Conséquence des intempéries et des chutes de neige en France, la SNCF a été contrainte mercredi 1er décembre de réduire la vitesse de ses trains pour «éviter d'endommager le matériel». Un certain nombre de TGV ont par ailleurs été supprimés notamment sur l'axe Sud-Est où 20% des TGV ont été annulés dans les sens province-Paris et Paris-Province. Les trains Eurostar entre Londres, Paris et Bruxelles étaient aussi perturbés. Comment la SNCF gère ce type de crises?
Parfois, cela fait des heures que vous attendez dans un train et vous commencez à détester le contrôleur. Il vous répond qu'il ne peut rien faire et il a raison. Ce n'est pas à lui qu'il faut en vouloir mais au CNOF, le Centre National des Opérations Ferroviaires. Créé en 1999, installé aujourd'hui dans un bâtiment en face de la Gare de l'Est, il centralise tout et rassemble plus de deux cents personnes. Chaque jour, il doit surveiller et gérer 806 TGV, 115 Teoz, 292 Intercité, 6.000 TER, 800 Frets (le transport de marchandises), etc... Ce qui représente 1 milliard de voyageurs par an et 2.9 millions par jour.
Un peu à la manière du contrôle aérien, sur un grand plateau de 700m2 au centre du dispositif, les contrôleurs sont chargés par deux de surveiller les différentes régions. Malheureusement, ce n'est pas aussi interactif que dans Train Simulator 2, là ce sont surtout des courbes qui se croisent et des points verts, jaunes et rouges qui se déplacent sur la carte, la couleur signifiant l'importance du retard de chaque train. Autour, on trouve un pôle mécanicien, les équipes chargées d'afficher les différentes alertes dans les gares, le célèbre 36 35 et même un studio radio France-Bleu, occupé surtout les jours de fortes perturbations.
Ce qui est vraiment intéressant, c'est la cellule de crise, ouverte potentiellement 24 heures sur 24. Les deux directeurs d'opération qui se relayent chaque semaine ont ainsi pour obligation de loger près de la Gare de l'Est, afin d'être immédiatement mobilisables. Une table ronde, des ordinateurs et des tableaux numériques, la salle est plus ultra-fonctionnelle qu'impressionnante. Ce n'est pas le centre opérationnel de Cap Canaveral!
Concrètement, comme la SNCF gère une crise? Exemple avec un vrai cas, arrivé la veille de ma visite. Attention, cela va ressembler à vos problème de mathématiques de primaire avec les trains qui n'arrivent jamais à l'heure et des kilomètres louches.
1. Un TGV Le Mans - Rennes a une alerte sur un essieu dans l'après-midi. Les mécaniciens demandent aux conducteurs de l'arrêter. Sauf qu'il est à 3 kilomètres de la gare du Mans et bloque donc le trajet Le Mans-Rennes. Combien d'heures de retard cela va-t-il entraîner? Deux problèmes:
○ Que faire des passagers de ce TGV?
○ Comment réguler le trafic? De nombreux trains pour aller à Rennes ou partant de Rennes sont bloqués.
Pour les voyageurs, c'est assez simple. La décision est prise de les faire descendre du train. Il est jugé trop dangereux de faire rouler le train à plein (avec ses occupants), même à vitesse ultra-réduite. Ils sont ramenés au Mans où ils prennent un autre TGV. Temps perdu: 3 heures. Pour les autres trains, une sorte de jeu de dérivation et de chaises musicales se met en place. Il va mettre à contribution une bonne partie des gares de la région. Il faut d'abord arbitrer entre les trains prioritaires. Ce sont ceux transportant des voyageurs, taille et nombre de personnes entrant en prise de compte. Le Fret, sauf urgence, passe alors au second plan. Dis comme ça, cela paraît être une évidence, mais par forcément.
Si c'est la SNCF qui gère les problèmes, tous les trains circulant sur le réseau ferroviaire ne lui appartiennent pas. Il existe aussi des opérateurs privés, comme CargoLine. Pour l'instant, ils ne gèrent que du Fret, qui peut souvent attendre un peu. Mais, bientôt, avec l'ouverture totale en Europe du marché ferroviaire du transport de voyageurs, des opérateurs privés pourront aussi faire circuler des trains en France. Ils risquent de mettre une pression de tous les instants pour que leurs trains ne subissent aucun retard lorsque survient ce genre de problème. Et rien n'est prévu pour le moment pour arbitrer...
Dans le cas concret du Mans-Rennes, la SNCF décide de faire passer les trains par Nantes et Saint-Pierre des Corps (Tours), ce qui entraîne entre 45 minutes et 1h30 de retard pour les passagers. Un train bloqué décale donc le trafic tout un après-midi sur une ou plusieurs régions. Ainsi, ce TGV coincé juste après Le Mans va contraindre les passagers du Rennes-Lille du début de soirée de terminer leur trajet en bus. En raison de la déviation, le Rennes-Lille doit passer par le tronçon Massy-Roissy après 23 heures. Sauf qu'à partir de cette heure, il y a des travaux prévus qui ne peuvent être décalés, d'où le renvoi vers Arras, la fin du trajet en car et le remboursement intégral. C'est finalement un brin plus compliqué que les problèmes de maths du primaire. Surtout quand l'incident arrive en Ile-de-France, où 6.000 Transiliens circulent chaque jour, transportant 600 millions de passagers par an.
Ainsi, selon la SNCF, un retard de 5 minutes sur le RER C se rattrape en une matinée. La grève... un faux problème. Au moins officiellement. Évidemment, en période de grève, il y a crise, mais c'est rarement le bazar, selon la SNCF. Avec la Déclaration Individuelle d'Intention, elle sait qui va à l'avance travailler ou pas. Il y a même en général un faible pourcentage d'employés qui se sont annoncés grévistes et qui viennent finalement travailler. Tout est réglé deux jours avant l'arrêt de travail pour l'organisation de la journée touchée. Pour certaines manifestations, l'intrusion sur les voies peut-être compliquée à gérer, car dangereuse et imprévisible. A la direction de la sécurité, il y a un commandant de gendarmerie spécialement détaché au CNOF. Parfois, la cellule de crise est ouverte par anticipation, l'été, pour surveiller les feux de talus, ou les jours de grand froid lorsque la glace s'agglomère et peut faire exploser le ballast.
Et en cas d'attentat? Si jamais il y a une alerte à la bombe ou un attentat, la Préfecture est directement prévenue et les opérations sont organisées conjointement. La SNCF prend localement les mesures de protection immédiate du site. Elle établit un périmètre de sécurité en gare et prend des mesures de circulations adaptées des trains selon les règlements établis par la Direction de la Sécurité de la SNCF et les Ministères responsables de la sécurité publique. La Préfecture est chargée d'organiser les opérations de recherche et de fouille du site. C'est elle qui décide de la reprise normale de l'exploitation ferroviaire. En cas de réel attentat, c'est à dire pas des sabotages de caténaires attribués à des anarchistes, les procédures sont adaptées aux différents types d'attaque mais elles sont... évidemment confidentielles.
Quentin Girard
Merci à Alain Garde, Dirigeant National Opérationnel du CNOF, et Michael Cheffles, attaché de presse de la SNCF.
Photo: Microsoft Train Simulator 2 Microsoft Game Studios