C’est, en France, l’un des phénomènes de santé publique parmi les plus spectaculaires, parmi les plus étonnants, de ces dernières années: l’abandon progressif des «traitements hormonaux substitutifs de la ménopause» (THM). Ces médications permettent officiellement de soigner un cortège de symptômes –parfois forts désagréables; hautement handicapants– caractéristiques de la ménopause. Les médecins parlent ici de «signes climatériques»; tous semble-t-il, d’origine hormonale («bouffées de chaleur», «sécheresse vaginale», «troubles urinaires», «modifications cutanées», «prise de poids», «maux de tête», «sensations de fatigue», «douleurs articulaires», «tendances dépressives», etc.)
En France –et en moins de huit ans– le nombre de femmes ayant choisi de prendre ces traitements pour les soulager de ces symptômes a chuté de manière spectaculaire. Ce phénomène fait directement suite à la publication, en juillet 2002, d’une vaste étude américaine connue sous le nom de Women’s Health Initiative (WHI). Comment comprendre?
Quand la ménopause a arrêté d'être une maladie
Les conclusions de cette étude laissaient entendre (contrairement à ce qui était avancé jusqu’alors) que les THM ne permettaient pas de prévenir le risque d’être victime de certaines maladies «cardiovasculaires» ou «squelettiques». Pire, elles semblaient pouvoir être de nature à augmenter le risque d’apparition d’autres affections de diverses origines, vasculaires et cancéreuses notamment. Un dogme scientiste s’effondrait: on ne pouvait pas impunément prévenir les symptômes inhérents à la fin, naturellement programmée, des fonctions ovariennes. Ainsi donc la ménopause n’était en rien une maladie mais bien une fatalité…
C’est peu dire que la WHI fut à l’origine d’une controverse dans les communautés médicales et pharmaceutiques concernées; une controverse aujourd’hui encore bien loin d’être éteinte. De nombreuses voix s’élevèrent pour dénoncer les différents biais de cette étude: de fait les femmes ayant participé à ce travail étaient considérablement plus âgées que celles commençant habituellement à prendre ces traitements; ces femmes présentaient de ce fait des facteurs de risque artériel parfois très importants; leurs traitements étaient prescrits à des doses qui n’étaient adaptées ni à leur âge de ni à leurs facteurs de risque, etc. En France plusieurs spécialistes de renom firent en outre valoir que les traitements américains étaient totalement différents de ceux prescrits dans l’Hexagone.
Rien n’y fit. Principe de précaution (déjà) ou pas l’Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé (Afssaps) considéra (dès 2003 puis à nouveau en 2006) que les conclusions de l’étude américaine pouvaient être extrapolées à la situation française. Selon elle, les bénéfices attendus des THM étaient de loin inférieurs à leurs risques: d’une part ils ne fournissaient pas de véritable protection cardiovasculaire, de l’autre ils augmentaient statistiquement les risques, notamment celui de cancer du sein. Il fallait dès lors –et dans le meilleur des cas- ne prescrire les THM que «pour la durée la plus courte possible», «aux doses les plus faibles possibles» et uniquement pour traiter les signes «climatériques» les plus gênants.
Les leçons de la baisse de prescription
Amplement médiatisées, ces nouvelles recommandations officielles eurent alors un impact majeur sur le nombre de femmes utilisatrices du THM. Dans quelles proportions et quelles leçons peut-on aujourd’hui tirer des dernières données disponibles? C’est précisément à ces questions auxquelles cherche à répondre le Pr Anne Gompel (unité de gynécologie endocrinienne, Hôtel-Dieu de Paris; université Paris-Descartes) dans le dernier numéro (daté du 20 octobre) de la Revue du Praticien.
Elle observe qu’entre 2002 et 2008 les ventes de produits des THM ont diminué de 67% sans qu’il soit techniquement possible de conclure (les doses prescrites d’estrogènes et de progestatifs ayant été réduites) que cette diminution soit équivalente à celui du nombre des femmes traitées. «Il n’existe actuellement à notre connaissance aucune donnée permettant de connaître la durée moyenne de traitement, souligne-t-elle. La moyenne du traitement étant auparavant de 3 ans, et les recommandations actuelles étant de traiter le moins longtemps possible avec des doses aussi faibles que possible, il est vraisemblable, mais pas certain, que la durée des traitements soit en moyenne encore plus courte qu’auparavant.»
Selon le Pr Gompel, une publication récente utilisant les données de la Caisse nationale –française– d’assurance maladie des travailleurs salariés rapporte une baisse d’utilisation de respectivement 33%, 34% et 38% chez les femmes âgées de 50-54, 55-64 et 65-74 ans. Moins de 15% des femmes de 50-55 ans prendraient actuellement, en France, un THM. Cela étant, il est bien difficile de conclure quant aux retentissements pratiques qu’ont pu avoir les recommandations officielles tant les paramètres de cette équation de santé publique sont nombreux.
Il n’en reste pas moins vrai que l’une des questions essentielles dans ce domaine est officiellement affichée: celle de savoir si, comme de nombreux chiffres le laissent penser, le moindre recours des femmes aux THM est associé à une réduction du nombre de cancers du sein; ou –pour le dire autrement– si le recours au THM est de nature à exposer à un risque anormalement élevé d’apparition de ce cancer. Le Pr Gompel rapporte de manière objective que de nombreuses publications ont conclu à une baisse de la fréquence des nouveaux cancers du sein diagnostiqués, et ce depuis le moindre recours aux THM. Ceci est tout particulièrement vrai en France sans que les spécialistes soient capables d’affirmer s’il existe véritablement ici une relation de cause à effet; du fait notamment de la généralisation progressives de pratiques de dépistage de cette lésion cancéreuse.
Dès lors que conclure? Avec l’âge et à l’approche des premiers symptômes de leur ménopause les femmes doivent-elles ou non avoir recours à un THM? Force est bien de constater que la médecine et les statistiques de santé publique nous laissent ici dans un épais brouillard. Modeste tentative d’éclairage en cinq points:
- 1. Le rejet récent et massif des THM par les femmes est «associé» à une baisse des cancers du sein; ce qui est a priori une bonne nouvelle. Pour autant, cette observation n’est pas à elle seule une explication. D’autres éléments ont également pu jouer. Si oui, lesquels?
- 2. Rien ne permet de soutenir mordicus que l’affirmation «politiquement correcte» selon laquelle «les hormones donnent le cancer» est dans ce domaine une vérité démontrée.
- 3. «La décroissance brutale des THM provoquée par une campagne médiatique sans égale a sans doute contribué en partie à la baisse des cancers du sein sans que l’amplitude de cette baisse soit scientifiquement évaluée, résume le Pr Gompel. Les autres conséquences bénéfiques ou perverses de ces arrêts n’ont pas encore été décrites.» Lesquelles? Le seront-elles un jour?
- 4. Si oui par qui et quand?
- 5. Ménopause/andropause: «maladies» modernes ou simples acceptations résignées du temps qui, décidemment, passe quand (Henri Mondor dixit ) la vie coule de moins en moins dans la belle mécanique naturelle du «silence des organes»?
Jean-Yves Nau
Photo: the heat is on / jenny downing via Flickr CC License by