Ecouter. Partager. Diriger. Voici les trois principes avec lesquels Barack Obama débarque à Londres pour son premier voyage en Europe en tant que président des Etats-Unis. Il avait annoncé une révision de la politique étrangère américaine avant le sommet de l'OTAN qui s'ouvre vendredi 3 avril à Strasbourg-Kehl.
Le travail n'est pas terminé mais les orientations déjà esquissées montrent les lignes de rupture avec son prédécesseur. George W. Bush a laissé un bilan calamiteux. Il espère qu'un jour, plus tard, l'histoire lui rendra justice. Qui sait ? En attendant, les Etats-Unis se retrouvent impliqués dans deux guerres, en Irak et en Afghanistan, et ont une image exécrable à travers le monde.
Il ne fallait pas s'attendre à ce que Barack Obama prenne l'exact contre-pied de la politique de son prédécesseur. La politique étrangère d'un grand pays ne supporte pas les virages à 180°. Les velléités de changements radicaux se heurtent très vite aux réalités. Souvenons-nous que George W. Bush est arrivé au pouvoir en 2000 avec l'intention de conduire une diplomatie «modeste» !
Cependant, la nouvelle administration a déjà décidé quelques inflexions majeures. D'abord, elle est disposée à parler avec tout le monde, ou presque, y compris avec les adversaires de l'Amérique. Elle a repris langue par exemple avec le régime syrien parce que c'est une pièce maîtresse d'une éventuelle solution au Proche-Orient. Barack Obama lui-même a adressé pour Nowrouz, le Nouvel an iranien, un message à Téhéran, un mélange d'ouverture dans la méthode et de fermeté sur les objectifs.
Washington veut ensuite «reprogrammer» (reset) ses relations avec la Russie dont les bons rapports personnels apparents entre Bush et Poutine n'avaient pas pu empêcher la détérioration. Barack Obama est convaincu que l'intérêt des Etats-Unis exige le soutien de la Russie pour résoudre des problèmes plus importants que les points d'achoppement. Par réalisme, il est prêt à des concessions sur l'élargissement de l'OTAN ou l'installation du système antimissiles en Pologne et République tchèque, si Moscou est disposée à faire pression sur les Iraniens pour trouver une issue à la question du nucléaire. C'est encore avec la Russie que les Etats-Unis peuvent et doivent engager des négociations sur la réduction des arsenaux nucléaires et la lutte contre la prolifération des armes de destruction massive.
Le réalisme amène aussi parfois le nouveau président à décevoir ceux qui l'ont soutenu pendant sa campagne. Le retrait d'Irak sera moins rapide que promis pour tenir compte des objections des généraux inquiets pour la sécurité de l'Irak. Quand Hillary Clinton va en Chine, elle passe soigneusement sous silence, au moins dans ses interventions publiques, la question des droits de l'homme et du Tibet. Crise financière et économique oblige, les Etats-Unis ont plus que jamais besoin de l'épargne chinoise pour financer leurs déficits.
Le réalisme semble jouer dans ses relations avec les alliés européens, y compris sur un point qui apparaît, pour le nouveau président, comme le symbole de la fermeté : l'Afghanistan. Il y a quelques semaines encore, l'administration américaine exhortait les Européens à suivre son exemple et à augmenter leurs contingents sur les pentes de Hindou Kouch. Elle a compris qu'elle courait à l'échec et a réduit ses demandes dans le domaine militaire. Une rebuffade publique au sommet atlantique aurait mauvais effet pour la première grande sortie du président. En contrepartie, elle leur demande des efforts supplémentaires pour la formation des forces de sécurité afghanes et pour la reconstruction.
Cependant, la nouvelle stratégie élaborée pour l'Afghanistan ne devrait pas déplaire aux Européens : accent mis sur la lutte contre Al Qaïda et les talibans d'une part, « afghanisation » du conflit, abandon tacite des ambitieux projets de nation building au profit d'objectifs plus modestes comme la stabilité, approche régionale...
Les Européens peuvent avoir l'impression d'avoir été écoutés, comme ils doivent se féliciter des pas faits en leur direction par Barack Obama dans la lutte contre le réchauffement climatique. Mais s'ils sont mieux écoutés, ils devront partager le fardeau, plus sans doute qu'ils n'y étaient disposés. Le «burden sharing» est une vieille exigence américaine qui n'a jamais été vraiment satisfaite. Les Européens livrent ainsi aux Américains un bon prétexte pour affirmer leur leadership. Et ils ne doivent pas se tromper : Barack Obama a l'ambition de rétablir ce leadership mis à mal par l'unilatéralisme des années Bush.
C'est peut-être un paradoxe mais avec sa volonté d'écouter et de partager, le président américain veut remettre l'Amérique à la première place : «We are ready to lead», a-t-il affirmé avant le G20 de Londres. Il parie sur la force de l'exemple.
Daniel Vernet