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Les évangéliques, fer de lance du protestantisme en France

Temps de lecture : 4 min

Un lieu de culte évangélique s’ouvre tous les dix jours. Les évangéliques sont plus fervents et engagés que les protestants traditionnels.

Le temple protestant de Metz / ZigZorniF via Flickr CC License by
Le temple protestant de Metz / ZigZorniF via Flickr CC License by

Le protestantisme se porte bien en France - 600.000 pratiquants et 1,7 million en comptant les sympathisants - et il le doit surtout au dynamisme de sa branche évangélique. Celle-ci est en plein essor, comme on le peut le mesurer dans les banlieues et les grandes villes où un lieu de culte évangélique (1) s’ouvre tous les dix jours. Sur les 4.000 lieux de culte protestants que compte la France, 2.600 appartiennent à la mouvance évangélique, les autres à la tradition luthérienne et réformée.

Une enquête d’opinion réalisée par l’Ifop pour la Fédération Protestante de France et l’hebdomadaire Réforme et portant sur 702 personnes identifiées comme «protestantes» ou «chrétiennes évangéliques» confirment à la fois la bonne tenue du protestantisme traditionnel - celui qui se réclame de Luther (les luthériens) et de Calvin (les réformés) -, estimé à 60%, et les progrès du courant évangélique qui représente désormais un bon tiers des protestants français. Un changement de l’identité protestante est en cours que mesurent ce sondage et un colloque universitaire qui vient de se tenir à Paris sous la responsabilité du Groupe de sociologie des religions et de la laïcité (GSRL). Comme dit Jean-Luc Mouton, directeur de Réforme, «les évangéliques, plus engagés, plus dynamiques, plus fervents, sont, sans conteste, le fer de lance d’une forme de reconquête du protestantisme en France

Un dynamisme de la conversion, d’abord: sur les sept cents protestants recensés dans cette enquête d’opinion, près d’un quart (22%) sont des néo-protestants, récemment convertis, présents surtout dans le terreau évangélique. Dynamisme de la pratique, ensuite: avec 39% de pratiquants réguliers (ceux qui vont au culte au moins une fois par mois), les protestants sont nettement plus pratiquants que les catholiques qui ne sont plus que 7% à se rendre à la messe le dimanche. Ce sont les évangéliques qui, là encore, donnent le plus de couleur et de relief à ce regain de pratique: près des deux-tiers (60%) vont une fois par semaine au culte contre 9% chez les protestants traditionnels luthéro-réformés.

Le fort pourcentage de lecteurs de la Bible mesuré par ce sondage - 46% de protestants français ouvrent régulièrement le livre sacré - est également dû à l’importance prise par les évangéliques dans le protestantisme français. Ceux-ci sont 74% à l’ouvrir au moins une fois par semaine contre 17% chez les protestants traditionnels. C’est aussi en premier lieu pour la place accordée à la Bible et pour sa façon d’exprimer la foi chrétienne - plus de ferveur et de conviction - que les évangéliques ont adhéré à la religion protestante. L’autre courant luthéro-réformé invoque plutôt comme motifs d’adhésion la tradition familiale, la grande liberté d’esprit dans le protestantisme et la liberté de se marier pour les pasteurs!

Le dynamisme évangélique se manifeste encore dans l’optimisme pour l’avenir: plus des deux tiers des évangéliques - 67% - disent s’attendre à un développement rapide du protestantisme en France, contre seulement 24% chez les luthéro-réformés. Mais c’est sur les questions d’éthique sexuelle et de bioéthique que la différenciation entre les protestants évangéliques - proches ici des courants évangéliques américains et conservateurs - et les traditionnels est la plus marquante: si 87% des protestants traditionnels luthéro-réformés entendent défendre le droit à l’avortement, seuls 40% des évangéliques y sont favorables. Les premiers sont aussi 62% à réclamer le droit à l’euthanasie, les autres ne le sont qu’à 27%. Divergence également sur les droits des homosexuels: 14% seulement des évangéliques sont favorables à la bénédiction de couples «gays» à l’église, alors qu’ils sont 58% à la réclamer chez les luthéro-réformés de tradition plus libérale.

En revanche, sur les questions d’éthique sociale, les positions sont proches: 59% des luthéros-réformés et 54% des évangéliques estiment que «la France accueille mal les étrangers» et ils ne sont respectivement que 38% et 37% à approuver l’idée qu’«il y a trop d’immigrés en France». Les croisements effectués à partir de ce sondage montrent que plus on est lecteur de la Bible, plus on est en désaccord avec l’idée qu’il y a trop d’immigrés: 71% des lecteurs hebdomadaires de la Bible estiment qu’il n’y a pas trop d’immigrés en France. Ceux qui ne lisent jamais la Bible ne sont que 47% à le penser. Rappelons que c’est dans la Bible - dans l’Evangile de Saint-Matthieu - qu’on retrouve la parole de Jésus: «J’étais un étranger et vous m’avez accueilli». Rappelons surtout que le courant évangélique en France est très présent dans les communautés d’origine étrangère.

En matière de laïcité - aménagement des rapports Eglises-Etat, aide de l’Etat à la construction des lieux de culte - les opinions des protestants traditionnels et des protestants évangéliques convergent également, sauf sur un point: la compatibilité des minarets avec l’identité de la France. Plus méfiants par rapport à l’islam, les évangéliques sont beaucoup moins nombreux (27%) que les luthéro-réformés (42%) à penser que les minarets sont compatibles avec l’identité de la France. Une dernière idée reçue qu’il faudrait balayer touche à la préférence politique: l’opposition faite couramment entre un réformé de «gauche» et un évangélique de «droite» ne correspond pas exactement à la réalité. Ainsi, 46% des évangéliques sont de gauche contre 32% de droite (dont 5% au Front national); les luthéro-réformés sont 53% de gauche contre 34% de droite.

Le protestantisme français est en pleine recomposition. Dopé par les évangéliques, il manifeste une nouvelle vitalité religieuse, y compris chez les jeunes, plus pratiquants que leurs aînés. Mais cette enquête confirme surtout la division de la famille protestante en deux pôles qui se rejoignent parfois, se séparent souvent. Comme dit Jérôme Fourquet, de l’IFOP, qui a analysé ces résultats, «il existe bel et bien deux familles distinctes dans le protestantisme. Sur certains sujets éthiques, sur le plan sociologique ou celui des pratiques, tout semble séparer les protestants historiques des nouveaux mouvements évangéliques». Mais c’est le courant évangélique, débridé dans sa pratique, conservateur au plan moral, qui donne sa couleur à un protestantisme de tradition réputé plus sage et tolérant. Bref, le protestantisme français s’américanise. Pour le meilleur et pour le pire.

Henri Tincq

(1) NDA: Le bon usage pour désigner les nouveaux protestants est bien de dire «évangéliques» et non «évangélistes». Ce dernier mot désigne les rédacteurs des Evangiles.

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