France

Ensemble, tout ne sera pas possible

Temps de lecture : 8 min

Le Président serait battu par tous les candidats PS en cas d'élection présidentielle. Mais cette embellie sondagière cache l'état dans lequel se trouve la gauche.

DSK, Martine Aubry et François Hollande en 2005. REUTERS/Jacky Naegelen
DSK, Martine Aubry et François Hollande en 2005. REUTERS/Jacky Naegelen

Ce n’est qu’un sondage, mais il est spectaculaire (Ifop pour Paris Match): que ce soit face à Dominique Strauss-Kahn, Martine Aubry ou François Hollande, Nicolas Sarkozy serait battu lors de la prochaine élection présidentielle. Il l’est surtout spectaculairement par DSK, dans une proportion qui tourne au plébiscite pour le directeur du FMI: 59% contre 41%. De surcroît, Nicolas Sarkozy ferait, selon cette enquête, un très mauvais premier tour (24% contre 29% pour DSK).

Mais un sondage n’est jamais une prévision. Encore moins si loin d’une échéance: par le passé, aucune des enquêtes portant sur des intentions de votes à 18 mois de l’échéance présidentielle n’a annoncé le résultat du scrutin. A cette distance du vote de 1981 par exemple, François Mitterrand était écrasé par Michel Rocard et Valéry Giscard d’Estaing paraissait devoir être réélu sans problème, tout comme Edouard Balladur était le grand favori en 1994.

Comme toute étude, celle-ci photographie un rapport de forces. Elle donne la mesure, dans l’instant, du rejet dont fait l’objet le président de la République. Dans un tel contexte, le b-a ba pour l’opposition est de se présenter aussi unie que possible: d’où l’annonce, par Martine Aubry, qu’elle-même, Ségolène Royal et DSK ne seraient pas candidats l’un ou l’une contre l’autre, mais «ensemble». Dont acte.

Un nouveau paysage à gauche

On peut tirer quelques autres enseignements d’une telle enquête et noter que la configuration politique n’est pas la même, selon le nom du ou de la candidate socialiste. Martine Aubry ferait un mauvais premier tour (22%) qui rend difficilement crédible un succès au second (52% selon l’Ifop), en sachant qu’une candidature DSK aide les voix centristes à se détourner de Nicolas Sarkozy. Cette enquête montre aussi que le patient travail de François Hollande commence à payer: l’ancien premier secrétaire existe désormais autrement que comme un pur fantasme. C’est si vrai que le nouvel accord Aubry-Royal-Strauss-Kahn est un moyen de s’assurer de l’isolement de Hollande.

Surtout, ce sondage ne doit pas masquer la situation réelle de la gauche qui, dans la réalité, n’est guère brillante. Car elle doit, pour le moment, sa situation favorable à la défiance dont fait l’objet Nicolas Sarkozy et… à l’éloignement de DSK. Comme aime à le dire François Hollande «l’anti sarkozysme ne définit pas une politique». Et sur le plan de la définition d’une politique, ni le PS ni la gauche ne sont encore crédibles. Enfin, le PS va devoir affronter à la fois les quelques pièges lancés par Nicolas Sarkozy et, comme toujours, ses propres démons.

La montée du Tout Sauf DSK

L’obstacle le plus visible, qui est rappelé à notre attention avec la mise au point par le PS de la procédure des primaires, reste bien la bataille pour le leadership. Les primaires sont une procédure faite pour canaliser les rivalités au sein du PS et le fait qu’aucun leader, ou apprenti leader, n’accepte de reconnaître une quelconque suprématie de la part de l’un de ses «camarades». Cette procédure est inscrite dans un calendrier tactique et tardif, car il s’agissait de laisser une chance à Dominique Strauss-Kahn et donc, pour cela, attendre le plus tard possible, c’est-à-dire l’automne 2011.

L’annonce de Marine Aubry introduit certes un élément de pacification. Mais cela ressemble furieusement aux primaires de «confirmation» annoncées par Claude Bartolone, désormais lieutenant de Martine Aubry. Il avait vendu la mèche un peu trop tôt!

Cette mise en ordre apparente n’efface pas d’un trait de plume les rivalités objectives. De ce point de vue, les primaires peuvent conduire à un «tout sauf DSK» déjà explicite à la gauche de la gauche, et implicite de la part des plus proches de Martine Aubry. Le principal intéressé a donc pris les devants la semaine dernière en faisant savoir, par sa femme Anne Sinclair, puis par lui-même à France Inter, qu’il est bien «de gauche» et cela depuis 35 ans! Et en expliquant qu’il a réorienté «à gauche» le FMI de telle façon que le procès en sorcellerie ne soit plus vraiment possible. Il a donc donné un signe évident de mouvement vers sa propre candidature sans que celui-ci puisse être considéré comme décisif.

Le principal obstacle sur sa route se nomme Martine Aubry. Parce qu’elle est, comme on dit, en situation. Et notamment en capacité d’infléchir la ligne du parti dans un sens qui rend plus difficile un retour de DSK. D’où la place et l’espace démesurés accordés à Benoît Hamon, ainsi qu’à son catalogue de promesses. Preuve que la crédibilité n’est pas encore le problème de Martine Aubry: elle a validé ce catalogue car elle songe plutôt à la primaire et aux voix, réputées plus militantes et plus radicales, de celles et ceux qui y participeront. Le soir donc, on aligne les promesses au PS et, le lendemain, les socialistes à l’Assemblée nationale réclament au gouvernement la réduction des déficits. Ce cynisme ordinaire ne devrait plus être de mise.

On pourrait objecter qu’on a bien le droit de rêver. C’est Arnaud Montebourg, désormais candidat à la candidature, citant Shakespeare: «Ils ont échoué parce qu’ils n’avaient pas commencé par le rêve.» C’est très beau. Mais totalement inadapté aux temps incertains, brutaux et dangereux que nous vivons. Notre futur immédiat, chacun le sait, sera synonyme de sacrifices et d’efforts, si l’on veut à la fois, comme disait François Mitterrand, «tenir notre rang» et sauvegarder l’Etat Providence.

On peut aussi, à juste titre, dire: oui, mais ce catalogue s’inscrit dans une réflexion plus vaste, un cadre de pensées nécessaires. Sauf que les socialistes n’ont jamais manqué de concepts ou de théories «ex post» pour expliquer leurs difficultés. Ils manquent plutôt de propositions concrètes, qui soient aussi finançables, réalistes et efficaces. Et d’une philosophie qui aille au-delà de «faire payer les riches», qui tient lieu de sauf-conduit à gauche.

A moins que le PS ne veuille augmenter considérablement le nombre de riches, il est douteux que ce slogan suffise à financer toutes les dépenses promises. Mais surtout on ne voit pas, en lisant le texte du PS, de levier de retour de la croissance autre que celui que constitueraient des dépenses complémentaires. Or, on sait que «l’égalité réelle» ne peut plus être recherchée aujourd’hui par les moyens –qui ont largement échoué– d’hier. Pour survivre, l’Etat Providence devra être profondément transformé. Et le PS ne s’est pas encore trop aventuré sur ce terrain.

Le champ des possibles

Martine Aubry a toutefois trouvé une formule heureuse. «Tout ne sera pas possible, a-t-elle dit, mais nous ferons tout ce qui est possible.» Ce peut être un excellent slogan de campagne présidentielle. Mais c’est peut-être aussi la vérité de la première secrétaire qui doit être consciente des limites des politiques publiques en temps de crise. La question est de savoir quand elle jugera bon de montrer qu’elle est ainsi plus proche de DSK que ne le laissent penser certains de ses discours.

Il faut reconnaître à Matine Aubry un talent tactique hors du commun. Ainsi au congrès de Reims, son accord avec Laurent Fabius et DSK sur le thème «Si c'est pas toi c'est moi, si c'est pas nous c'est lui» avait permis d'éliminer Bertrand Delanoë. Nous voilà en présence désormais d'un accord Aubry-DSK-Royal qui élimine Laurent Fabius et marginalise François Hollande. Cette formation en trio lui a toujours permis d'avancer. La prochaine étape devrait donc être: entre un programme agressif (à gauche toute), des attaques contre DSK (il n'est pas de gauche!) et une Ségolène qui continue de diviser, qui à votre avis sera le mieux en mesure de mieux rassembler la gauche? La réponse va de soi: Martine Aubry.

En revanche, elle a été moins heureuse dans ses réactions aux différents mouvements imprimés par Nicolas Sarkozy. De ce point de vue, le récent épisode des retraites devrait servir de leçon. Au sortir de l’été, désastreux et oh combien contestable de Nicolas Sarkozy, l’opinion avait bougé. Avec l’apparition d’un indice positif significatif, à savoir le souhait de victoire attribuée à tel ou tel camp. A la rentrée donc, 56% des Français déclaraient souhaiter la victoire de l’opposition lors des prochaines échéances. Après l’épisode des retraites, et de la levée en masse dont s’est félicité le PS, cet indice est tombé à 51%. Il a donc été neutralisé et nous sommes revenus, dans l’esprit de nos compatriotes, à une période de doute. Ainsi, près de 40% des personnes interrogées pensent que l’opposition aujourd’hui ne ferait pas mieux que le gouvernement.

Les pièges tendus

Que s’est-il passé? La position du PS, alignée sur celle des plus radicaux consistant à annoncer le rétablissement de la retraite à 60 ans, a rendu inaudible le chœur des propositions socialistes. Le PS a donc péché par défaut de crédibilité.

Trois pièges analogues ont été posés par Nicolas Sarkozy. L’introduction de jurés populaires au niveau des tribunaux correctionnels, la création d’un risque dépendance pour la sécurité sociale et la réforme de la fiscalité sur le patrimoine. Sur ces trois sujets, le PS aura du mal à la fois à se démarquer et à accorder les différents points de vue qui peuvent s’exprimer en son sein, tandis qu’une position de rejet pur et simple ou d’abolition des futures lois le conduiraient de nouveau à un déficit de crédibilité.

Les jurés populaires? Mais cela figure dans les propositions du PS dans la réforme de la justice et par ailleurs cela existe déjà à différents échelons de la justice (celui des juges pour enfants par exemple). En outre, cette proposition est plus que largement approuvée. Le risque dépendance? Ce sera toute la question du mode de financement qui déjà divise et permet à Nicolas Sarkozy de retrouver le chemin classique d’un clivage droite-gauche, selon que l’on privilégiera l’assurance obligatoire ou le financement par la CSG.

Quant à la réforme de la fiscalité du patrimoine, elle obligera également à sortir du simplisme et des slogans. Dans une émission télévisée Nicolas Sarkozy s’était adressé en même temps à l’électorat populaire à travers le couple sécurité-justice, qui lui permet d’être compris du plus grand nombre; aux seniors, et à ceux qui vont le devenir, à travers le financement de la dépendance; et à ceux qui ont un patrimoine et sont plus enclins à voter pour la droite. En face, Martine Aubry avait vu «un président déboussolé». Il est évident que la gestion même de ces trois dossiers sera largement aussi empoisonnée pour le PS et la gauche que le fut le dossier des retraites.

Mais on peut bien sûr aujourd’hui balayer tout cela et dire que, de toutes façons, la situation de Nicolas Sarkozy, au sein de la droite, prépare tranquillement la victoire de la gauche. Chaque jour qui passe en effet apporte sa pierre (Dominique de Villepin, Valéry Giscard d’Estaing) à la déconstruction du camp présidentiel. Si ces processus-là vont à leur terme, bien sûr la gauche gagnera. Mais cela ne doit pas l’exonérer du devoir de crédibilité, de sérieux et de réalisme qu’elle doit à celles et ceux dont elle porterait les espoirs.

Jean-Marie Colombani

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