France

Les jeunes n’ont pas le moral: encore un cliché!

Temps de lecture : 5 min

Les jeunes sont pessimistes sur la société française, mais pas du tout sur leurs destins individuels. Lucides mais optimistes!

A Paris, le 21 octobre 2010. REUTERS/Charles Platiau
A Paris, le 21 octobre 2010. REUTERS/Charles Platiau

L’angoisse de la jeunesse. A chaque manif lycéenne ou étudiante, la société s’abime dans cette constatation désolante: les jeunes ont le moral en berne. On finit par être hypnotisé par ce cliché. En réalité, ce pessimiste porte sur l’avenir de la société française (71% de non confiance). Mais sur leur propre avenir, les trois-quarts d’entre eux sont confiants et presque tous comptent sur eux-mêmes ou sur leurs proches pour s’en sortir (Baromètre Ifop 2010). Ce qui, tout de même, introduit plus qu’une nuance.

Ce déficit de confiance englobe donc l’ensemble de la société et ses institutions: partis, gouvernements, médias et dans une moindre mesure, les syndicats. Autrement dit, les Français de 16-29 ans portent un jugement négatif sur le pays dans lequel ils vivent, une façon indirecte d’évaluer d’un regard critique les choix collectifs des générations précédentes. Au final, le sentiment d’appartenance et de confiance envers les autres, au sein de la communauté nationale, est, chez eux, le plus bas de tous les pays de l’OCDE, à l’exception de la Pologne (Etude 2008 de la Fondation pour l’Innovation politique, Les jeunesses face à leur avenir: une enquête internationale [PDF]). Malheur à qui voit son destin individuel rattaché à une société aussi défaillante. Et pourtant la plupart des jeunes, loin de sombrer dans la morosité, s’affirment confiants dans leur propre devenir. Comment expliquer cette discordance entre pessimisme social et optimisme individuel?

La face sombre de notre fameux modèle social, c’est, précisément, l’insertion des jeunes. Le couple éducation-emploi est malade depuis de longues années malgré la procession de ministres qui se sont portés à son chevet. En France, les chances de trouver du travail sont corrélées par le niveau d’études atteint lors de la scolarité initiale, et ce diplôme pèsera inéluctablement sur la suite du parcours professionnel. Donc à 18-20 ans, le destin des uns et des autres est déjà bien dessiné.

Qu’indique l’enquête Génération 2004 du Céreq (Centre d’études et de recherche sur les qualifications), qui a étudié le devenir des jeunes trois ans après leur entrée dans la vie active (donc en 2007)?

Les non bacheliers pénalisés

La jeunesse qui, depuis sa petite enfance, peine dans le giron scolaire, redouble, sèche quelque peu les cours à partir du collège, risque de sortir sans aucun diplôme ou tout juste le brevet: cette fraction (18% d’une cohorte) va nourrir les taux importants de chômeurs (entre un tiers et 40% trois ans après la sortie de la scolarité), et subir des postes mal payés et peu durables. La jeunesse qui est orientée vers la filière professionnelle avant le bac (CAP, BEP), va connaître aussi le chômage et l’intérim, puis trouvera un travail plus ou moins stable: par exemple trois ans après la sortie de l’école 80% des CAP ou brevets professionnels ont un emploi, et 61% ont un CDI. Dans tous les cas, ces non bacheliers seront pénalisés sur le marché de l’emploi par rapport à des bacheliers professionnels, ou, bien davantage, par rapport à ceux qui entrent à l’université et obtiennent un BTS .

Les jeunes qui s’engagent dans l’enseignement supérieur représentent 50% d’une classe d’âge. Premier obstacle: bien négocier l’entrée des première et seconde années qui font office de sélection «qui ne dit pas son nom», et qui débouchent souvent sur des abandons ou des réorientations; après avoir franchi ce barrage, bon an mal an, environ 42% d’entre eux vont obtenir un diplôme du supérieur. Ces diplômés vont multiplier stages et petits jobs, mais finiront, après quelques années de tâtonnement, par se tailler une place dans le monde du travail. Trois ans après leur diplôme, 81% des personnes ayant une licence professionnelle et 70% de celles ayant une licence générale travaillent en CDI – un licencié «en ressources humaines» ou en finances étant évidemment avantagé par rapport à un licencié en art. La petite fraction (5%) qui a réussi le concours des grandes écoles, elle, entre vite en emploi avec un salaire correct et des chances de promotion: l’avenir lui sourit.

Un diplôme, oui, mais le bon

Ce maillon étude/emploi présente donc des caractéristiques. Chaque jeune est incité à pousser le plus loin ses études, car, comme une loi d’airain, l’accès à l’emploi stable semble en dépendre. Toutefois ces diplômes, même à niveau égal, sont de valeur très disparate. Donc le maintien en scolarité ne procure qu’une garantie aléatoire, et le risque demeure soit que l’on «galère» longtemps avant de trouver un travail satisfaisant, soit que cet emploi soit sous-qualifié par rapport au diplôme obtenu. Un seul exemple: 10% des détenteurs d’un doctorat étaient au chômage trois ans après leur diplôme. Ces désajustements sont plus marqués en France qu’ailleurs en raison de traits culturels: la survalorisation du diplôme alliée à une hiérarchie impitoyable de ces parchemins, le modeste développement du système d’alternance formation/emploi, la frilosité des employeurs à engager des jeunes inexpérimentés, et, cela va de soi, l’atonie du marché du travail.

Au final, l’entrée dans l’univers du travail fonctionne comme un parcours d’obstacles impitoyables, propre à décourager les adolescents et post-adolescents qui ont le moins de ressources de départ, et de toute façon anxiogène pour la plupart des gens de 20 ans. Dans le wonderland de l’élitisme républicain, la formation de masse est subie comme une épreuve individuelle, une rude compétition intra générationnelle: le contraire d’un projet collectif.

Aidons-nous les uns les autres

Dans un tel contexte, l’optimisme des jeunes sur leur avenir individuel sonne comme une surprise. Il repose sur la résilience qui s’est construite au fil des ans face à cette fatalité –la question de leur insertion date de plus de vingt ans. Cette bonne figure est aussi liée aux multiples amortisseurs qui, à cette époque de la vie, permettent de relativiser l’importance de l’emploi, et/ou qui génèrent une résignation à son encontre: insouciance que donne «la vie devant soi»; petits jobs et stages dans l’attente de stabilité; solidarité familiale; aide ponctuelle des mécanismes publics .

Si la génération montante conserve son optimisme, c’est surtout qu’elle s’est adaptée. Cette longue file d’attente et d’incertitudes étant devenue une norme, le système amical et communicationnel propre à la jeunesse s’est intensifié, tirant aussi tout le parti des outils numériques. Cette sociabilité fournit soutien moral et entraide entre groupes –qui demeurent, jusqu’à un certain degré, des groupes socialement homogènes. Elle se nourrit d’une culture partagée: une verve ironique sur le monde moderne, l’esprit LOL (laughing out loud). Une économie souterraine fleurit dans les réseaux sociaux, où s’échangent infos, objets, bons plans, adresses, conseils et astuces au service de la consommation pas chère ou gratuite (vive le téléchargement des films et des musiques). Les colocations d’appartement se sont multipliées. Pour les jeunes en galère ou seulement précaires, il faut tenir bon, solidairement, en attendant des jours meilleurs et, à cette fin, ils ont galvanisé l’art de jouer sur les interstices de la société de consommation, et le talent de se moquer d’eux-mêmes.

La génération débrouille, en jonglant avec les atouts et contradictions de la société française, invente alors ce miracle: concilier optimisme sur soi et lucidité sur le monde social.

Monique Dagnaud

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