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Elections en Birmanie: pour quoi faire?

Temps de lecture : 6 min

La junte militaire n’a aucune intention d’abandonner le pouvoir.

Une manifestation à New Delhi, le 3 novembre 2010. REUTERS/Adnan Abidi
Une manifestation à New Delhi, le 3 novembre 2010. REUTERS/Adnan Abidi

Le 2 novembre, les électeurs américains se sont rendus aux urnes pour élire 435 membres à Maison des Représentants et 37 sénateurs. Cinq jours plus tard, à l’autre bout du monde, un pays de 56 millions d’habitants va tenir ses secondes élections en 48 ans. Alors que dans les deux pays la campagne fait rage, on peut parier sans trop de risque que le vieux dictateur militaire Than Shwe doit mieux dormir que certains membres démocrates du Congrès.

Pour aussi prévisible que le résultat des élections birmanes puisse paraître, il est probable qu’il sera considérablement couvert par la presse internationale. La dernière fois que la politique birmane à fait les gros titres, en 2007, des milliers de moines se rassemblaient dans les rues de Rangoon, plus grande ville du pays et ancienne capitale. Les manifestations de masse, qui ont débouché sur la «révolution safran», ont été brutalement réprimées par la junte militaire du pays, qui a frappé et ouvert le feu sur des manifestants désarmés, en tuant plusieurs, ainsi qu’un photographe japonais.

Trois ans plus tard, le gouvernement cherche à se voir reconduire par la voie des urnes. Pourquoi, après 48 ans de dictature autocratique, les militaires birmans au pouvoir tiennent-ils donc des élections?

Recherche de légitimité

Une chose est claire: la junte s’intéresse moins à l’établissement d’une véritable démocratie qu’à tenter d’obtenir une légitimité internationale et à faire taire les critiques avec des réformes cosmétiques. La guerre sur trois fronts menée par la junte –contre le mouvement en faveur de la démocratie, l’agitation des minorités ethniques et l’opprobre internationale– peut avancer, même marginalement, grâce à cette apparence de légitimité démocratique.

Les élections sont le point culminant d’une opération planifiée visant à atteindre «une authentique et florissante démocratie multipartite et disciplinée» comme le régime l’a baptisée. Quoi que cela puisse signifier, le premier souci est de remporter une victoire convaincante –quel qu’en soit le prix. Lors de la dernière élection, en 1990, la Ligue Nationale pour la Démocratie de l’icône démocratique Aung San Suu Kyi a infligé une déroute à la junte, raflant 392 des 447 sièges disponibles. Les militaires ont ignoré le résultat et continué de régner par le biais du très orwellien Conseil d’Etat de Restauration de l’Ordre et de la Loi, depuis rebaptisé Conseil d’Etat de la Paix et du Développement.

Une nouvelle constitution, adoptée en 2008, assure que même le pire des scénarios permettra aux généraux de tirer les marrons du feu. Un quart des sièges des deux chambres du Parlement est réservé à des candidats militaires triés sur le volet, tandis que les lois électorales interdisent à Suu Kyi et à plus de 200 membres emprisonnés du LND de se présenter. Des membres éminents de la junte ont déjà abandonné leurs uniformes et pris des postes au sein du Parti de la Solidarité et du Développement de l’Union, un parti issu de la junte. Le PSDU et ses partis associés alignent des candidats dans tout le pays, trois fois plus que les 35 autres partis réunis.

Parodie d'élection

L’Occident ne risquant guère de considérer l’issue des élections comme légitime –en mars, un porte-parole du département d’Etat des Etats-Unis a évoqué ces élections comme «une parodie de processus électoral»– les voisins asiatiques de la Birmanie, dont bon nombre ont des pratiques démocratiques pour le moins discutables, pourraient utiliser les élections comme une excuse pour soustraire la question birmane –source perpétuelle d’embarras– de l’agenda des sommets internationaux.

Sean Turnell, spécialiste de la Birmanie enseignant à l’université de Macquarie de Sydney, en Australie, déclare que les élections ont pour objectif de fournir une «feuille de vigne de légitimité internationale» à la junte assiégée. «L’élection sera une farce – mais cette farce pourra être utilisée par certains pays pour exploiter des opportunités économiques ou autres,» dit-il. Elle pourrait être utilisée comme prétexte d’un passage de pouvoir entre la génération actuelle de généraux –dont la majorité a dépassé les 70 ans– et une nouvelle coterie d’officiers de l’armée.

Le général Than Shwe

De prime abord, le comportement actuel de la junte –mu par la paranoïa et une certaine tournure surréaliste– que quelques réformes semblent se profiler. Le général Than Shwe, le primus inter pares de la junte, est un personnage obscur, qui n’apparaît que dissimulé derrière des lunettes fumées et revêtu d’un uniforme bardé de médailles. Dans une récente biographie, un diplomate le décrit comme un homme n’ayant «pas une personnalité très tranchée», mais également comme un homme passé maître dans la manipulation politique visant à préserver sa mainmise sur le pouvoir.

Depuis sa nomination en 1992, Than Shwe a mis en pratique le mélange excentrique de superstition traditionnelle, de répression et de realpolitik qui forme la marque de fabrique de la politique birmane. En novembre 2005, à une date recommandée par des astrologues (qui sont peut-être également derrière le choix de la date du 7 novembre), Than Shwe a déplacé la capitale du pays de Rangoon vers un lieu accidenté et désert au centre de la Birmanie. Cette nouvelle ville vide, baptisée Naypyidaw, «siège des rois», a été semble-t-il choisie pour sa situation géographique, qui la place hors de portée de la 7e flotte américaine du Pacifique. Ne disposant pas d’un centre à proprement parler, la ville peut être considérée comme une sorte de prophylaxie géographique des éventuels troubles domestiques, ce qu’un journaliste a décrit comme «l’assurance ultime contre tout changement de régime.» Les collines qui entourent Napydyidam fourmillent, dit-on, de plusieurs kilomètres de tunnels souterrains, qui auraient été creusés avec l’aide d’ingénieurs venus de Corée du Nord.

En mai de cette année, des rapports ont fait état des plans birmans de développement d’une technologie d’armement nucléaire. Et les chefs birmans pourraient bien se tourner vers Pyongyang pour autre chose que des têtes nucléaires et considèrent peut-être la Corée du Nord comme un modèle d’autarcie et d’isolationnisme sur le long terme.

Quelle issue?

Malgré la dérive manifestement inexorable de la Birmanie vers le statut d’Etat-voyou, les observateurs sont partagés sur les résultats des élections. Certains affirment que bien qu’elles soient parfaitement orchestrées, elles pourraient entraîner des réformes graduelles, comparant la Birmanie à d’autres pays comme le Chili, l’Egypte et Taiwan, qui se sont petit à petit éloignés d’un modèle de gouvernement autocratique.

D’autres espèrent un boycott des urnes. Aung San Suu Kyi –assignée à résidence et interdite d’élections après que John Yettaw, un Mormon de Falcon, dans le Missouri, ait rejoint à la nage sa résidence située sur les rives d’un lac à Rangoon en 2009– a conseillé aux électeurs de rester chez eux le jour des élections, et les activistes internationaux font actuellement campagne pour tenter d’assurer un faible taux de participation.

Cette séparation est également visible au sein du mouvement d’opposition en Birmanie: le plus grand parti d’opposition, la Force Nationale Démocratique, est constituée d’anciens membres de la LND qui refusent de participer au boycott. D’autres groupes d’opposition –dont un bon nombre à fondement ethnique– participent aux élections en espérant obtenir quelques aménagements de la politique du gouvernement.

Mais la stabilité de la Birmanie, sur le long terme, dépend avant tout de ce qui la mine depuis 1948 et l’obtention de son indépendance du Royaume-Uni: sa kyrielle de conflits ethniques. En septembre, des médias en exil ont rapporté l’augmentation du trafic de drogue en Thaïlande depuis des zones contrôlées par l’Armée Unie de l’Etat de Wa –considérée par certains comme la plus grande organisation de trafic de drogue du monde – afin d’anticiper une reprise des accrochages avec l’armée birmane. L’AUEW, forte de 20 000 hommes, qui fait partie des quelques milices ethniques ayant signé des accords de cessez-le-feu avec le gouvernement en échange d’une autonomie locale, a récemment reçu l’ordre de se fondre dans des forces centralisées de gardes-frontières. L’AUEW et d’autres groupes ont jusqu’ici refusé, ce qui pourrait à terme entraîner la reprise un conflit ouvert.

Il est trop tôt pour dire à quoi une «démocratie à la birmane» pourrait bien ressembler; les signes, en tous cas, ne sont pour le moment guère encourageants.

Sebastian Strangio

Traduit par Antoine Bourguilleau

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