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Afrique: SOS albinos

Temps de lecture : 4 min

Victimes d’une anomalie génétique, ces «noirs à peau blanche» sont stigmatisés sur une grande partie du continent africain, quand ils ne sont pas tout simplement assassinés pour servir à confectionner des «potions magiques».

Un bénévole tient la main d'un enfant albinos dans une école pour handicapés.
Un bénévole tient la main d'un enfant albinos dans une école pour handicapés, en Tanzanie. Ho New/Reuters

Cinq malfaiteurs rentrent de force dans la maison d’une veuve. Ils kidnappent un enfant de quatorze ans, le tuent et le démembrent. Ce drame s’est déroulé début octobre 2010 au Burundi. Le seul tort de cet enfant: celui d’être un albinos. Ce cas n’est pas isolé. Selon l’ONG canadienne «Under the same sun» (sous le même soleil), le 2 mai dernier, une mère de 28 ans et son fils de quatre ans ont connu le même sort. Depuis septembre 2008, cette ONG aurait dénombré 14 cas d’assassinat d’albinos au Burundi. Ces «noirs à peau blanche» ont été selon toute probabilité victimes d’un trafic d’organes. Certaines parties de leurs corps serviraient à confectionner des «potions magiques», sensées apporter la richesse ou la réussite sociale à leurs possesseurs.

Cette croyance s’est aussi répandue en Tanzanie, pays voisin du Burundi. Là-bas, les «zeru zeru», les fantômes (surnom des albinos), sont depuis longtemps stigmatisés. Selon le gouvernement tanzanien, des dizaines de «zeru zeru» sont assassinés chaque année et des corps d’albinos démembrés sont régulièrement découverts. D’autres ont été amputés de leurs organes génitaux ou de leurs seins. Dans bien des cas, les victimes ont été vendues par leurs propres parents aux bourreaux.

Ces «faits divers» ont pris tellement d’ampleur que les hommes politiques locaux ont dû cesser de se voiler la face. Jakaya Kikwete, le président tanzanien, a déclaré en 2008 à la télévision:

«Ces meurtres sont à la fois honteux et inquiétants pour notre société. (…) J’ai entendu dire que certaines personnes tuaient les albinos et les coupaient en morceaux dans le but de devenir riches».

Zeru zeru victimes des sorciers

Au Burundi aussi, les autorités ont décidé de s’attaquer à ce drame. Des «trafiquants» ont été condamnés à de lourdes peines en 2009. Parfois à la perpétuité. Pourtant, rien ne semble indiquer que les vocations de tueurs de «zeru zeru» se soient évanouies. Bien au contraire. Le phénomène est d’autant plus difficile à combattre que les préjugés à leur égard sont profondément ancrés dans les mentalités. «Dans le passé, on tuait beaucoup d’albinos, soupçonnés de sorcellerie, mais ce qui se passe actuellement n’a rien à voir. Cette fois-ci, ce sont eux qui sont la cible des sorciers», explique Simon Mesaki, sociologue à l’université de Dar Es Salaam, capitale économique de la Tanzanie.

Ces drames touchent aussi l’Afrique de l’Ouest, notamment le Nigeria, pays le plus peuplé du continent. Les albinos sont particulièrement la cible de «prédateurs» en période de campagne électorale ou même de compétition sportive. «Un homme politique qui a beaucoup investi dans une élection va être tenté par le sacrifice d’un albinos pour mettre toutes les chances de son côté. Même chose pour quelqu’un qui aura misé beaucoup d’argent sur la victoire de son équipe de football», explique Femi Ayorinde, universitaire nigérian.

Vivre la peur au ventre

«Pendant les campagnes électorales, je cache mon fils albinos à la maison. Il a interdiction de sortir», explique une mère de famille domiciliée dans la région d’Enugu, Sud-est du Nigeria. Ce phénomène n’a rien de marginal, ils sont des milliers à vivre la peur au ventre. Selon The Wall Street Journal, dans certaines régions d’Afrique, une personne sur mille est victime de cette anomalie génétique qu’est l’albinisme.
Des sociologues estiment aussi que la recrudescence de ces sacrifices pourrait être due également à la crise économique et aux incertitudes quant aux lendemains. Les albinos sont aussi victimes de discrimination au travail. «Les gens pensent qu’ils ont des pouvoirs magiques alors ils ne veulent pas les employer», explique une commerçante de Lagos qui, comme beaucoup de Nigérians, ne peut s’empêcher de cracher à leur passage. Comme si leur simple vue la dégoûtait profondément.

Fréquemment privés d’emplois, les albinos se retrouvent donc le plus souvent sans revenus. Ce qui est dramatique dans un continent presque dépourvu d’assistance médicale gratuite. Car ceux qui sont encore souvent appelé mzungu – nom donné aux blancs – en Tanzanie ont besoin de crème solaire et de lunettes de soleil pour vivre longtemps en Afrique. Sans ces protections, il n’est pas rare qu’ils meurent d’un cancer de la peau avant d’avoir atteint l’âge de trente ans.

Quelques améliorations

Ainsi un membre de la famille de Salif Keita en est mort à 24 ans. La jeune femme était albinos, tout comme le célèbre chanteur malien. Salif Keïta a lui-même été victime de discrimination dès le plus jeune âge. Par la suite, il n’a pas pu exercer le métier qu’il avait appris: instituteur. «On m’a dit que les enfants auraient peur de moi à cause de la couleur de ma peau. Mais les autorités étaient ravies quand elles pouvaient embaucher de vrais blancs», se souvient le chanteur.

Pour que les nouvelles générations ne connaissent pas les mêmes souffrances, Salif Keita a fondé en 1990 l’association SOS albinos. Son ONG a servi de modèle à des organisations de ce type un peu partout en Afrique. Progressivement, les mentalités évoluent, notamment dans les pays démocratiques comme le Mali. Des campagnes de sensibilisation permettent aux populations de comprendre qu’il n’y a aucune raison de stigmatiser ces «noirs blancs».

«L’albinisme est de plus en plus souvent considéré comme une simple maladie et non comme un signe de malédiction divine», explique Steve Iteke, médecin à Ibadan, au Nigeria. Les campagnes de sensibilisation commencent sans doute à porter leurs fruits. Mais en attendant, l’appât du gain facile continue à armer les mains de tueurs.

Pierre Malet

Photo: Un bénévole tient la main d'un enfant albinos dans une école pour handicapés, en Tanzanie. Ho New/Reuters

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