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Bercy, l'exception anarchique dans un sport policé

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Le tournoi de Bercy n’est pas ce rendez-vous social et mondain que demeure Roland-Garros parfois jusqu’à l’ennui.

Novak Djokovic lors du tournoi de Bercy 2008,  REUTERS/Jacky Naegelen
Novak Djokovic lors du tournoi de Bercy 2008, REUTERS/Jacky Naegelen

Le tournoi de tennis de Bercy, qui se déroule jusqu’au dimanche 14 novembre, n’a jamais souri à Roger Federer. En sept participations, le Suisse s’est toujours arrêté au pied des demi-finales. Parmi les neuf Masters Series, ces neufs tournois les plus importants de la saison régulière après les quatre rendez-vous du Grand Chelem, Bercy fait même carrément tache dans le palmarès du Bâlois.

Si l’on voulait extrapoler les raisons d’un tel manque de réussite pour celui qui est considéré par certains comme le plus grand champion de l’histoire en raison de ses 16 titres du Grand Chelem, il serait presque facile d’y voir là une certaine logique. Bercy est trop décadent pour le royal Federer, soucieux du respect des traditions et des règles à l’image de sa passion pour Wimbledon, éternel tournoi sans faux plis où chacun sait se tenir.

Or à Bercy, épreuve que nombre de joueurs ne portent pas dans leur cœur, c’est souvent l’anarchie pour ne pas dire la révolution menée par un public souvent électrique quand il n’est pas hors de lui. Depuis 1986, année de la création de l’open de Paris devenu le BNP Paribas Masters, débordements et incidents se sont multipliés dans ce stade rapidement transformé en pétaudière par des spectateurs souvent très éloignés de ceux croisés à Roland-Garros.

Un public capricieux

En 1988, lors d’une rencontre contre John McEnroe, Henri Leconte, conspué d’un bout à l’autre du match, y fut purement et simplement sacrifié sur l’autel de la bêtise. En 1993, lors de sa finale gagnée contre Andreï Medvedev, Goran Ivanisevic n’obtint aucun répit des tribunes enragées… parce qu’il réussissait trop d’aces. En 1996, Cédric Pioline n’y tenant plus adressa à un bras d’honneur à la foule déchaînée qualifiée, le même jour, de «zoo» par Boris Becker.

Au cours des 25 dernières années, nombreux ont été les joueurs ayant quitté le court sous une puissante, et souvent inexplicable, bronca. Il y a deux ans, le très populaire Rafael Nadal n’y échappa pas à une bordée de sifflets parce qu’il avait abandonné sur blessures en demi-finales. Roger Federer a été victime aussi de la colère de Bercy. En 2003, vaincu par le Britannique Tim Henman, le Suisse avait payé son tribut aux gradins. «Ils avaient été durs», se souvient-il.

Bercy, à qui il arrive de rester calme, est une exception sur le circuit professionnel du tennis où le public est aussi sage que l’image que renvoie ce sport. Bercy n’est pas ce rendez-vous social et mondain que demeure Roland-Garros parfois jusqu’à l’ennui. Le public du POPB n’est pas là pour la galerie. Il a payé sa place et veut participer à sa manière, parfois déroutante.

Seulement dans le tennis (et le golf)

Dans l’univers du sport, le tennis reste une incongruité avec le golf. Quand les joueurs jouent, le silence doit être d’or en raison de la sacro-sainte concentration des compétiteurs. Qu’un spectateur se manifeste en cours d’échange et c’est le rappel à l’ordre immédiat de l’arbitre. Imagine-t-on deux judokas s’affronter sans que l’on entende une mouche voler? Est-il réaliste d’exiger le calme absolu pendant un 100m afin de ne pas troubler l’équilibre psychique des coureurs?

Né en 1874 sous l’impulsion du Major Wingfield, le tennis n’a pratiquement pas évolué depuis 130 ans. Ni la taille du court, ni le comptage des points n’ont changé. Le principe de deux points d’écart est resté la norme pour boucler un jeu, même dans un tie break, invention qui date de 1970 et presque unique entaille dans ce conservatisme.

Même s’il a su s’adapter parfois avec son temps, à l’image de l’introduction de l’arbitrage vidéo en 2007 (violemment combattue par Federer), le tennis piétine tout en restant un sport majeur. Il a clairement perdu de sa séduction. En se professionnalisant, il a généré des héros plus studieux, moins originaux, moins distrayants. Le code de conduite, imposé aux joueurs dans les années 80, les a réduits au silence et à des rôles de héros paisibles qui n’ont plus le droit de l’ouvrir comme jadis Ilie Nastase et John McEnroe. Les personnalités se sont uniformisées quand, hier, il était possible de voir face à face des personnages aussi divers et opposés que McEnroe et Borg ou que Navratilova et Evert.

Rien qui dépasse

Aujourd’hui, la rivalité Nadal-Federer porte presque à elle toute seule le tennis tout entier, mais elle n’a rien à voir avec les duels d’antan dans la mesure où Federer et Nadal se respectent infiniment (un peu trop?) en raison de leurs caractères très policés. Leurs matches sont superbes, mais il y manque un ingrédient sulfureux comme du temps où Jimmy Connors traitait Ivan Lendl de «poule mouillée» après une finale de l’US Open où le Tchécoslovaque avait flanché sous le poids de l’événement.

Tout ce lissage affecte tous les joueurs, surveillés de près non seulement par les arbitres, mais aussi par leurs agents qui assistent de plus en plus nombreux aux conférences de presse, ainsi qu’aux interviews particulières de leurs champions comme s’il était urgent d’effacer au plus vite toute phrase qui pourrait faire polémique.

Si le tennis féminin se meurt d’ennui aujourd’hui, il le doit à la fois aux stéréotypes de styles de jeu, mais aussi aux stéréotypes de personnalités, le symbole absolu de cette torpeur étant incarné par la très formatée Danoise Caroline Wozniacki, actuelle n°1 mondiale, aussi barbante avec une raquette ou devant un micro.

Interdit de perdre ses nerfs

En 2009, Serena Williams a été disqualifiée en demi-finales de l’US Open pour s’en être pris vertement à une juge de ligne. Il est donc interdit de perdre ses nerfs l’espace de quelques secondes dans un grand moment de tension devant 23 000 spectateurs et les télés du monde entier. En 2004, à Roland-Garros, Marat Safin a écopé d’un point de pénalité pour avoir baissé son short à l’issue d’un échange spectaculaire. Il est donc interdit d’avoir de l’humour. Le Moscovite avait ensuite pesté en conférence de presse:

«Ils font tout pour supprimer tout ce qui est amusant. Vous n'êtes pas autorisé à faire ça, vous n'êtes pas autorisé à parler quand vous voulez parler. Il y a des tas d'exemples. Et la façon dont ils dirigent, c'est vraiment une blague. C'est dommage, parce que tout le monde adore ce sport et moi le premier. Et chaque année ça empire. Je ne sais pas où ça va finir, mais des changements radicaux doivent intervenir, le plus vite possible sera le mieux.»

En coupant ces têtes qui dépassent, le tennis a perdu son identité, mais a vu aussi stagner ou chuter ses audiences, notamment aux Etats-Unis où les sports les plus prisés font constamment évoluer leurs règles comme le football et le basket afin de rester au contact des plus jeunes générations.

En 2010, le sommet de l’année au tennis a été constitué par un match qui a duré 11h05, s’est étalé sur trois jours et s’est conclu sur le score de 70-68 au 5e set. John Isner et Nicolas Mahut, supermen de ce match à rallonge à Wimbledon, ont prouvé à cette occasion, malgré eux, que ce sport pouvait marcher sur la tête. Non seulement, le tennis ne cadre plus avec les logiques télévisuelles de notre époque et les humeurs zappeuses des plus jeunes générations, mais il se gargarise d’un exploit qui est, en fait, une aberration dans le contexte actuel de la lutte anti-dopage en forçant des hommes à aller au-delà de ce qui est admissible en termes de résistance. On achève bien les chevaux et les joueurs de tennis…

Yannick Cochennec

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