Le monde dangereux et aérien de la politique, à l’instar du skateboard ou de Street Fighter IV, regorge de termes techniques dont la compréhension n’est pas donnée à tout le monde. L’actualité récente, et notamment l’affaire de Karachi, nous a par exemple récemment exposé au mot rétrocommission, que l’on pense comprendre au premiers abord, jusqu’au moment où il faut l’expliquer le soir au dîner. Il mérite que l’on s’y attarde pour y découvrir le merveilleux champ lexical qui y est associé.
Dans une volonté d’ouvrir ce monde fermé jusqu’ici à un cénacle de stratèges financiers, voici une liste exhaustive des différents types de montages imputables à la vente de produits d’un Etat à un autre.
TRANSACTION
Commençons par quelque chose de simple: la transaction. Un Etat (V) vend un produit (armes, hélicoptères, trains) à un autre Etat (A), qui lui verse de l’argent en échange de ce produit. Ce qui pourrait paraître la phase la plus simple et se suffisant à elle-même à l’électeur le plus naïf.
COMMISSION
Mais apparaît la commission. Car le marché des ventes d’Etat est une jungle, où chaque pays doit faire valoir avec pugnacité et fougue, et beaucoup de relations, le bien-fondé de son produit. Il est alors tout à fait logique de s’aider de sociétés de conseils ou intermédiaires tiers (I1) pour parvenir à la signature du contrat. Exemple: une société réalisant de superbes powerpoints mettant en valeur, par de subtils gifs animés et transitions «en fondu», la superbe de nos sous-marins français. Cette phase était légale jusqu’en 2000, et se suffit à elle-même dans l’esprit embué de l’électeur le plus naïf.
COMMISSION «SUPPLÉMENT FROMAGE»
Nous rentrons à partir de maintenant dans le vice. Car ces
commissions, théoriquement réservées à de vaillants intermédiaires responsables
(I1), peuvent servir à arroser, par de subtiles transmissions en chaines blanchissant
à chaque étape l’origine de l’argent, des récipiendaires (R1, R2, R3) dont le
rôle n’a pas été forcément de mettre en page des slides powerpoint.
Il peut s’agir de fonctionnaires et d’insiders du pays acheteur ayant «graissé les rouages», serré les mains qu’il fallait, détesté avec un peu plus d’enthousiasme que prévu les dossiers concurrents. Le cas peut s’appliquer pour les ventes d’armes, mais également tous types de marchés publics, ou d’événements à fortes valeurs ajoutées (comités d’organisation de jeux de type grec notamment). En fin de course, c’est le «supplément fromage», revenu (via R1) sous forme blanchie à certains proches ou personnalités de l’entité acheteuse elle-même.
Cette phase, bien qu’illégale, était encore tolérée il y a peu.
RÉTROCOMMISSION
La rétrocommission ajoute un degré de vice à la commission sale. Une partie de la commission versée aux intermédiaires (I1), qui rappelons-le, sont les bénéficiaires «officiels» de cette dernière, va transiter par d’autres intermédiaires plus ou moins opaques (R4) , se faire blanchir, et revenir, en espèces, à des personnalités et hautes fonctions gravitant dans l’univers du Vendeur-même. Question: l’acheteur et sa galaxie de récipiendaires (R1, R2, R3) sont-ils au courant de la rétro-commission? Parfois oui, parfois non. Mais étant eux-mêmes bénéficiaires de la commission sale de la part d’I1, le sauraient-ils qu’ils ne le crieraient pas sur les toits.
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A partir ces premières figures imposées, nous sommes désormais en mesure de proposer les figures suivantes:
SUPRÊME RÉTROCOMMISSION
La suprême rétro-commission est une figure déjà beaucoup plus difficile à réaliser. La totalité de la commission est destinée à être rétrocédée en espèces. C’est une étape de blanchiment totale et franche du collier, ne concernant en aucune façon le pays acheteur (A). Dans une suprême rétrocommission, l’acheteur d’ailleurs peut tout à fait demeurer blanc comme neige, ne connaissant pas la destination des commissions à l’intermédiaire I1.
DOUBLE SUPRÊME RÉTROCOMMISSION
Très belle figure, que peu d’organismes parviennent à développer dans leur carrière, et qui, si elle n’était pas 100% malhonnête, pourrait redonner espoir dans la coopération entre pays étrangers. Dans la double suprême rétrocommission, l’ensemble de la transaction est destinée à un blanchiment réciproque. Dans ce cas précis, le vendeur (V) va surfacturer son bien. L’acheteur (A) le paiera volontiers, une partie du paiement détournée via I1 lui revenant par le biais du circuit blanchi (R1) et en espèces. Le vendeur (V), lui, pour être remercié de son zèle et sa collaboration, s’octroiera bien sûr généreusement l’usufruit de ses efforts par le biais d’une rétro-commission (via R4).
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Avertissement: nous rentrons dans les figures à hauts risques.
180 BACKFLIP COMMISSION
En cas de malversations d’Etat, il peut arriver qu’à son arrivée, un nouveau président de la République horrifié découvre qu’une partie des commissions liées à une vente d’armement soit destinée à payer des rétrocommissions auprès de hauts responsables de l’Etat. Il réalise alors une 180 backflip commission, consistant à ne plus verser de commission à l’intermédiaire (I1). Etape coupant alors non seulement la rétrocommission incriminée, mais également les commissions opaques des intermédiaires gravitant autour de l’acheteur (R1, R2, R3). Opération qui n’est pas sans risque, pouvant provoquer le courroux des intermédiaires, des récipiendaires et du pays acheteur lui-même (A).
LA RÉTRO-OMISSION
Le 180° backflip commission n’est pas à confondre avec la rétro-ommission, consistant à oublier qu’il fallait payer une commission, mais qui peut avoir à terme les mêmes conséquences de mécontentement auprès des intermédiaires (I1).
FAKIE 360 FLIP ( ou FAKIE TRE FLIP ) COMMISSION WITH BLINDSIDE
Nous rentrons maintenant dans la figure réservée au très haut niveau. En poursuivant notre exemple du Président horrifié, cessant le paiement de commissions à un intermédiaire, il pourrait néanmoins, afin de ne pas froisser les interlocuteurs les plus puissants de l’opération initiale, choisir un autre intermédiaire (I2), qui par son propre circuit aura deux missions:
- 1) payer les interlocuteurs vraiment indispensables à la survie de l’opération (A via R5),
- 2) intimider, grâce à une équipe soudée de gaillards portant haut le couteau sur le mollet (la fine équipe du R5), les récipiendaires délaissés et susceptibles de poser problème à la suite de l’opération (R1, R2, R3).
Pour réaliser une fakie 360 flip retro-commission with blindside, beaucoup d’entraînement est nécessaire.
ASTUCE: Les touches à enchaîner sur votre manette PS3 sont les suivantes:
DOUBLE FAKIE 360 FLIP RETROCOMMISSION WITH BLINDSIDE AND NOSEGRAB
De loin la figure la plus risquée et virtuose. Notre Président hypothétique horrifié, repassant par un deuxième intermédiaire pour arroser les interlocuteurs indispensables (via R5), et intimider les récipiendaires déchus (R1, R2, R3), se dit que finalement, après tout ces efforts, une petite rétro-commission en espèces, différente de celle initialement prévue et alors destinée à d’éventuels rivaux, ne serait pas de refus. On a donc un enchaînement de fakie 360 flip avec blindside et rétro-commission (via R4), c’est le convoité double fakie 360 flip rétrocommission avec blindside. Le puriste pourra essayer, pendant toute la durée de l’opération, de se pincer le nez afin de ne pas en sentir les effluves nauséabondes: c’est le nosegrab, la cerise sur le gâteau, assurant au politique concerné la médaille d’or de la corruption.
Henry Michel