait avec la certitude que Roland-Garros devait rester Porte d’Auteuil et que le lendemain il pensait l’inverse, c’est-à-dire la migration vers Marne-la-Vallée, Versailles ou Gonesse? En termes de vision et de conviction, quelle poigne! Tracer des perspectives à 50 ans n’est pas dans son registre, à l’évidence.

Quant à la contre-proposition récente de la Mairie de Paris pour conserver le tournoi à Paris, elle revient à mettre un pansement sur une jambe de bois. Elle n’est pas au niveau et vaut pour une perspective à 10-20 ans, pas plus. Voilà même que la chanteuse Françoise Hardy et que l’écrivain Erik Orsenna mettent leur nez dans le dossier! Pauvre France sportive.

Quitter Paris

Pour survivre et croître, le sport professionnel n’a pas d’autre issue que de prendre son destin en main (et de quitter Paris intra muros) avec l’aide des partenaires et des marques qui le suivent tout au long de l’année, la force publique devant être confinée à un rôle subalterne de contrôle. Et si demain la FFR doit appeler son nouveau stade la Société Générale Arena et si la FFT doit nommer son nouveau central le court BNP Paribas, applaudissons des deux mains pour permettre la réalisation de tels projets au lieu de hurler avec les loups sous le prétexte que le sport se vendrait ainsi aux marchands du temple.

Les journalistes qui viennent de couvrir, en quelques jours, les tournois de tennis de Bercy et le Masters de Londres n’ont pas seulement franchi le Channel, ils ont été éjectés dans un autre univers en passant d’une salle de Bercy, vieillotte et de plus en plus obsolète pour la tenue de grands événements, à la splendide et vertigineuse O2 Arena, du nom d’un opérateur téléphonique. Ne nous étonnons pas que Londres, qui dédie Wembley à son équipe de football et Twickenham à son équipe de rugby sans compter tous les clubs de football qui ont leur propre arène à l’image d’Arsenal et son Emirates Stadium, ait obtenu les Jeux Olympiques. Paris et la France sont des nains à côté de Londres et de la Grande-Bretagne. Et nous le verrons tous, en le pleurant et en le déplorant, en août 2012.

Paris Saint-Germain

Le plus aberrant dans la situation du Stade de France est que l’Etat paye chaque année une «amende» de plusieurs millions d’euros au consortium parce que le stade dyonisien n’a pas de club résident depuis 1998! Contre toute logique, le Paris Saint-Germain est resté à demeure au Parc des Princes sorti de terre en 1972 alors que le club de la capitale devra tôt ou tard, et fatalement, plier bagage et qu’il ne pourra le faire qu’en dehors de Paris. Là encore, le statu quo pour seul horizon afin de contenter des conservatismes ambiants, les clubs de supporters n’étant pas les derniers. Le Stade Français de rugby, qui aurait pu hériter du Parc des Princes voilà quelques années, est donc en train de construire sa propre enceinte, à quelques mètres du Parc des Princes, avec la bénédiction de Bertrand Delanoë. On ne rêve pas, on cauchemarde…

Nicolas Sarkozy avait fait du sport l’une des priorités de son mandat. La déception est au rendez-vous. Les deux médiocres secrétaires d’états qui viennent de se succéder sous son mandat avec Bernard Laporte et Rama Yade (sans oublier Roselyne Bachelot) ont montré toute leur impuissance. Heureusement qu’il y a des hommes comme Pierre Camou pour taper du poing sur la table. Il est temps, en effet, que cela change. Jetons nos lorgnons, prenons nos jumelles pour regarder l’avenir et laissons les incompétents au vestiaire…

Yannick Cochennec

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