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George W. Bush nous manque

Temps de lecture : 6 min

Pourquoi le bilan de George W. Bush pèse moins que ne le voudraient les démocrates.

La campagne que les Démocrates ont menée pendant deux ans pour rappeler aux électeurs le cauchemar que fut la présidence de George W. Bush a échoué. Avez-vous besoin de preuves ?

Prenez l’Arkansas. C’est l’Etat où le parti républicain a raflé presque tous les sièges au Congrès, pour la première fois depuis 1964, et il l’a fait avec un candidat novice, Tim Griffin. Si ce nom vous dit quelque chose, il y a une bonne raison. Il a passé les années 2000 à travailler pour Bush, dans ses campagnes électorales et dans son Administration. En 2006, le Département de la Justice accepta la démission de sept avocats fédéraux ; les remplaçants étaient plus «sympathiques» du point de vue idéologique, et l’opinion publique en prit note. Griffin récupéra un des meilleurs postes, mais il démissionna au bout de six mois après un discours à la Jerry Maguire où il brûlait ses ponts. Le service public, affirmait alors Griffin, ne «vaut pas la peine» qu’on s’y consacre.

Le retour de Griffin

Et maintenant, il va être membre du Congrès. Il a battu la sénatrice de l’Etat Joyce Elliott de 20 points dans ce qui devait être, en principe, le district le plus démocrate de l’Arkansas. Elliott a essayé de battre Griffin en rappelant ses liens avec Bush, surtout son implication, toujours très contestée, pendant la campagne de réélection de Bush pour faire annuler les inscriptions sur les listes électorales de certains électeurs ; la méthode consistait à envoyer un courrier à leurs adresses pour voir s’il était renvoyé par la poste.

«Ce n’est pas difficile à comprendre, me dit Joyce Elliott, réfléchissant sur les résultats. La polémique était publique, mais les gens ne s’y sont pas intéressés». Citizens for Responsibility and Ethics (CREW) à Washington a stigmatisé Griffin comme un des "Crooked Candidates of 2010" (Candidats corrompus de 2010). Griffin a traité CREW de «groupe gauchiste marginal», et les journaux ont critiqué Elliott pour avoir trop insisté sur le passé de son opposant. Elliott a attaqué Griffin sur le scandale des listes électorales, alors il a rétorqué qu’elle voulait «faire de cette élection une défense de ACORN» (Association of Community Organizations for Reform Now). Elle a fait feu et les balles sont revenues sur elle comme si elles étaient en caoutchouc.

Nostalgie et déni de vérité

Decision Points, les souvenirs de George W. Bush, sont sortis en librairie le mardi 9 novembre, et il n’y a presque pas de controverse. Deux nouveaux films mettent en exergue le deuxième et misérable mandat de Bush : le drame sur Valerie Plame et Joe Wilson, Fair Game, et la farce sur Jack Abramoff, Casino Jack and the United States of Money. Les deux ont un casting de stars, et on parle du premier pour un Oscar. Mais aucun ne génère beaucoup d’intérêt parmi le public ni de discussions enflammées.

A contrario, les deux films sont passées à côté de deux tendances lourdes de ces élections de mi-mandat : la nostalgie et le déni de vérité sur l’époque Bush. Les deux sont inséparables. L’homme a quitté ses fonctions avec un taux d’approbation de moins de 30%, ayant atteint le score d’impopularité inégalé depuis Richard Nixon lors de son départ en 1974. Or désormais, selon un sondage réalisé avant l’élection par Doug Schoen, le sondeur de Clinton qui a passé les deux dernières années à se disputer avec Doug Rasmussen, le titre d’oiseau de mauvaise augure pour Obama, 48% des électeurs pensent que Bush fut un meilleur président que Obama. Seuls 43% des électeurs pensent le contraire.

L'échec de la Parabole du Slurpee

Mais ce n’est pas pour cela que les Républicains ont gagné. Un sondage de NBC News datant du mois de septembre a révélé que 62% des électeurs n’ont pas aimé la politique économique de Bush. Les Démocrates comptaient sur ce chiffre pour leur campagne cet automne. C’est ce que la Parabole du Slurpee de Barack Obama, métaphore représentant les Républicains en train de siroter des boissons glacées pendant que les Démocrates s’échinaient à sortir l’économie de l’ornière, était censée exploiter. Ca n’a pas marché, évidemment. On trouve un premier indice qui explique cet échec dans ce même sondage de septembre : les électeurs n’ont pas aimé la politique économique de Bush, mais ils n’ont pas pensé non plus que le parti républicain y reviendrait. 58% des électeurs ont dit qu’ils croyaient que les «nouveaux Républicains» (comme Tim Griffin, apparemment) ne reproduiraient pas la politique de Bush.

Et c’est ainsi que les électeurs ont puni les Démocrates, alors que, selon un sondage national effectué à la sortie des urnes lors de l’élection de mi-mandat, seulement 23% blâmaient Obama pour les «problèmes économiques», pendant que 29% en imputaient la responsabilité à Bush, et 35% à Wall Street.

On ne pense pas à Bush

Une explication possible à cela est que Bush n’est pas considéré comme un président ayant échoué ou au succès non reconnu comme Truman. On ne pense tout simplement pas à lui, point barre. Les événements clés de sa présidence - la guerre contre le terrorisme et la crise économique – ne lui sont pas associés, car c’est maintenant Obama qui les gère, et le public ne perçoit pas beaucoup de changements dans leur gestion. Cependant, les scandales de l’ère Bush ont intrigué le public à tel point qu’on en a fait des films, et puis ils ont cessé d’avoir de l’importance.

La nostalgie et le déni sur le mandat Bush peuvent-ils être imputés à Obama ? Il ne faut pas exagérer - tous ses problèmes commencent en fait, et se terminent en large partie, avec le taux de chômage exceptionnel qu’il a hérité de Bush. Mais aussi bluffant que ça paraisse pour la gauche, l’électeur moyen ne perçoit pas ce qu’il a gagné quand il s’est débarrassé de Bush. La présidence de Reagan fut marquée par une guerre ouverte et totale contre tout ce que représentait le président Carter. La présidence d’Obama s’est perdue dans le conflit et une perception de continuation par rapport à la politique de son prédécesseur.

Rupture et continuation

Considérons les scandales de Bush qui ont le plus suscité la colère - les avocats fédéraux, Plame, tout ce qui concerne l’Irak, et les soi-disant «sites secrets» pour les interrogatoires. Il y a eu la guerre contre le terrorisme et tout ce qui a suivi. Les prétentions d’Obama à rompre avec Bush débouchent finalement sur une continuation des politiques de son prédécesseur. (Quelqu’un devrait le dire à John Bolton.) C’est le 23 janvier 2009, par exemple, qu’Obama demandait la fermeture de la prison de Guantanamo sous un an.

La colère populaire qui a marqué la dernière année de la présidence Bush, et la colère qui a inspiré le mouvement Tea Party, ont été inspirées par l’état de l’économie. La plupart des Américains ont le sentiment qu’Obama n’a pas changé de direction. Un sondage de Pew en août indiquait que 47% des répondants croyaient que TARP (Troubled Assets Relief Program ; le plan de soutien du gouvernement américain au secteur financier, ndlr), était un projet d’Obama, pendant que 34% ont dit que c’était une initiative de Bush. Ce sont les accusations de «socialisme» proférées par Glenn Beck et ses amis qui concentrent toute l’attention. Mais la véritable raison pour laquelle les électeurs n’aiment pas Obama et sa politique économique est qu’ils pensent qu’il dorlote les banques, comme l’a fait Bush.

Le temps de l'oubli

Mais même si la colère envers tout cela est injuste et confuse, pourquoi les scandales de Bush ne comptent-ils pas ? Pourquoi on ne s’en souvient pas de scandales majeurs ? Bush a quitté ses fonctions en donnant à Lewis "Scooter" Libby une amnistie, plutôt qu’un pardon, et les Démocrates ont choisi de ne pas écouter le Sénateur Patrick Leahy et de s’obstiner à parler des scandales. Et donc, le passé de Griffin n’a pas empêché son élection.

Les vétérans de l’administration Clinton, en revanche, n’ont pas été si chanceux. L’avant-dernier Secrétaire général de la Maison Blanche sous Clinton, Erskine Bowles, a perdu deux élections pour devenir Sénateur de l’Etat de Caroline du Nord pour avoir travaillé pour Bill Clinton pendant le scandale Lewinsky. Et puis il y a la nature des scandales de l’ère Clinton. «Il y a certains aspects des scandales de Clinton, par exemple l’histoire Lewinsky, dont tout le monde se souvient, insiste Paul Charlton, un des avocats fédéraux qui a perdu son poste et qui travaille maintenant en Arizona. Mais très peu se souviennent des détails des scandales qui ont vraiment soulevé des questions sur Clinton. Donc peut-être si les histoires ne soulèvent pas un certain intérêt, elles sont oubliées après un certain temps».

Y a-t-il des aspects de l’héritage de Bush dont les Démocrates peuvent se servir pour contester les Républicains ? Le livre de Bush va peut-être donner quelques indices. Ou bien il révélera que les Démocrates sont dans la même position qu’ils étaient en 1995, s’opposant et diabolisant les actuels Républicains pendant que les anciens s’installent eux dans leurs nouvelles vies respectables.

«Les Japonais ont une expression» dit Mark Green, un homme politique semi retraité de New York qui a coécrit un livre, publié en 2004, sur l’extrême nocivité de la présidence Bush. «Personne ne se souvient de rien après 30 jours».

David Weigel

Traduit par Holly Pouquet

Photo: President George W. Bush addresses the class of 2007 at this years Academy's commencement, USCG photo by Telfair H. Brown, Sr., wikimedia.

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