Vous allez peut-être me prendre pour un fou, il n'empêche qu'au moment où j'écris cet article, je travaille sur 8 fenêtres de navigateur en même temps, avec des dizaines d'onglets ouverts dans chacune. Et aussi 3 documents Word, un tableur Excel, un texte sur Notepad, une fenêtre Skype, ma messagerie instantanée, iTunes, Picasa, quelques dossiers et une calculatrice. Vous vous interrogez certainement sur ma santé mentale puisque c'est ce qui est déjà arrivé le mois dernier quand je me la suis donnée en parlant de mon ordinateur ultra-rapide qui pouvait gérer des centaines d'onglets ouverts simultanément. «200 onglets? Soit vous êtes pas doué, soit vous êtes un menteur» m'a écrit un type –et lui est resté plutôt gentil.
Et bien je ne suis pas un menteur, et j'aime à croire que je ne suis pas non plus un incompétent. C'est vrai que présenté comme ça, on imagine mon ordinateur croulant sous les fenêtres ouvertes et que ça me prend une éternité de trouver ce que je cherche dans ce bourbier informatique, mais en réalité, l'écran que je fixe actuellement est plutôt ordonné puisqu'on n'y voit seulement un document Word et une fenêtre Chrome.
Une multitude très ordonnée
Alors où sont passées toutes mes autres fenêtres? Facile: elles sont sur les autres bureaux de mon PC, trois espaces de travail à part entière auxquels j'accède d'un simple clic, et que j'ai agencés selon différentes tâches bien spécifiques. C'est comme travailler en même temps sur quatre ordis différents; quand j'en ai fini avec telles fenêtres –ou que je n'en peux plus de les voir– je passe à un nouvel espace de travail vierge et je recommence à en ouvrir d'autres. Et je peux revenir au premier écran quand j'en ai envie. Le beurre et l'argent du beurre en quelque sorte: je peux travailler sur un grand nombre d'applis en même temps, mais mon écran, ma barre des tâches et aussi mon esprit, eux, restent ordonnés.
Les plus technophiles d'entre vous me diront que tout ça n'est pas nouveau; en effet, les «bureaux virtuels» comme on appelle ces espaces de travail, existent depuis les débuts des interfaces graphiques. Quelques uns des concurrents les plus mémorables des géants de l'industrie du PC dans les années 80 et 90, tels Amiga, OS/2, BeOS, permettaient déjà l'utilisation de différents espaces de travail sur une même machine, et les environnements Linux les plus graphiques comprennent des bureaux virtuels depuis des années. Apple a inclu ces derniers à Mac OS en 2007, et de nombreusx logiciels permettent de reproduire le principe des bureaux virtuels sous Windows.
Malgré tout, ceux-ci n'ont jamais été vraiment adoptés par la majorité des utilisateurs. Spaces par exemple, le système de bureaux virtuels de Mac, est désactivé par défaut, et Apple en fait rarement la publicité. Et c'est bien dommage. Quel que soit votre système d'exploitation, et même si vous travaillez sur plusieurs moniteurs, il est fort probable que vous vous sentiez souvent submergé par toutes ces fenêtres que vous ouvrez et qui s'accumulent au cours de la journée. Si c'est le cas, vous avez besoin de ces bureaux virtuels –pour le bien de votre santé mentale.
Bureau virtuel mode d'emploi
Sur mon PC Windows 7 j'ai installé le logiciel WindowsPager pour profiter de ces espaces de travail indépendants. Il charge rapidement, est intuitif, pas compliqué à maîtriser, et cerise sur le gâteau: il est gratuit. (Il fonctionne également avec Windows Vista, XP, et 2000, et Lifehacker a fait une liste d'autres logiciels du même genre.) Quand je lance WindowsPager, il ajoute 4 petits boutons à ma barre des tâches, un pour chaque espace de travail. Quand je clique dessus, j'arrive sur un bureau entièrement vierge, avec une barre des tâches vide, sans la moindre icône. À mesure que j'ouvre des fenêtres, WindowsPager les reproduit sur le bouton dédié, ce qui me permet d'un coup d'oeil de visualiser ce qui se passe sur mes différents bureaux; par exemple, qu'il y a une fenêtre Chrome sur le Bureau 1, trois fenêtres Chrome et Skype ouverts sur le Bureau 2, etc.
Avec WindowsPager je peux également réarranger mes bureaux plus facilement. Mettons que j'ai pas mal de fenêtres ouvertes pour faire ma compta –Excel, une fenêtre Chrome avec les onglets de mes différents comptes en banque, et une calculatrice. En cliquant sur ces fenêtres je peux les faire glisser vers le bureau de mon choix. Et quand je veux retourner à ma compta je clique sur le bouton dédié dans ma barre des tâches, et hop, re-voilà mes fenêtres Excel etc. (À titre d'information, les fonctionnalités de WindowsPager sont similaires à celles proposées par d'autres logiciels du même genre, et voici aussi des tutos pour utiliser les bureaux virtuels de Mac et Ubuntu.)
La machine doit s'adapter à nous
Vous allez peut-être me dire que s'il me faut un gestionnaire de fenêtres sur mon PC c'est que je dois gaspiller pas mal de ressources. Effectivement, ça faisait partie des commentaires négatifs récurrents dans l'article où je vantais les mérites de mon super ordi; pourquoi est-ce que j'ai besoin d'avoir autant de programmes ouverts en même temps, au fait? Si je gérais mieux les ressources de mon PC –en fermant onglets et logiciels quand j'ai fini de m'en servir– je n'aurais pas besoin d'un PC de compèt' ni de bureaux virtuels, ni même d'aucun autre outil pour mieux gérer ma machine.
Pourtant je reste persuadé que ce n'est pas à moi de changer mes habitudes de travail pour m'adapter à une machine; c'est même l'inverse qui devrait se produire. À l'instar de ces gens qui sont plus productifs avec un bureau (le meuble) en pagaille, certains sont plus à l'aise avec un ordinateur qui leur permet d'effectuer plusieurs tâches simultanément. Alors oui, je pourrais m'en sortir si je ne laissais pas autant d'onglets et de fenêtres ouverts en même temps, mais je serais loin d'être aussi heureux et efficace qu'aujourd'hui.
Et je parie qu'à l'ère de la distraction permanente, je ne suis pas le seul dans ce cas. Je travaille souvent sur plusieurs choses à la fois avec mon PC, par exemple répondre à des mails, trouver une nouvelle table basse, faire des recherches pour un article, en écrire un en urgence, mettre de l'ordre dans mes photos... Chacune de ces tâches requiert un ensemble de fenêtres bien spécifique. Pour certaines, réussir à organiser les fenêtres c'est déjà la moitié du boulot: par exemple, si je décide de ranger mes fichiers sur différents disques durs, j'ai besoin d'ouvrir plusieurs dossiers pour déplacer ensuite les fichiers entre ceux-ci. Imaginez que pendant que je fais ça, je reçois un mail qui requiert mon attention immédiate, mais que pour y répondre je dois faire une recherche sur Internet et ouvrir ma messagerie instantanée pour poser deux-trois questions à quelqu'un.
Que faire? Si je voulais garder mon bureau bien ordonné, je devrais fermer ou réduire toutes mes fenêtres de transferts de fichiers. Mais ce serait vraiment pénible puisque ça m'a déjà pris pas mal de temps de les organiser. Dans ce cas, il est bien plus simple de les laisser comme telles et d'ouvrir un nouveau bureau pour une nouvelle tâche. Et ne vous en faites pas pour le «gaspillage» des ressources, de nos jours les ordinateurs sont bien plus puissants que nécéssaire, et il est peu probable que vous poussiez le vôtre au-delà de ses limites. Alors n'attendez plus, mettez-vous aux bureaux virtuels et laissez tourner plus de programmes en même temps. Vous serez plus efficace, je vous le promets.
Farhad Manjoo
Traduit par Nora Bouazzouni
Photo: Cockpit poser / PresleyJesus via Flickr CC License By