Culture

Dreamworks casse la baraque

Temps de lecture : 4 min

Les personnages sont d'une épaisseur inhabituelle et le film affiche une vraie maîtrise du 3D.

Ce n'est pas pour introduire en douce une once d'idéologie superflue dans la critique d'un dessin animé amusant, mais bon, débarrassons-nous une fois pour toutes de la question: Monstres contre Aliens (DreamWorks Animation) est un film pour enfants dont le personnage principal est une femme.

Ce n'est pas une amoureuse, ni la dame de compagnie du héros, ni sa maman. Ce n'est pas non plus une princesse; elle n'en a même pas l'air. Elle n'épouse pas un prince ou un prince raté. D'ailleurs elle ne se marie pas du tout. Elle essaie bien, mais elle se fait percuter par une météorite le jour J (la veine!) qui la transforme en super-monstre de plus de 15 m de haut, susceptible de sauver le monde mais inépousable, et merci, ô bienfaisants dieux du cinéma en Personnage Féminin Fort (ou comme mon accompagnateur plus sceptique me l'a fait remarquer, «en personnage féminin fort qui se trouve être mince comme un fil, équipée de gros nénés et d'un derrière rebondi et qui porte à l'occasion une combinaison moulante.» Touché.)

On peut aussi considérer Susan-aux-grands-yeux (doublée par Reese Witherspoon, Louise Bourgoin en français), surnommée Génormica comme la majestueuse figure de proue du galion de DreamWorks Animation, s'aventurant dans des eaux inconnues: à partir de Monstres contre Aliens, le studio tournera tous ses films en 3-D, ce qui signifie des prix d'entrée plus élevés, une sécurité supplémentaire contre le piratage, et ah oui, c'est vrai, une expérience visuelle plus captivante.

Dans ce pari, DreamWorks est en bonne compagnie. Avatar, quête spatiale qui sortira en décembre, est le premier long métrage de James Cameron depuis Titanic et le prochain film de Pixar Là-haut ouvrira le festival de Cannes en relief. Bien qu'il débute avec une partie de jokari surprenante de réalisme, Monstres contre Aliens se garde la plupart du temps d'envahir votre espace vital. Ce film aux couches superposées a tendance à donner un effet de douce immersion qui s'apparenterait plutôt à une balade au milieu du diorama le plus cher du monde.

Le format en 3D rehausse également l'esprit rétro-futuriste du film: à commencer par son titre kitschissime et les accents de Soleil vert de ses premières scènes, Monstres contre Aliens est un affectueux hommage-parodie aux films des années 1950 et aux étranges créatures, comme L'attaque de la femme de 50 pieds ou La mouche et Danger planétaire.

Susan, aux proportions gargantuesques, qui ne tardera pas à se faire plaquer par son insipide fiancé (Paul Rudd, doublé en français par Julien Doré) pour incompatibilité de mensurations, se réveille dans un site gouvernemental top-secret, où elle partage ce qui ressemble à un hangar à avions avec d'autres «monstres»: le Docteur Cafard (Hugh Laurie, Stéphane Freiss en VF), mi-homme, mi-insecte; le Maillon Manquant, (Will Arnett, doublé en français par Gilles Morvan), poisson-singe âgé de 20 000 ans; l'expérience culinaire ratée B.O.B. (Seth Rogen, Jérome Rebbot en français), sorte de masse gélatineuse transparente et vorace, de la couleur de l'eau bleue que l'on met dans les chasses d'eau; et l'adorable, effrayant Insectosaure, créature muette qui culmine à plus de 100 m.

Cette ménagerie incarcérée est sous la surveillance du général W. Putsch (Kiefer Sutherland, Patrick Bethune en VF). Peu après l'arrivée de Susan, tous sont relâchés pour combattre le méchant alien Gallaxhar (Rainn Wilson, Gilbert Levy en VF) qui veut conquérir la terre à l'aide de ses propres clones (autre hommage: les rencontres désaxées dans le cabinet de la guerre entre le général bourru et le président crétin, interprété par Stephen Colbert (Pierre Laurent), sont un clin d'œil à Dr Folamour.)

Depuis son premier film d'animation par ordinateur, Fourmiz, en 1998, DreamWorks n'a souvent pas su divertir le public sans avoir recours à des doubles sens lourdingues et à des références gratuites à la culture pop (les Shrek ont souvent été coupables des deux). Ce qui revient à dire que l'on soupçonne DreamWorks d'avoir longtemps brûlé de faire son propre film Pixar, et avec Monstres contre Aliens, c'est enfin chose faite.

Les personnages sont d'une épaisseur inhabituelle pour du Dreamworks: le Maillon Manquant d'Arnett évoque un Don Juan bien intentionné pataugeant dans sa crise de la quarantaine et le B.O.B. littéralement écervelé interprété par Rogen constitue un gentil hommage à l'insondable innocence et à la coopération joyeuse digne de Ray Bolger ou Anna Faris.

Monstres contre Aliens torpille le don de Pixar pour les merveilleuses incongruités (exemple : la branche d'olivier offerte par le président à Gallaxhar, avec, en fond sonore, un certain classique immortel de la pop synthé des années 1980). Mais le film sait aussi rendre une douceur décalée, mettre en valeur sans sentimentalisme le travail d'équipe et la loyauté, faire résonner des notes gracieusement mélancoliques (quand Susan, déprimée, se laisse choir d'un air malheureux sur l'auvent d'une station-service comme si c'était un banc public). Même les inévitables interludes «destruction totale» réchauffent curieusement le cœur, comme lorsque les copains monstres de Susan, suite à un problème de communication momentané, se mettent à pulvériser une palissade blanche sur ordre de leur damoiselle.

A son point culminant, Monstres contre Aliens affiche triomphalement sa maîtrise du 3D, et semble d'ores et déjà vouloir concourir dans la catégorie meilleure scène d'action de l'année : Susan s'attache deux voitures aux pieds, façon roller-skates à la pointure idoine, pour s'élancer dans une épreuve de force, ses monstrueux amis dans son sillage, contre Gallaxhar, sur le Golden Gate, alors que des centaines de minuscules automobilistes terrifiés fuient en hurlant de leurs voitures.

Cette scène épique contient de quoi combler les avaleurs de pop-corn de tous âges: un personnage jusque-là futile, surpris et transformé par sa propre force et son courage, un écran qui vous absorbe à force de magnifiques détails photoréalistes et de touches d'humour, et, par-dessus tout, l'éternelle et primitive satisfaction des crac-boum-paf-bang. Comme souvent dans Monstres contre Aliens, c'est presque aussi bon que de se prendre une météorite sur la tête.

Jessica Winter
Traduit de l'anglais par Bérengère Viennot

Photo officielle du film

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