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Israël craint une nouvelle guerre civile au Liban

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Le Tribunal spécial pour le Liban, mis en place par l'ONU pour enquêter sur l'assassinat de Rafic Hariri en 2005, doit bientôt rendre ses conclusions. Il devrait mettre en cause le Hezbollah qui menace ouvertement le gouvernement libanais d'un coup d'Etat.

Des partisans du Hezbollah célèbrent la visite de Mahmoud Ahmadinejad, le présid
Des partisans du Hezbollah célèbrent la visite de Mahmoud Ahmadinejad, le président iranien Sharif Karim / Reuters

Benjamin Netanyahou a convoqué d’urgence, le 24 novembre, le cabinet de sécurité constitué des sept principaux ministres chargés des décisions importantes du gouvernement. Certains assimilent ce cabinet à un «cabinet de guerre» car il a toujours eu à débattre des décisions sécuritaires du pays. Le premier ministre israélien est inquiet des nouvelles transmises par ses services de renseignements sur l’éventualité au Liban d’un coup d’Etat du Hezbollah, soutenu par la Syrie et inspiré par l’Iran.

Ce cabinet s’était déjà réuni, le 17 novembre, pour entériner le retrait de la partie nord du village de Ghajar, se trouvant en territoire libanais, malgré l’opposition de ses habitants qui tenaient à rester israéliens. Cette décision avait pour but d’étouffer dans l’œuf toute velléité du Hezbollah de prendre prétexte de cette occupation pour réactiver le front nord. La France avait salué cette décision.

Campagne d'intimidation du Hezbollah

Ces inquiétudes sont liées aux conclusions imminentes que doit rendre publiques le Tribunal spécial pour le Liban (TSL), mis en place par l'ONU pour enquêter sur l'assassinat de Rafic Hariri dans un attentat à Beyrouth en 2005. Plus nous nous rapprochons de l'annonce des conclusions et plus la tension s’installe au Liban. Le Hezbollah récuse ce tribunal car il estime que son enquête est fondée sur des éléments et des témoignages sujets à caution. Pour s’opposer à l’éventuelle mise en cause de ses dirigeants, il a organisé au Liban un exercice militaire d’intimidation, le 28 octobre, afin de préparer sa milice armée pour ce qu’il appelle «l'heure zéro».

La manifestation a été suivie d’un discours du chef du Hezbollah, Hassan Nasrallah, le 29 octobre, en forme de déclaration de guerre. Le chef de la milice chiite avait alors ordonné «à tous les fonctionnaires et à tous les citoyens à boycotter le travail des enquêteurs de l'ONU car la coopération serait une atteinte à la Résistance». Le gouvernement libanais a considéré cette menace avec sérieux. Il craint que le Hezbollah, usant du prétexte des accusations du Tribunal, ne cherche à prendre militairement le contrôle du Liban. Le général chrétien Michel Aoun, allié du Hezbollah, a mis en garde les occidentaux: «si le Hezbollah est accusé et s'il est innocent, il y aura un coup de force».

Les membres du Tribunal se sont ouvertement inquiétés de ces tentatives d'intimidation. Ils avaient d’ailleurs demandé que la reconstitution de l’attentat s’effectue en France dans l’intérêt de la sérénité de l’enquête et que les preuves accumulées soient mise en sécurité hors du Liban. L’ancien président et chef du parti Kataeb (phalanges chrétiennes), Amine Gemayel, a exigé sur Radio Liban Libre que le président Michel Sleimane défende le TSL qui «dévoilera beaucoup de vérités».

Hassan Nasrallah vient de réitérer ses menaces de «couper la main» de celui qui arrêtera des membres de son parti dans le cadre de l'enquête menée par le TSL: «Ceux qui pensent que la Résistance acceptera toute accusation contre ses militants ou ses dirigeants se trompent». Il s’élève par avance contre le contenu de l’acte d’accusation rédigé par un Tribunal jugé «politisé et à la solde d’Israël».

Des chefs islamistes impliqués

Des informations des services de renseignements israéliens, reprises par le Wall Street Journal, mettent directement en cause des hauts dignitaires du Hezbollah. Il est à présent acquis qu’Imad Moughnieh, assassiné à Damas le 12 févier 2008, était le maitre d’œuvre de cet attentat grâce à son expertise des voitures piégées de type 4x4, utilisées dans des attentats similaires au Liban.

Le TSL a identifié les autres organisateurs de l’attentat. Mustafa Badr Eddine, adjoint de Nasrallah, qui a hérité du poste de son beau-frère Moughnieh, reçoit ses ordres directement du général iranien Kassim Sulaimani basé à Téhéran. Talal Ussein Hamiyé, Wafiq Safa et Ibrahim Muhammad Akil sont les autres hauts dirigeants du Hezbollah qui seraient impliqués dans l'assassinat de Rafic Hariri.

Talal Hussein Hamiyé a remplacé Moughniyeh comme chef militaire du Hezbollah. Chef du département des opérations spéciales, il est chargé d’organiser à l’étranger des actions terroristes. Wafik Safa est le responsable de la sécurité interne du Hezbollah et l’adjoint du général iranien Hossein Mahadavi installé au Sud-Liban pour coordonner l’action du Hezbollah avec Téhéran. Il est aussi chargé de la coopération militaire avec les deux autres alliés libanais, la milice chrétienne du général Michel Aoun et les forces druzes de Walid Joumblatt. Selon les israéliens, c’est à lui qu’incomberait le projet de prise de pouvoir du Hezbollah au Liban. Enfin, Ibrahim Muhammad Akil, est déjà connu en Europe puisqu’il avait planifié les attentats de 1986, les prises d'otages occidentaux à Beyrouth et les détournements d'avions. Nommé commandant militaire, il a en charge le front le plus sensible du Liban-sud.

Accusations sérieuses

Le procureur spécial du TSL, Daniel Bellemare, appuie ses accusations sur l’interception de conversations téléphoniques entre miliciens qui ont utilisé le système de communication militaire du Hezbollah pour transmettre les ordres et pour coordonner l’action des équipes sur le terrain. Les enquêteurs, qui recherchaient les preuves de l’utilisation de ce réseau téléphonique, ont été surpris de découvrir qu’un dispensaire militaire avait servi de relais aux assassins, entrainant ainsi une plainte du secrétaire général de l’Onu, Ban Ki-Moon.

Les occidentaux s’inquiètent de voir le Hezbollah anticiper les accusations du TSL en s’attaquant au gouvernement libanais légal qui dispose de peu de moyens face à une milice chiite, forte de 20.000 hommes puissamment armés. Le souvenir de la guerre civile est encore omniprésent. Le chef du parti des Forces Libanaises, Samir Geagea, estime que «la région passe par le dernier quart d'heure avant la tempête. Le Hezbollah veut transformer le Liban en théâtre de guerre. La complaisance n'est plus permise dans ce domaine. Les responsables doivent assumer leurs responsabilités».

Préparatifs militaires

Une nouvelle résolution du Conseil de Sécurité de l’ONU serait stérile et toute autre sanction n’aurait aucun effet sur une éventuelle décision du Hezbollah de s'en prendre au gouvernement de Saad Hariri avec, à la clé, une demande aux troupes de la FINUL de quitter le Liban-sud. C’est pourquoi cette hypothèse agite le gouvernement israélien qui s’inquiète surtout de la présence de 1.500 pasdarans iraniens sur le théâtre des opérations. Il interprète les changements importants dans le commandement sud du Hezbollah comme un prélude à une guerre possible. Hassan Nasrallah a nommé son cousin Hashim Safi Al-Din à la tête de la région sud après l’avoir rappelé de Téhéran où il occupait le poste de chef du bureau de liaison du Hezbollah. Il remplace Cheik Nabil Kaouk qui s’était distingué pendant la guerre du Liban de 2006. Cette nomination préfigure la constitution d’un Etat-major militaire de trois dignitaires chargé de préparer une éventuelle guerre contre Israël. Hassan Nasrallah, Hashim Safi Al-Din et l’iranien Hossein Mahadavi, général des brigades El-Quods, ouvrent ainsi la voie à la concrétisation des ambitions de Téhéran et de Damas pour imposer leur influence au Liban.

Jacques Benillouche

Photo: Des partisans du Hezbollah célèbrent la visite de Mahmoud Ahmadinejad, le président iranien Sharif Karim / Reuters

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